Dakarmidi – Le feu rouge étant en panne, en ce vendredi matin, le laxisme sénégalais luit de toute sa splendeur…
Les coups de klaxons ponctuent les hurlements interminables des chauffeurs de taxi et autres employés retardataires en détresse, comme moi. La « priorité », c’est quoi ?! Ah, cette règle qui fait partie du code de la route et qui définit qui doit passer et quand , en premier?! Elle est oubliée là ? Là, c’est du GRAND N’IMPORTE QUOI qui se passe. Entre ce bus qui barre l’intersection et le taxi qui essaie de se faufiler juste derrière lui, c’est du « Koh Lanta » urbain qui se passe. Et, point de policier à des mètres à la ronde. Chiititititittttt ! Quel fourre-tout ce rond-point ! Un désordre total. Chacun cherche à passer, sans penser à l’ordre, ni aux autres. Résultat, tout le monde en sort perdant… Ça me conforte dans l’idée que rien n’est possible sans ORGANISATION NI ESPRIT D’EQUIPE et malheureusement, c’est ce qui nous manque cruellement, nous Sénégalais…Je pense à ces Sénégalais de l’extérieur qui se plaignent de ce manque d’esprit communautaire, de solidarité entre concitoyens. Je pense à mère Sarr, cette vieille dame qui se nourrit de pain et d’eau et qui grelotte de froid jusqu’aux os le soir… Les gens passent devant elle le matin, sans la voir ; eux aussi, tentent de survivre dans cette société du « Me, myself and I ».
Heureusement, un superman citoyen débarque et, grâce à sa bonne volonté, les choses se décantent. Oui, il en existe quand même certains qui s’improvisent policiers et qui, en plus, le font de bon cœur. Heureusement ! Les conducteurs le suivent au doigt et à l’œil, curieusement. On en voit parfois, dans des situations comme ça. Ah ! Si tout le monde était comme lui, beaucoup de choses auraient changé. Après trois coups de volants, un coup d’accélérateur, un petit « faufilement » entre une charrette et un bus « Tata », me voici sortie de « la berge » comme dirait Gad Elmaleh. Je trace mon chemin, pour me rendre au « Bal des Hypocrites », sans aucune gaieté de cœur. C’est le seul bal au monde où on est payé pour y aller, c’est surement pour cela que c’est tout, sauf une partie de plaisir.
Au bal des hypocrites
Je me gare. Heureusement que j’ai une place, que je paye, « by the way », à un vigile (clandestinement), dans un parking privé. Ça me coute 25 000 frs par mois, lavage inclus.
J’enlève mes sandales pour les remplacer par des escarpins, et me voilà prête, à affronter la vie, celle qui me prend théoriquement , je dis bien théoriquement 8H par jour, celle que je mène tous les jours, depuis 5 ans…
5 ans…Je me rappelle, c’était un mois de juin. J’avais été accueillie avec le sourire… Et moi, bêtement, je souriais aussi, en pensant que « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ». 5 ans après, c’est « Tout le monde il est vilain, tout le monde il est méchant ». On ne sait plus où donner de la tête entre les indiscrétions, les jalousies, les clans, les ambitions des uns et des autres, les coups bas et le sourire qui va TOUJOURS avec. On ne sait plus où donner de la tête entre la pression, le travail, les envies des uns et des autres et le sourire qui va avec. On se surprend toujours à rouspéter, n’arrivant toujours pas à s’accommoder à cette espèce d’individus qu’on ne trouve que dans les entreprises. Au Sénégal, le milieu professionnel est un mix de rapports et sentiments « crypto-personnels », qui se reflètent systématiquement dans les rapports professionnels, de mysticisme extraordinaire, qui demeure un sujet tabou, d’amitiés très « insincères », de sourires qui cachent une haine démesurée, de calomnies qui ressusciteraient un mort et d’une pointe de social qui s’inscrit toujours dans l’hypocrisie, qu’on appelle plus communément « Maslaa » ou « Nakhanté », du mot « Nakh », qui veut dire « tromper »…Et, quand nous, on refuse de se mettre de se conformer à ces règles, on est marginal, et pire, nos chances d’avancer s’amincissent, considérablement. Quand on refuse d’être un courtisan, on est mis au frigo, suite à un process très compliqué mais surtout très subtil que seuls les véreux- sans scrupulo- hypocrito-politiciens, ceux qui ne se gênent pas pour marcher sur des cadavres- maitrisent. Le plus choquant, c’est cette manie de se mêler de la vie privée des gens, de « lindianti » qui divorce en ce moment, qui vient d’accueillir une petite sœur ou de prendre une niaarel, (2ème femme), qui a un deuxième bureau, quelle célibataire est enceinte, qui sort avec qui dans la compagnie…Le milieu en devient malsain et chacun essaie de tirer son épingle du jeu par des tricheries, des mensonges, des inventions, et de la « courtisanerie ». Et nous, on essaie de survivre, en se barricadant entre ses 4 murs de glace, se concentrant devant son écran, casques aux oreilles, gardant toujours la pêche, et le sourire, pour faire maigrir les jaloux et surtout les jalouses. On est ensuite catégorisé « anti-social ». De toute façon, c’est toujours mieux que l’hypocrisie. Et mieux, quand on est normal et intègre en entreprise, on s’inscrit dans ‘’l’anormalité’’. Et quand on est dans ma position, dans cette jungle, on est le gibier, et le plus dramatique dans l’histoire, c’est qu’on ne sait pas QUI est le chasseur…Les animaux au moins savent reconnaitre le danger. Nous, le danger nous sourit tous les jours, nous demande des nouvelles des enfants et même de la soeur de la cousine de la nièce de la voisine, passe nous voir de temps en temps chez nous, nous invite à déjeuner et nous offre même un verre de temps à autre. Le prédateur, on ne le connait pas, on sait qu’un coup peut venir à tout moment, d’où? de qui?? That is the kwechieun.
13H 00 minutes, 0 secondes, on se lève tous pour aller au resto. On mange sur le pouce, on paye cher, et, à ce moment précis, je pense à ma chère Mère SARR, qui pourrait vivre un mois avec le montant de l’addition, d’un seul de nos repas.
On retourne au bureau.
L’après-midi est assez calme. Je me connecte alors sur Facebook…Facebook, ce monde dans le monde…Ce mur, ou, plutôt, ce miroir qui ne reflète en vérité que les facettes de la vraie vie. Je me déconnecte et me reconnecte sur Linked-in, où je vois que tel collègue vient de se connecter au réseau de tel autre, que tel vient de fêter ses 13 ans dans sa boite (le pauvre!!!)…. Je check les offres d’emploi, au cas où…mais, RIEN (comme d’habitude, depuis 2 ans que je cherche à m’évader de cette jungle). 17H00 ! Plus que 30 minutes à « mougn » (supporter) , et c’est la délivrance ! Je vois un mail arriver. Je l’ouvre ? Je ne l’ouvre pas ?
Finalement, je clique. Eh oui! Je n’aurais jamais dû cliquer, ma mère m’a toujours dis que la curiosité était un vilain défaut! Et voilà, là, je suis au bord des larmes. Mon boss vient de me demander un rapport qui parait urgent, à finir pour un meeting dans …55 minutes. Découragée, j’assemble les éléments et les finis à temps. 18H15, la réunion n’a pas encore débuté. J’ai les yeux creux, un masque de fer sur mon visage. J’attends. À 30, on la commence. Et le pire, c’est qu’on ne sait jamais à quelle heure on termine. On se demande si ces patrons ont une vie après le travail. « Anyway », on se concentre, même si nos neurones se rebellent. 19H, 20H, 21H…Des débats qui n’en finissent pas, des polémiques qui nous exaspèrent, tellement on a envie que ça finisse, cette réunion. 22H38…Je sors de la salle, éreintée. J’appelle Daba, la ménagère. Oui, les enfants ont mangé, oui, le petit va mieux, non, il n’a pas eu de fièvre, Oui, Monsieur est rentré. J’ose à peine lui demander de me le passer. Finalement, je me ravise. Je l’appelle directement, et lui parle timidement, priant intérieurement qu’il ne me « raccroche pas au nez ». Sa voix est neutre. Ouff ! C’est mieux que rien !
Le bouleversement…
Je roule à grande vitesse. Juste envie de me blottir dans les bras de mon chéri (hypothétiquement). Je pense aux enfants. Cela fait 3 jours que je n’ai pas passé avec eux plus de 30 minutes avec eux. Mon cœur se serre. Le goudron, devant moi, se transforme en lit, mon matelas, si moelleux, ma couette, si chaleureuse, mes oreillers, mon souffle, sur l’épaule de mon cher et tendre époux, les doux battements de son cœur, et cette lumière qui illumine mon rêve, et ce bruit assourdissant que j’entends de loin, de plus en plus loin, de très loin….
Les bruits des sirènes, les cris, je les entends de loin…
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