Dakarmidi – La démocratie sénégalaise est vieille de près de deux siècles. Elle a plus que l’âge de sagesse et a atteint depuis fort longtemps l’âge de raison.
Aujourd’hui en 2017, l’on ne peut plus douter de la maturité de la démocratie sénégalaise. En effet, les trois dernières élections présidentielles de 2000, 2007 et 2012 se sont déroulées sans heurts majeurs dans l’exécution des droits de vote de nos concitoyens et ont reflété les choix du peuple sénégalais.
Par contre, les événements électoraux actuels (puisque les élections législatives du 30 juillet 2017 ont réellement démarré) exigent de réfléchir par anticipation sur le futur de notre démocratie.
Les enjeux sont clairs et, en même temps, dramatiquement importants, si tant est que les acteurs (nous tous) en ont clairement conscience. Ils s’analysent en une simple mais tragique alternative : ou le parti (voire la coalition) au pouvoir gagne lesdites élections ; ou bien l’opposition les remporte. Le tiers est exclu. La logique est binaire, le scénario forcément cornélien ou, à défaut, shakespearien.
En vérité, l’être ou ne pas être de notre démocratie dans le futur proche est en question. Il s’agit de déterminer, au soir du 30 juillet 2017, grand soir de notre existence en tant qu’Etat de droit, nation en voie de développement, pays en situation d’émergence, si nous sommes capables de faire face « avec courage » à notre destin, comme nous l’avons toujours été, avec tous les atouts en main.
Au détour de la question, cherchons l’en-deçà de la question, l’au-delà de la question, le sourd-questionné, qui en l’occurrence constituent la véritable question.
L’alternative est bien donc, par nature : ou, ou bien. Ou la coalition Benno Bokk Yakaar gagne ; ou bien l’opposition constituée par différentes coalitions l’emporte.
Envisageons tour à tour ces deux scénarii et explorons les perspectives de chacune des deux branches de l’alternative. Cela nous permettra de faire surgir du fonds du questionnement alternatif la problématique véritable, puisqu’ici comme en toute autre matière la conclusion est plus essentielle que les prémisses : quelle est la logique de la cohérence qui amène le Président Macky SALL et son camp à solliciter la majorité pour la prochaine législature ? Quelles seraient les conséquences d’une majorité prochaine de l’opposition à l’Assemblée nationale ? En réalité, qu’est ce qui rend logique la cohérence revendiquée et voulue par Benno Bokk Yakar pour rester dominante au Parlement.
Tout de même, une précaution méthodologique s’impose avant d’aborder la partie dure du sujet. Au moment d’aborder le troisième terme de notre réflexion, nous quitterons l’abstraction du raisonnement logique pur pour y mêler, sans faux fuyants, une attitude partisane. Cependant, ce sera un parti pris pour l’Etat, pour la démocratie, pour le développement du Sénégal. Cela méritait d’être précisé pour l’honnêteté intellectuelle et pour prévenir un argument corrosif de ceux qui nous ferons l’honneur d’être nos lecteurs, qu’ils soient nos farouches contempteurs ou nos bienveillants critiques.
Scénario 1 : la coalition Benno Bokk Yakaar obtient la majorité à l’issue des élections législatives du 30 juillet 2017
Dans ce cas attendu, le Président de la République en exercice aura toute latitude pour continuer la politique qu’il a définie et que son Gouvernement met en œuvre. Cette politique, exprimée sous forme de programme dans le Yonou Yokouté et déclinée techniquement dans le Plan Sénégal Emergent (PSE) serait mise en œuvre jusqu’en 2019 et soumise à la critique des électeurs sénégalais, dans les urnes, un dimanche du mois de février 2019.
C’est cela la cohérence simple d’une logique démocratique. Un homme est allé à la rencontre du peuple sénégalais, a proposé un programme de développement économique et social durable, a sollicité son suffrage, a été élu et a librement défini une politique au nom et au compte de l’Etat du Sénégal. Il a mis en place un Gouvernement pour la mettre en œuvre et transformer les aspirations de la majorité votante du Sénégal en réalité. Il fait sens que ces électeurs d’hier et de demain puissent se retrouver en face de cet élu national, le seul homme-institution élu et lui demander des comptes en définitive. Ses réalisations seront alors pesées et soupesées ; lui même sera alors jaugé et jugé ; il sera de ce fait évalué pour être dévalué ou surévalué.
Il en est ainsi en démocratie. L’un des plus grands théoriciens de la démocratie, Jean-Jacques ROUSSEAU écrit dans son ouvrage Du Contrat social, ou principes du droit politique : « La souveraineté est indivisible. Car la volonté est générale ou elle ne l’est pas ; elle est celle du corps du peuple ou seulement d’une partie. Dans le premier cas, cette volonté déclarée est un acte de souveraineté et elle fait loi. Dans le second, ce n’est qu’une volonté particulière […] Mais nos politiques, ne pouvant diviser la souveraineté dans son principe, la divise dans son objet ; ils la divisent en force et volonté, en puissance législative et en puissance exécutive ; en droits d’impôts, de justice et de guerre, en administration intérieure et en pouvoir de traiter avec l’étranger : tantôt ils confondent toutes ces parties et tantôt ils les séparent ; ils font du souverain un être fantastique et formé de pièces rapportées ; c’est comme s’ils composaient l’homme de plusieurs corps dont l’un aurait des yeux, l’autre des bras, l’autre des pieds et rien de plus […] Cette erreur vient de ne s’être pas fait des notions exactes de l’autorité souveraine et d’avoir pris pour des parties de cette autorité ce qui n’en était que des émanations ».
Comprenons bien ce penseur majeur : les pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif sont des « émanations » de la souveraineté du peuple et non des parties de souveraineté ou encore moins des souverainetés sui generis.
Dès lors, le pouvoir exécutif étant attribué par le suffrage universel à un homme, le Président de la République, la logique et l’intérêt républicain voudraient qu’il puisse avoir les moyens d’exécuter la politique sur la base de laquelle il a bénéficié de la confiance du peuple souverain. Le contrat entre lui et le peuple doit s’exécuter : le bilan sera nécessairement fait et soumis à l’arbitrage du même peuple.
Voilà donc un homme-institution, le Président de la République, responsable devant les hommes et le peuple sénégalais des choix faits en matière de politiques économiques, sociales et environnementales.
Envisageons l’autre cas de figure.
Scénario 2 : l’opposition est majoritaire dans la législature 2017-2022
Quelle serait la pertinence d’ôter au Chef de l’Etat ses moyens d’actions à travers une élection législative dont la conséquence est une assemblée nationale hostile et en opposition ?
On me rétorquera : c’est la démocratie.
Je reviendrais alors à Rousseau.
Je m’interrogerais ainsi sur la qualité et la vertu de cette démocratie qui donnerait le pouvoir et, en même temps, retirerait les moyens d’actions.
Quel sens pourrait-on alors trouver dans un système politique dont la conséquence réelle (et non seulement théorique) serait de donner, d’une part, la clé des champs à un homme qui bénéficie de la confiance des sénégalais, jusqu’à preuve du contraire (preuve démocratique s’entend) ; et d’empêcher, d’autre part, toute initiative légale, toute possibilité effective de changer profondément et durablement le cours du destin de la nation à travers la législation qui, en démocratie, est la seule voix ainsi que l’unique voie légitime.
Pour rester dans la cohérence de la logique démocratique, il faudra bien faire en sorte que, sous l’aune impérative de la démocratie, l’exécutif puise continuer à exécuter la volonté du peuple sénégalais, telle qu’exprimée le 25 mars 2012.
Or, force est d’en convenir, les effets d’une majorité de l’opposition à l’Assemblée nationale serait une neutralisation paralysante pour tous, législatif comme exécutif confondus. Une paralysie de l’action publique quasiment pendant deux ans (août 2017-février 2019).
En effet, la Constitution en son article 86 permet la mise en œuvre de la motion de censure, voie par laquelle l’Assemblée nationale peut provoquer la démission du Gouvernement. A son tour, le Premier Ministre peut, par le biais du même article de la Constitution, poser la question de confiance à l’Assemblée. Le refus de ladite assemblée entraine la démission du Gouvernement.
Je pouvais aussi évoquer le cas de la dissolution de l’Assemblée nationale par le Président de la République après la deuxième année de législature. Ce cas de figure, qui n’est pas exclu théoriquement, ne pourrait évidemment se poser qu’après les élections présidentielles de 2019.
Certains diront péremptoires : c’est la démocratie. Je rétorquerai : oui c’est la démocratie, mais aucun système fait par les hommes n’est parfait. Rousseau lui-même avertissait : «s’il y avait un peuple de dieux, il pourrait se gouverner démocratiquement ; un système si parfait n’est pas fait pour des hommes ».
Au demeurant, c’est dans la pratique qu’il faut parfaire la démocratie, pour ne pas dire le jeu démocratique. Cela suppose de l’intelligence et, surtout, de la vertu. Cette vertu qui fait que l’intérêt général est toujours placé avant l’intérêt particulier et partisan.
D’où l’intérêt de rester dans la logique certaine d’une cohérence rigoureuse.
La cohérence du peuple avec lui-même, entre sa volonté et les élections par lesquelles il exprime cette volonté et désigne ses représentants ainsi que ses dirigeants, doit être totale.
Certes, il n’y a pas de volonté figée dans le temps. La volonté du peuple aujourd’hui peut ne pas être celle de demain : la souveraineté appartient au peuple, nul n’a le droit de forcer sa volonté. La souveraineté est inaliénable. Toutefois, entre deux volontés distinctes ou divergentes du même peuple, exprimée légitimement dans un espace-temps différent, il faut s’aménager les moyens de faire en sorte que les institutions poursuivent le but pour lequel elles sont mises en place.
Aussi, importe-t-il que la prochaine législature soit d’une majorité qui agit de concert avec l’exécutif actuel, avec un Gouvernement qui applique la politique définie par le Chef de l’Etat.
A ce niveau du raisonnement, on comprendra même si on ne l’accepte, que la logique rectiligne de la cohérence suive la ligne courbe de la posture partisane : j’accepte le pêché théorique. Mais la vertu et le bien en sont pour le peuple sénégalais.
Quels que soient l’âge et la qualité de la démocratie dans un pays, elle supporte toujours mal les querelles, les oppositions et luttes de pouvoir dans une cohabitation.
On en revient toujours aux hommes, puisque ce sont eux qui incarnent les institutions et font l’histoire.
Imaginons un scénario kafkaïen : au Sénégal entre août 2017 et février 2019 un Président de la République de l’APR et de la coalition Benno Bokk Yakaar cohabite avec une Assemblée nationale et son Président (deuxième personnalité de l’Etat) appartenant à l’opposition.
En dehors des querelles, des stratégies et stratagèmes de neutralisation, on peut présager ces moments dramatiques (ou loufoques), pendant lesquels l’exécutif dépose des projets de loi systématiquement rejetés par l’Assemblée nationale ; alors que cette dernière vote des lois que l’appareil gouvernemental s’échine avec abnégation et avec la dernière énergie à ne pas mettre en œuvre.
Au fond et en définitive, aucun de ces camps politiques opposés ne serait perdant. C’est le peuple qui verrait son progrès oblitéré pendant deux ans. Ce sont toutes les réformes, tous les changements bons ou mauvais qui seraient reportés à un futur incertain. Or, il est plus onéreux de se tromper dans l’action que de ne pas agir : l’erreur coûte plus cher que l’inaction.
Dans tous les cas et in fine, personne n’y gagnerait, tout le monde y perdrait ; surtout le brave citoyen qui ne doit pas attendre que passe le temps des querelles des institutions pour voir son destin se réaliser. Le citoyen de la République devrait surtout pouvoir clairement et avec certitude décider de son choix en février 2019.
Doit-on se permettre de mettre deux ans de notre histoire « en veilleuse », au lieu d’avancer courageusement vers notre futur qui sera ponctué par une élection présidentielle qui viendra juger, dans un temps précis et connu, le Chef de l’Etat ?
Cette histoire déjà retardée par les faits du passés que sont l’esclavage et la colonisation, entre autres, dont le Chef de l’Etat tente de corriger les conséquences « ralentissantes » pour le bien être de notre nation.
C’est en cela que militant de l’APR, mais avant tout citoyen du Sénégal et père d’enfants auxquels nous devons léguer un Etat fort, un pays stable et émergent ainsi qu’un environnement sain et durable, je m’implique pour la majorité de Benno Bokk Yakar dans la législature 2017-2022.
En toute cohérence et en toute logique, j’estime que le Plan Sénégal Emergent (PSE) doit se poursuivre, que les programmes du PUDC, du PUMA, du PPDC et de PROMOVILLE doivent aboutir à leurs fins. Je souhaite à mon peuple la continuation et le succès de la Couverture maladie universelle et des bourses familiales comme filet de protection sociale pour les populations les plus vulnérables. Les programmes de revitalisation de notre agriculture et de redressement nos industries doivent s’achever. La tendance gagnante de nos infrastructures et productions dans les secteurs de l’Energie et des télécommunications doit se maintenir.
Enfin, je voudrais dire que je ne suis pas dans la stratégie du « faire peur », dans la posture de Cassandre. Raisonnablement, sans passion et en toute lucidité, je partage cette réflexion avec mes compatriotes.
Aubin Jules Marcel SAGNA,
Responsable politique de l’Alliance pour la
République (APR).