Dakarmidi – « (…) Le calendrier électoral est connu. Les élections législatives se tiendront au plus tard le 29 juin 2017. La date sera fixée et il n’y a pas de débat possible sur cet agenda. Je ne suis pas dans la spéculation, dans les calculs politiciens. Le calendrier républicain sera respecté (…) ». Cette déclaration, le Président de la République l’a faite dans l’interview qu’il a accordée au quotidien ‘’L’AS’’, qui l’a publiée dans son édition du vendredi 21 octobre 2016, page 7. Cette déclaration est apparemment rassurante. Cependant, chat échaudé craignant l’eau froide, nous la prendrons avec des pincettes. Nos amis de l’autre côté de la barrière ne l’entendront sûrement pas de cette oreille, eux qui ne supportent pas un regard qui sorte du champ de vision de leur mentor. C’est leur droit, mais c’est aussi le nôtre de douter, jusqu’à preuve du contraire, des engagements pris par ce dernier. Rappelons-en quelques-uns et le sort qui leur a été réservé par la suite.
Dans son discours à la Nation le 3 avril 2012, le lendemain de son installation officielle, il réaffirmait avec force son attachement indéfectible à la bonne gouvernance. Il s’exprimait ainsi :
« Cette occasion historique constitue pour nous tous un nouveau départ pour une nouvelle ère de ruptures en profondeur dans la manière de gérer l’Etat au plan institutionnel et économique (…). C’est pourquoi je tiens à ce que toutes les femmes et tous les hommes qui m’accompagnent dans l’exécution du contrat de confiance qui me lie au peuple, comprennent et acceptent que cette mission ne crée pas une catégorie de citoyens privilégiés, au-dessus des autres et de la loi. Au contraire, cette charge se décline en un sacerdoce sans ambigüité : il est question de servir et non de se servir.»
C’est bien le tout nouveau Président de la République qui s’exprimait ainsi. Et il se faisait plus précis, plus ferme en poursuivant :
« (…) Gouverner autrement, c’est bannir les passe-droits, le favoritisme et le trafic d’influence ; c’est mettre l’intérêt public au-dessus de toute autre considération et traiter tous les citoyens avec la même dignité et le même respect. »
Il prendra, il réaffirmera un autre engagement, celui-là qui aura convaincu beaucoup de compatriotes à lui accorder leur confiance. Cet engagement solennel, plusieurs fois réitéré, c’est celui-ci : « J’ai décidé de ramener à cinq ans le mandat de sept ans pour lequel je suis élu sous l’empire de l’actuelle constitution. » Je passe sur nombre d’autres promesses fermes et alléchantes faites dans ce discours du 3 avril 2012.
Dans le discours du 3 avril 2013, il revient avec force sur la bonne gouvernance, sa marchandise la plus vendue aux Sénégalaises et aux Sénégalais. Un extrait de ce discours : « Le défi de la bonne gouvernance reste également au cœur de mes préoccupations. A l’épreuve des faits, je suis encore plus déterminé à édifier la Nation sur son patrimoine et en assurer la protection. La bonne gouvernance est partie intégrante de la démocratie. Nous sommes dans une phase de rupture et de transition vers un Sénégal nouveau. »
En de nombreuses occasions, il prendra d’autres engagements qui conforteront ses compatriotes dans leur choix du 25 mars 2012. Il en a été ainsi de son engagement à mettre en œuvre, une fois élu, « une politique transparente, sobre et vertueuse » et à placer « la Patrie avant le parti ».
Notre Président né après les indépendances, une fois installé, ne tarda pas à mettre en œuvre ses promesses, notamment par les mesures qui suivent :
1 – mise en place d’un gouvernement de 25 membres,
2 – réactivation de la Cour de Répression de l’Enrichissement illicite (CRÉI),
3 – publication du Code de transparence dans la gestion des finances publiques au sein de l’UEMOA,
4 – création du Ministère de la Promotion de la Bonne Gouvernance,
5 – création de l’Office national contre la Fraude et la Corruption (OFNAC),
6 – vote de la Loi sur la déclaration de patrimoine.
On sait ce que le gouvernement de 25 membres est rapidement devenu. Point n’est besoin de trop s’y attarder. Personne ne connaît aujourd’hui le nombre de ministres d’Etat, de ministres, de ministres délégués, de secrétaires d’Etat, de ministres conseillers, de ministres conseillers spéciaux. Ce qu’il y a de plus insupportable encore, par-delà le trop grand nombre, c’est que, pour l’essentiel, ces femmes et ces hommes n’ont jamais occupé, de leur vie, une fonction publique ou privée importante. L’un des aspects les plus nocifs des alternances I et II, c’est la dégradation de la fonction ministérielle et de celle de secrétaire général de ministère.
Nous ne nous attarderons pas, non plus, sur la CRÉI. Nous assistons tous et toutes à sa mort programmée. Le seul dignitaire du régime des Wade qu’il a épinglé et condamné, c’est Karim Meïssa Wade. On connaît la suite : la grâce qui lui a été accordée et les conditions rocambolesques dans lesquelles il a quitté le pays. Personne ne parle plus des 24 autres de la fameuse liste, très tôt dressée et rendue publique. Le tortueux Ousmane Ngom a vite fait de retrouver une place dans l’entourage du Président de la République, en attendant une station importante. Pourquoi pas, puisque l’autre jumeau de la tortuosité, Djibo Leïty Ka est bien servi, lui et quelques-uns de ses proches ?
Nous nous rappelons, qu’au cours d’une rencontre des jeunes républicains à Mbodiène, le Président Macky Sall avait tenu à apporter des précisions, notamment à propos de l’OFNAC et de la CRÉI. La CRÉI, c’est pour les autres, l’OFNAC, c’est pour nous, avait-il déclaré. Et il avait ajouté : « Je ne protègerai personne, je dis bien personne. » Nous reviendrons sur cet engagement, un de plus qui s’évanouira. Après Ousmane Ngom, d’autres de la liste entameraient leur rapprochement avec le Président de la République. Si on considère son penchant et son attachement à la détestable transhumance, ces autres seront certainement accueillis à bras ouverts. Et de CRÉI, il n’en sera probablement plus question. On avance l’idée d’une profonde réforme de cette Cour. Peut-être même, sera-t-elle carrément dissoute. On ne sait jamais après 2019 ou 2024.
La CRÉI mourra donc de sa belle mort, et avec elle beaucoup d’engagements, notamment celui à « édifier la Nation sur son patrimoine et en assurer la protection ». Cette mort probable arrêtera net cette « phase de rupture et de transition vers un Sénégal nouveau ». Le Président Macky Sall ne nous édifie pas sur notre patrimoine et ne le protège point. Tous les ans, l’Inspection générale d’Etat (IGE) et la Cour des comptes remettent entre ses mains leurs rapports publics. Dans ces rapports, des compatriotes qui occupent de hautes fonctions sont parfois – souvent d’ailleurs –, gravement épinglés. Il en a été ainsi de la gestion à la Société nationale des Habitations à loyer modéré (SNHLM) dont de lourdes fautes de gestion ont été mises en évidence par le Rapport public (2014) de la Cour des Comptes (pp. 134-156). Le Rapport couvre la période 2008-2012. Le Directeur général (maintenant admis à faire valoir ses droits à une pension de retraite) et certains de ses proches collaborateurs se sont permis, pendant plusieurs années, des écarts graves dans leur gestion.
On est aussi attristé quand on lit la partie du même Rapport consacrée à la Caisse de Dépôts et de Consignations (pp. 82-133). On y constate de graves abus, notamment quand il s’agit de projets immobiliers. On comprend comment l’Etat perd des milliards de recettes fiscales et comment des compatriotes triés sur le volet sont rapidement enrichis.
On a mal quand on sait que, depuis qu’il a été officiellement installé dans ses fonctions, le Président de la République met le coude sur ces rapports. Depuis bientôt cinq ans, il n’a sanctionné aucune des fautes lourdes signalées dans lesdits rapports, en tout cas pas à la connaissance du public. La seule sanction négative qu’on lui connaît jusqu’ici, c’est la radiation du jeune Ousmane Sonko. A sa place, ce sont des ministres, des Directeurs généraux, des Présidents de Conseil d’Administration, etc., qui devraient être sévèrement sanctionnés, au lieu d’être couvés.
Rappelons ses propos du 3 avril 2013 : « (…) Gouverner autrement, c’est bannir les passe-droits, le favoritisme et le trafic d’influence ; c’est mettre l’intérêt public au-dessus de toute autre considération et traiter tous les citoyens avec la même dignité et le même respect. » Traite-t-il le jeune Ousmane Sonko de la même manière que les délinquants qu’il protège sans état d’âme en mettant le coude sur les dossiers qui les compromettent ? Met-il l’intérêt public au-dessus de toute autre considération en ne faisant pas rendre gorge aux nombreux délinquants qui détournent nos maigres deniers ? Du parti ou de la Patrie, qui passe désormais avant ? Sans aucun doute le parti puisque, désormais, par sa politique franchement partisane, le Président de la République a divisé le Sénégal en deux camps pratiquement opposés : d’un côté, les femmes et les hommes de son parti, de sa famille et de sa coalition qui ont droit à tous les droits et, de l’autre, de nombreux compatriotes qui sont relégués au second plan et « obligés de supporter sa politique ». Stoïquement, espère-t-il.
On peut, dès lors, mettre légitimement en doute nombre de ses engagements, notamment celui à mettre en œuvre, une fois élu, « une politique transparente ». Dans cette perspective, il a mis en place, dès le début de son magistère, deux instruments qu’il considérait comme majeurs, du moins en apparence : le Code de transparence et le Ministère de la Promotion de la Bonne Gouvernance. Les observateurs avisés, même les Sénégalais considérés comme moyens se rendent comptent que ces instruments n’étaient que pure formalité, comme nombre d’autres structures ou institutions qu’il a par la suite créées. Les marchés de gré à gré sont encore dans nos murs. Parfois même, ils tendent à devenir la règle et les appels d’offres l’exception quand il s’agit, en particulier, desdits gros projets du Chef de l’Etat, auprès de qui l’ARMP ne trouverait plus grâce.
Et même si les tenants du pouvoir ont recours à l’appel d’offres, ils arrivent toujours, en usant de subterfuges sophistiqués, à attribuer le marché à l’entreprise de leur choix, qui renverra sûrement l’ascenseur. C’est, du moins, la version de compatriotes avisés qu’on entend souvent s’exprimer à travers les médias. De nombreux marchés ont fait ainsi jaser. C’est notamment le cas de celui du Building administratif attribué à ce fameux « vendeur de carreaux », qui « a eu l’intelligence de nouer un partenariat avec des Italiens ». Dix neuf milliards (19) de francs CFA pour la réhabilitation de ce bâtiment, même de neuf étages ! Vingt-et-un, avancent d’autres. Peut-être plus. Une réhabilitation qui coûte vraiment cher. Dans le même ordre d’idée, on peut évoquer le marché attribué à des Turcs pour la construction du Centre international de Conférences Abdou Diouf. Un marché de plus de 50 milliards de francs CFA. On peut rappeler Bigtogo et le marché des cartes d’identité de la CÉDÉAO attribué à des Malaisiens, les mêmes peut-être que ceux à qui Ousmane Ngom avait attribué le marché des passeports biométriques. Des marchés de gré à gré, il y en a de nombreux autres, connus du grand public ou tapis dans l’ombre, qui sont à mille lieues de la transparence que le candidat Macky Sall chantait sur tous les toits, qu’il continue de chanter sans état d’âme avec son bruyant entourage.
Le Président de la République ne croit pas, non plus, à la lutte contre la corruption, malgré des apparences bavardes et trompeuses. Il n’a créé l’OFNAC que pour donner l’impression qu’il met en oeuvre ses engagements et, en particulier, pour être en accord avec les conventions dites de la première génération adoptées par la Communauté internationale sur une période de sept ans (1996-2003), et dont la vocation est de recommander fortement aux différents Etats de mener une lutte sans merci contre la corruption. Il s’est passé ainsi beaucoup de temps entre la création de l’OFNAC (le 28 décembre 2012) et le démarrage effectif de ses activités (le 11 août 2014). La mise en place du budget de l’Office a connu les mêmes lenteurs. Pour l’année 2016, il était d’un milliard trois cents millions (1.300.000.000) de francs Cfa. Malgré la modestie de ce budget, l’équipe de l’OFNAC, avec à sa tête l’ancienne Présidente, abattit un travail important. Travail qui dérangeait manifestement le Président de la République, surtout après que deux compatriotes considérés comme ses amis ont été épinglés dans deux dossiers remis respectivement entre les mains du Procureur de la République de Louga et de Dakar. Dès lors, les jours de la Présidente étaient comptés. On connaît la suite. L’OFNAC est ramené aujourd’hui à des proportions beaucoup plus modestes. Le budget de 2017, 595.625.480 francs CFA, c’est le tiers de celui de 2016, pendant que le tout nouveau Haut Conseil des Collectivités territoriales (HCCT) et le Conseil économique, social et environnemental (CESE) se retrouvent respectivement avec des budgets de 6,500 milliards et 6,302 milliards de francs CFA. Le seul budget du Cabinet du Président de la République fait plus de quatre fois celui de l’OFNAC, qui a pour mission de lutter contre la corruption au Sénégal.
L’OFNAC est donc une sorte de trompe-l’œil pour le Président de la République du Sénégal. Pour s’en convaincre, il faut lire la « Déclaration de la République du Sénégal », au Sommet de Londres sur la lutte contre la corruption (12 mai 2016). Si ce texte n’était pas déjà long, des extraits de la fameuse déclaration vous seraient proposés. Vous vous rendriez alors compte à quel point le Président Sall s’est joué de nous et des partenaires techniques et financiers du Sénégal, avec la création de l’OFNAC. Il n’y croyait point et a atteint son objectif de reprendre en main l’Office désormais rabougri, inoffensif et ne constituant plus, partant, une menace pour les siens. Ici comme ailleurs, il a trahi ses engagements. ‘’Gouvernance transparente, sobre et vertueuse’’, ‘’ruptures’’, ‘’la Patrie avant le parti’’, etc., tous ces engagements ne sont plus que des slogans creux. Avec lui, la parole publique ne vaut plus un copeck. Peu lui importe ! Il se fixe désormais deux objectifs : gagner largement les prochaines élections législatives et se faire réélire triomphalement en février ou en mars 2019. Pour atteindre ces objectifs, aucun sacrifice, aucune manipulation, aucune compromission ne sera de trop. Il s’y investira du mieux qu’il pourra – il s’y investit déjà – avec, à ses côtés, sa tonitruante coalition dont les différentes composantes ont pratiquement la main mise sur le « gâteau » Sénégal qu’ils se partagent sans état d’âme, la plus grosse part revenant sans conteste à l’Alliance pour la République (APR) et à une partie de sa famille.
Dakar, le 25 octobre 2016
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