« Macky freine l’appétit dépensier de ses ministres ». C’est le titre qu’un quotidien de la place a donné à son commentaire de la décision du Chef de l’Etat de « « rationnaliser les dépenses publiques ». Le quotidien explique : « Le chef de l’Etat ne badine pas avec l’argent public. Face au constat alarmant de certaines dépenses effectuées par ses ministres et autres directeurs nationaux, le président de la République a décidé de rationnaliser les dépenses courantes de l’Etat. » Et le quotidien de poursuivre : « Indiquée pour la cure d’amaigrissement des dépenses publiques, (la pilule) du chef va certainement filer le blues à certains ministres et autres directeurs nationaux, dont elle réduit drastiquement les marges de manœuvres, annihile certains rêves de confort, comme l’achat de véhicules de luxe et consorts. » Hum !
Engagé dans le combat acharné (le qualificatif est de moi) qu’il mène pour la rationalisation des dépenses publiques, « le Chef de l’Etat a décidé que pour 2018, les acquisitions de véhicules vont être limitées à ceux des forces de défenses et de sécurité, ainsi qu’au programme commun piloté par la Direction du matériel et du transit administratifs (Dmta) ». Et, pour que nul n’en ignore, le quotidien précise : « Une mesure contenue dans le projet de loi de finances de 2018 qui, en décodé, tient lieu d’avertissement à tous les probables contrevenants à la décision du boss, qui pourrait sévir. Et lourdement ! » Enfin, « décidé à mettre fin au goût de luxe de certains de ses collaborateurs qui, parfois dépensent l’argent public dans des futilités, sans pour autant toucher à leurs conditions de travail optimales, le Président a, dans la même foulée, centralisé les acquisitions de mobilier de bureau au niveau de la Dmta ».
Avant de poursuivre, je fais deux remarques : 1) avec cette perspective de lendemains qui chantent, le boss de la Dmta, sûrement membre de la mouvance présidentielle, doit se frotter les mains. Il l’est sûrement. On accède pas à cette station si on n’est pas membre du clan ; 2) ma préoccupation n’est guère d’apprécier ici le commentaire du quotidien, de quelque manière que ce soit. Je m’en suis servi seulement pour donner mon point de vue sur ces décisions-farces, ces décisions-spectacle du président-politicien qui nous prend vraiment pour des demeurés.
Il a donc décidé, « face au constat alarmant de certaines dépenses effectuées par ses ministres et autres directeurs nationaux, de rationnaliser les dépenses courantes de l’Etat ». Dans cette perspective, il limite les acquisitions de véhicules à deux secteurs et veut « mettre fin au goût de luxe de certains de ses collaborateurs qui, parfois dépensent l’argent public dans des futilités (…) ». Ainsi, c’en est fini pour « certains rêves de confort, comme l’achat de véhicule de luxe et consorts ». Et gare aux probables contrevenants à la décision du boss, qui pourrait sévir lourdement, avertit ‘’L’Observateur’’ – c’est de lui qu’il s’agit – dans son édition du 19 octobre 2017, page 3.
Comme le dit l’adage walaf, Buur Senegaal dafay digle cángaay, waaye moom du sángu mukk. En d’autres termes, notre président-politicien est prompt à conseiller le bain mais lui, ne se baigne jamais. Comment peut-il s’offusquer des rêves de confort de ses collaborateurs ? Comment peut-il leur reprocher d’acheter des véhicules de luxe ? A-t-il jamais suivi à la télévision, en différé, le déplacement de ses nombreux cortèges qui comptent parmi les véhicules les plus gros et les plus luxueux du monde ? Les a-t-il jamais comparés aux cortèges de ses homologues français qui se réduisent à quelques modestes véhicules Renault, Peugeot, Citroën, etc. Jamais de 4×4, jamais de 8×8 ou autres véhicules gros consommateurs de carburants ! Nous sommes certainement des demeurés, nous avons beau être indifférents à tout, nous savons quand même que tout, tout autour de lui est luxe et confort. De ce point de vue, il peut tenir la dragée haute à nombre de princes des pays du Golfe.
Notre président-politicien s’offusque aussi de ce que « certains de ses collaborateurs dépensent (parfois) l’argent public dans des futilités ». Mais, ne sait-il pas que le plus grand dépensier de l’argent public dans des futilités c’est lui ? Lui qui recrute à tour de bras des ministres, des ministres conseillers, des conseillers et des conseillers spéciaux, des chargés de missions, des ambassadeurs itinérants et nombre d’autres compatriotes qui sont pratiquement payés à ne rien faire ! Lui qui entretient grassement une nombreuse clientèle politique, syndicale et religieuse dans des institutions budgétivores et sans aucune utilité prouvée ! Il en est ainsi du Conseil économique, social et environnemental, du Haut Conseil des Collectivités territoriales, du Haut Conseil pour le Dialogue social et des dizaines d’agences grouillant de monde souvent venu de nulle part et grassement payé à ne rien faire ! Lui qui bourre les ambassades et les consulats de centaines d’hommes et de femmes sans aucune qualification, qui s’y bousculent et les transforment finalement en sièges du parti-Etat ! Lui qui octroie, à la surprise presque générale, une indemnité mensuelle de 500000 francs aux épouses d’ambassadeurs !
Lui qui gère directement un énorme budget de plusieurs dizaines de milliards, y compris des fonds spécifiques et autres fonds illimités, qu’il considère comme ses fonds propres et dépense comme bon lui semble, sans aucun contrôle ! Pour permettre au lecteur d’en avoir le cœur net, je lui propose cet éclairage, extrait de la contribution de l’inspecteur principal du Trésor et ancien ministre Mamadou Abdoulaye Sow, publiée par ‘’L’AS’’ du 29 septembre 2017 :
« Le budget des Fonds à caractère secret n’est plus un petit budget : il est évalué en moyenne à près d’un milliard cinq cents millions de francs CFA par mois. De 35 millions de francs CFA de prévisions initiales en 1960, ces ‘’Fonds spéciaux’’ sont montés en prévisions à 680 millions de francs CFA en 1977/1978, puis à pas moins de 4 milliards de francs CFA depuis 2009 et aujourd’hui à pas moins de 17 milliards de francs CFA en autorisations budgétaires.
Dans les lois de finances de 2014 et 2015, les montants des Fonds à caractère secret alloués à la Présidence de la République et à la Primature se sont respectivement élevés à 18 252 592 000 et 18 306 296 000 francs CFA(Source : comptes administratifs de l’ordonnateur des années 2014 et 2015 publiés dans le site Web de la Direction générale des Finances du ministère de l’Économie, des Finances et du Plan, consulté le 25/09/2017).
Pour la ‘’tirelire’’ de 2015, le détail se présente ainsi :
-Fonds spéciaux (fonds secrets et politiques) : 9 360 000 000
-Fonds de solidarité africaine : 2 156 296 000
-Fonds d’intervention sociale : 5 350 000 000
-Exonérations et compensations financières : le montant voté pour 546 800 000 a été viré ailleurs
-Autres transferts : 900 000 000
-Fonds de sécurité de la Primature : 540 000 000
Soit en moyenne près d’un montant de 1 500 000 000 de francs par mois prélevé sur nos’’ deniers d’impôts’’.
Au total, sur la période 2012 / 2017, c’est près de 104 milliards de crédits spéciaux qui ont été alloués au Président de la République et 3 milliards de crédits de Fonds de sécurité ouverts pour le Premier ministre. »
Les budgets de 2016 et de 2017 de la Présidence sont plus consistants encore. Nous y reviendrons, en même temps que sur le budget de 2018. Signalons, avant de passer, qu’on comprend comment des compatriotes qui ont exercé la fonction de Premier Ministre sont devenus tout d’un coup si riches !
C’est donc ce président-là qui s’offusque du goût pour le luxe et le confort de ses collaborateurs, à qui il reproche de dépenser l’argent du contribuable pour des futilités. C’est ce même président donneur de leçons qui se montre si généreux en indemnités et autres avantages accordés à une minorité de compatriotes tirés sur le volet ! Ainsi, les ministres reçoivent une indemnité représentative de logement d’un million de francs par mois. Cette indemnité est de 700 000 francs pour les secrétaires généraux de ministère, 500000 francs pour les directeurs de cabinet, les magistrats (dès leur titularisation dans le corps), les généraux de l’Armée nationale et de la Gendarmerie. Ces derniers bénéficient d’une autre indemnité de 500000 francs et gardent intacts indemnités et salaires même à la retraite.
C’est le même président-politicien qui ferme hermétiquement les yeux sur la gestion calamiteuse des Directeurs du Centre des Œuvres universitaires de Dakar, du Port autonome de Dakar (l’ancien), de la Société nationale de la Poste, etc., et refuse catégoriquement de voler au secours de nos pauvres deniers qui y sont martyrisés. Il sait, ce président-politicien, que de simples membres de conseils de surveillance touchent des jetons de 200 à 250000 francs, le temps de prendre part à des réunions qui, parfois, ne durent même pas une demi-journée.
C’est lui qui autorise de nombreux hauts fonctionnaires à continuer d’exercer dans l’administration, alors qu’ils devraient faire valoir leurs droits à une pension de retraite depuis plusieurs années. Ils cumulent ainsi, pendant toute cette période, leurs salaires et leurs pensions. Comme de nombreux autres compatriotes, ils bénéficient de contrats spéciaux ‘’juteux’’ qui entament gravement le budget et accroissent dangereusement la masse salariale.
C’est avec nos deux anciens chefs d’Etat qu’il se montre plus généreux encore. Leur dotation frise l’indécence. Ainsi, un décret attribue à chacun un traitement mensuel de 5 000 000 francs CFA, auxquels s’ajoute une indemnité compensatrice d’un montant mensuel net de 4 500 000 francs CFA, en cas de renoncement au logement affecté. C’est loin d’être tout : ils bénéficient aussi d’une assurance maladie étendue au conjoint, de deux véhicules, d’un téléphone fixe, d’un logement (s’ils n’y renoncent pas) et du mobilier d’ameublement. Notre président-politicien sait vraiment gâter ses deux illustres prédécesseurs : chacun d’eux nous coûte, annuellement, 40 millions de francs environ, pour faire face au coût de ses billets d’avions, lui et son conjoint. Nos finances publiques ne sont pas encore au bout de leurs peines : s’ils décident de s’établir hors du Sénégal comme c’est leur cas, ils ont, attachés à leurs services, quatre collaborateurs de leurs choix. Ces derniers sont rémunérés dans les mêmes conditions que les personnels affectés dans les postes diplomatiques et consulaires du Sénégal. De nombreux autres personnels sont attachés à leurs services (voir le décret).
Avoir été président de la République du Sénégal, ce n’est sûrement pas rien. Mais il faut quand même savoir raison garder. Abdou Diouf a régné sur le Sénégal pendant quarante ans, longue période pendant laquelle lui et sa famille ont été pris totalement en charge par l’Etat. Ils ne se sont jamais souciés du coût du carburant, de l’eau, de l’électricité, de la domesticité, du riz, de l’huile, du sucre, etc. Ses enfants ne se sont jamais bousculés dans des cars de transport en commun. Pour rappeler le dicton walaf, « soxnaam, musulë dégg ubal bunt bi ». En d’autres termes, il n’a jamais donné l’ordre à son épouse de fermer la porte à l’heure du coucher. Il n’en avait vraiment pas besoin car la sécurité totale leur était assurée. Battu le 19 mars 2000, il quitte le pays dès après la passation de service avec son successeur. Il s’installe alors à Paris, dans un appartement luxueux. Le 20 octobre 2002, il est élu Secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Son mandat de quatre ans sera renouvelé deux fois.
Son vainqueur, Abdoulaye Wade a régné, lui aussi, sans partage, pendant douze longues années. Ces années durant, il a pillé sans ménagement, avec son clan, nos maigres deniers publics et nos précieuses réserves foncières. Il a créé des milliardaires venus de nulle part, détraqué notre administration, mis sens dessus dessous nos valeurs morales et républicaines. Lui aussi, battu le 25 mars 2012, va s’installer dans son luxueux palais de Versailles. Qu’a-t-il besoin donc, notre président-politicien, de puiser aussi abondamment dans nos maigres ressources, pour entretenir aussi grassement ces deux-là ? Il prépare ses arrières, avancent certains observateurs. Est-il vraiment à quelques millions près pour préparer déjà retraite ? N’est-ce pas que son patrimoine déclaré avant le 25 mars 2012 avoisinerait les trois, quatre, peut-être cinq milliards ? Sans compter les autres milliards, qui se compteront en dizaines, qu’il va mettre probablement de côté pendant sept ou douze ans ?
Notre président-politicien n’est donc pas loin d’un comédien. Nous serions naïfs, vraiment naïfs de le prendre au sérieux quand il donne l’impression de s’offusquer des velléités de luxe et de confort de certains de ses collaborateurs. Nous le serions encore plus de croire, un seul instant, qu’il se soucie de la dépense judicieuse de nos deniers publics. Lui, qui devait donner le bon exemple, est le plus grand dépensier du pays. Il dépense sans compter, et encourage pratiquement les autres à en faire autant. En hibernant tous les organes de contrôle et en faisant le choix de ne plus leur permettre de publier leurs rapports, il donne le feu vert à nos pilleurs de deniers publics, qui vont s’en donner à cœur joie.
Il semble qu’on s’achemine vers le jugement du Maire de Dakar. Le Procureur de la République aurait demandé à l’Assemblée nationale de lever son immunité parlementaire. Si ces informations sont avérées, il faut désespérer des institutions de ce pays et principalement de la Justice. Juger le Maire de Dakar, le condamner éventuellement et laisser les autres nombreux délinquants potentiels continuer de humer l’air de la liberté, ce serait un scandale. Ce serait indigne dans toute République qui se respecte.
Il semble que l’IGE n’ait pas demandé explicitement l’ouverture d’une information judiciaire contre le Maire de Dakar. Notre justice ne sortirait certainement pas indemne de sa condamnation, si toutefois il devait être condamné. Des rapports de l’organe de contrôle ont demandé expressément l’ouverture d’informations judiciaires contre des délinquants présumés, accusés d’avoir détourné entre 20 et 30 milliards, et qui ne sont pas le moins du monde inquiétés. Le COUD, le Port autonome de Dakar, la Société nationale de la Poste sont sur la sellette. Notre président-politicien ferait mieux d’y envoyer l’IGE, plutôt que de s’acharner sur le Maire de Dakar, et de nous amuser avec ses indignations feintes, devant le goût pour le luxe et le confort de certains de ses collaborateurs. Ils ont assimilé les leçons de leur maître, s’ils sont portés vers le luxe et les dépenses futiles.
Dakar, le 26 octobre 2017
Mody Niang