Dakarmidi – Cheikh Hadjibou Soumaré a décidé de renoncer à ses fonctions de président de la Commission de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa) pour, dit-il, «convenance personnelle». Il a expliqué, notamment aux autorités sénégalaises, qu’il ne pouvait plus supporter d’être titillé pour ne pas dire enquiquiné par ses interlocuteurs du Niger. Ces derniers ne cachent pas leur volonté de ravir au Sénégal le poste tant convoité de président de l’institution communautaire. Il est difficile de discuter à une personne son droit de renoncer à un mandat qu’elle exerce, mais la démission, surprenante et fracassante de Cheikh Hadjibou Soumaré, est aussi frustrante ou même devrait susciter la colère
En effet, le Sénégal et le Président Macky Sall qui se sont battus, plus que de raison, pour lui permettre de conserver le poste cela, plusieurs mois durant après l’expiration de son mandat, ne méritent pas d’être payés en retour de la sorte. Pour Cheikh Hadjibou Soumaré, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase serait un incident survenu lors de la dernière session du Conseil des ministres de l’Uemoa, tenu à Ouagadougou. La représentante du Niger a eu à manquer de respect au président de la Commission, en le narguant de chercher à s’accrocher à son poste. L’attitude peu diplomatique de la ministre nigérienne a été fustigée par ses pairs et elle a dû retirer ses propos. Même si la forme n’y était pas, la ministre nigérienne a été peut-être dans son rôle, celui de chercher à défendre les intérêts de son pays. La susceptibilité de Cheikh Hadjibou Soumaré n’en aurait pas moins pris un coup et il décida de jeter l’éponge. L’excuse ou l’alibi serait trop facile. Ce serait la conséquence d’une susceptibilité de mauvais aloi. Comment Cheikh Hadjibou Soumaré peut-il ne pas supporter une attaque d’une simple ministre qui, plus est, a été désavouée séance tenante par tous ses pairs, alors que son sort avait provoqué un bras de fer épique opposant les chefs d’Etat Macky Sall et Mahamadou Issoufou ?
A l’occasion du Sommet des chefs d’Etat de l’Uemoa en janvier 2016 à Cotonou, la confrontation entre les deux chefs d’Etat avait été si violente que tous les ministres, ainsi que Cheikh Hadjibou Soumaré lui-même, avaient été vidés de la salle pour qu’ils ne continuent pas à être les témoins des empoignades entre chefs d’Etat. Comme le dit l’adage : «Qui peut le plus peut le moins.» Si Cheikh Hadjibou Soumaré avait pu souffrir des diatribes de Mahamadou Issoufou ou avait pu être à l’origine des échanges de propos discourtois entre deux chefs d’Etat, force est de dire que les escarmouches d’une ministre ne devraient pas l’émouvoir outre mesure.
Cheikh Hadjibou Soumaré a indiqué qu’il «ne souhaite plus se présenter devant le Conseil des ministres de l’Uemoa». A la vérité, son attitude se révèle être la conséquence d’un orgueil mal placé. S’il ne s’agissait que d’une question d’ego ou d’orgueil, Cheikh Hadjibou Soumaré n’aurait pas attendu aussi longtemps pour démissionner. Il s’était toujours accommodé des critiques virulentes contre sa personne du fait que son frère utérin, Malick Camara Ndiaye, dirigeait la Cour des comptes, organe de contrôle communautaire.
En outre, au journal Le Quotidien, nous sommes bien placés pour savoir que l’orgueil de Cheikh Hadjibou Soumaré ne va pas à l’encontre de ses intérêts du moment. En 2011, nous avions révélé que Cheikh Hadjibou Soumaré allait être proposé par le Président Wade au poste de président de la Commission de l’Uemoa. Cet ancien Premier ministre était alors établi à Dubaï où il gérait ses affaires, mais il nous apporta un démenti cinglant et courroucé à travers les ondes de la Radio futurs médias (Rfm). Il indiquait qu’il n’était candidat à rien et que si jamais une telle proposition lui serait faite, il la déclinerait. Deux mois plus tard, Cheikh Hadjibou Soumaré avait accepté de supplanter le Commissaire du Sénégal, Elhadj Abdou Sakho, pour occuper finalement le bureau de président de la Commission de l’Uemoa à Ouagadougou, sous les huées et les diatribes des officiels du Niger.
Mieux, la séance de prestation de serment pour son installation avait été bloquée pendant de longues heures du fait d’incidents diplomatiques et d’un recours introduit par son compatriote qui finira par introduire une plainte auprès de la Haute cour de justice de l’Uemoa pour licenciement abusif. Déjà, après le Sommet de Cotonou du début de l’année où les Présidents Macky Sall et Mahamadou Issoufou s’étaient donné en spectacle, des proches bien connus de Cheikh Hadjibou Soumaré faisaient circuler dans les rédactions des médias la rumeur que l’attitude du Président Macky Sall n’était point justifiée par une volonté de défendre Cheikh Hadjibou Soumaré, mais que «le chef de l’Etat du Sénégal avait dans ses bagages un autre candidat présent dans la salle».
Nous qui étions présents à Cotonou et qui avions croisé le fer avec la délégation du Niger, et qui étions en contact direct avec le président Soumaré, nous avions véritablement été très choqués par une telle inconvenance. Mais cela semblait conforter un ancien mentor de Cheikh Hadjibou Soumaré qui mettait en garde les plus hautes autorités sénégalaises leur disant : «Vous le soutenez, mais il n’hésitera pas un instant à vous lâcher si ses propres intérêts le lui commandent.» Il est triste que cette personnalité ait eu raison de cette façon. Déjà, grande avait été la surprise de la délégation du Sénégal à Cotonou de voir le Président du Niger sortir un protocole additionnel paraphé par le Président Wade et dans lequel le chef de l’Etat du Sénégal s’engageait à céder le poste au Niger à l’expiration d’un mandat unique de Cheikh Hadjibou Soumaré. Le président de la Commission de l’Uemoa ne pouvait pas ignorer l’existence d’un tel document, mais s’était bien gardé d’en informer le Président Macky Sall.
Il reste qu’on verra de brillants esprits faire l’éloge d’un geste peu commun. Il est en effet rare de voir des personnalités abandonner ainsi une fonction prestigieuse et bien rémunérée. Seulement, la démission de Cheikh Hadjibou Soumaré fragiliserait la position du Sénégal qui cherche à conserver le poste de président de la Commission de l’Uemoa que le Président Abdoulaye Wade avait fini d’inscrire, depuis 2006, dans une logique de rotation à laquelle il était le seul à croire, parmi les chefs d’Etat, membres de l’Uemoa. Certes, Cheikh Hadjibou Soumaré n’avait pas été le candidat originel, encore moins l’homme de Macky Sall, mais ce dernier l’a défendu et soutenu et s’est donc dévoué pour la cause, au nom du principe de préservation des intérêts nationaux de son pays.
La pilule peut bien être amère, mais elle doit constituer une motivation supplémentaire pour les autorités sénégalaises de se battre pour garder le poste, comme le font des pays comme la Côte d’Ivoire pour le poste de gouverneur de la Bceao et le Bénin pour le poste de président de la Boad. Le Sénégal ne pourrait pas être la deuxième économie de l’espace Uemoa sans pour autant détenir un portefeuille au sein des institutions communautaires. Le Président Sall et son gouvernement doivent se donner les moyens de préparer un candidat du Sénégal pour garder le poste. Ce serait la meilleure réponse à donner au Niger et à Cheikh Hadjibou Soumaré pour qui le Sénégal a assurément tout fait, mais qu’il aura ainsi trahi. Il a préféré son confort psychologique aux intérêts de son pays.