Dakarmidi – 10 ans après le boycott des élections législatives de 2007, le Sénégal connait à nouveau un scrutin parti pour être difficile, avec risque de contentieux postélectoral. Les acteurs politiques qui ont changé de camp entre temps apprécient de manière différente les deux évènements.
L’organisation des élections législatives posent déjà énormément de problèmes en ce sens qu’il y a beaucoup de manquements notés à la fois par l’opposition et la Société civile. Outre les partis et coalitions, le mouvement Y’en à marre et Seydi Gassama de Amnesty Sénégal ont déjà appelé à la démission du ministre de l’Intérieur, Abdoulaye Daouda Diallo. Déjà sur beaucoup de questions, les acteurs ne sont pas parvenus à un consensus. Il y a quelques mois, il était question des 15 députés de la diaspora dont la loi a été portée à l’Assemblée en plein discussion avec l’opposition. Récemment, la révision de l’article L78 pour permettre aux électeurs de prendre au moins 5 bulletins en lieu et place des 47 dans leur totalité a été dénoncée par une partie des opposants. Devant les problèmes de distribution des cartes dans les commissions, il a été décidé de délocaliser la distribution, en acheminant les cartes directement dans les lieux de vote. Le camp d’en face a crié à une tentative de fraude.
Face à la difficulté de la Direction de l’automatisation du fichier (Daf) à éditer les cartes, le président de la République a révélé qu’il a saisi le Conseil constitutionnel pour que les citoyens qui n’ont pas leurs cartes d’électeurs puissent voter avec les autres pièces telles que la carte d’identité nationale, le permis ou le passeport. Là aussi, le reste de la classe politique s’y est opposé. Selon les adversaires de Macky Sall, une telle décision doit être concertée, parce qu’il s’agit d’une violation de la loi. Ensuite, d’après eux, il s’agit d’une faute du pouvoir qu’il doit assumer au lieu de la faire réparer par des voies détournées. En résumé, durant tout ce processus, il y a eu rarement consensus entre la majorité présidentielle et l’opposition.
Ainsi, au vu de ces péripéties, ces élections législatives rappellent à bien des égards celles de 2007. À l’époque, il y a eu beaucoup de contestations de la part de l’opposition. En fait, l’élection présidentielle a eu lieu en mars 2007. Avant la tenue du scrutin, les opposants et nombre d’observateurs étaient persuadés que, Me Wade, le candidat sortant serait contraint à un second tour à l’issu duquel il perdrait le pouvoir. À la surprise générale, le Vieux passe au premier tour, avec 55% des suffrages valablement exprimés. L’opposition avait alors crié à une fraude électorale. C’était les premières élections avec les anciennes cartes d’identité et d’électeur numérisées.
Rewmi, le PS, l’AFP, la LD, le PIT et autres avaient alors exigé l’audit du fichier électoral. Ce que le nouveau vainqueur avait refusé. Ces adversaires de Me Wade décident alors de boycotter les Législatives du 3 juin 2007, avec comme justification la nécessité de sauver la démocratie sénégalaise en danger. ‘’La proposition de notre Front faite au président de la République, pour l’instauration d’un dialogue politique sérieux sur la matière électorale, entre dans cette perspective. La définition concertée des termes d’un processus électoral transparent et démocratique : telle est l’exigence du Front Siggil Sénégal’’, écrivaient les camarades de Niasse, Idy et Tanor dans une déclaration daté du 24 mai 2007.
‘’Aucun parti de l’opposition ne boycottera…’’
Aujourd’hui encore, l’histoire semble se répéter, mais chez les acteurs politiques, les faits sont différemment appréciés, selon qu’on se situe dans un camp ou dans un autre. Bien que reconnaissant quelques éléments qui se ressemblent entre 2007 et 2017, Modou Diagne Fada écarte d’office toute idée de politique de la chaise vide. ‘’Aucun parti de l’opposition ne boycottera. Ce serait leur faciliter la tâche. L’opposition d’alors qui avait boycotté l’a fortement regretté. Je pense que le dernier boycott d’une élection au Sénégal risque de remonter à 2007’’, soutient-il. D’après Modou Diagne Fada qui était pourtant en ce moment en rupture de ban avec Me Wade, on ne peut pas réellement parler de similitudes dans la mesure où les contestations n’étaient pas fondées. En plus, elles étaient intervenues à quelques jours du vote, mais bien avant la campagne. Ce qui fait dire à Fada qu’il y a aujourd’hui des griefs réels, alors qu’en 2007, c’est l’opposition qui n’était pas prête.
Une appréciation totalement différente de celle d’Ibrahima Sène du Pit, parti qui était à l’époque parmi les boudeurs. D’après M. Sène, ‘’le boycott des Législatives de Juin 2007 était consécutif au refus du Président Wade d’ouvrir des concertations sur l’élection présidentielle de Février 2007 pour en auditer les résultats qui lui ont donné la victoire dès le premier tour’’. ‘’Manifestement, ces résultats étaient entachés de fraude pour devoir amener le Président Wade à refuser catégoriquement ces concertations’’, s’exclame-t-il. Aujourd’hui, membre de la mouvance présidentielle, lui non plus ne voit pas de similitudes entre les situations, mais avec une lecture bien différente de celle de Modou Diagne Fada.
‘’On va tout droit vers des contestations…’’
D’après lui, une partie de l’opposition tente d’utiliser l’incapacité de la DAF et des autorités administratives d’éditer et de distribuer à 100% les cartes CEDEAO pour créer des tensions. De son point de vue, le problème ne se pose pas pour les 70% des électeurs qui ont leur carte. Et que le taux pourrait atteindre 90% d’ici le jour du vote, sachant que, précise-t-il, une distribution des cartes à 100% n’a jamais eu lieu dans l’histoire électorale du Sénégal. En d’autres termes, une ‘’solution objective’’ a bien été proposée pour des élections apaisées. ‘’Ce contentieux est donc un artifice d’une partie de l’opposition pour créer les conditions d’un report des élections, ou, à défaut, un contentieux post électoral devant leur permettre de rejeter les résultats du scrutin du 30 juillet’’, accuse-t-il.
Si tous les deux interlocuteurs redoutent une période de contentieux postélectoral, l’angle sous lequel la situation est appréciée n’est pas le même. Modou Diagne Fada est formel. ‘’On va tout droit vers des contestations des prochaines élections. À moins que ce que nous redoutons n’ait pas lieu’’, avertit-il. Ce qu’ils redoutent, c’est que le vote prévu avec ‘’n’importe quelle pièce’’ puisse ouvrir la voie à la fraude. Si c’est le cas, il promet une opposition et une contestation, ‘’par les voies de Droits’’. Ibrahima Sène lui, par contre, estime que c’est l’autre camp qui veut empêcher une partie des citoyens à pouvoir voter, afin de mieux préparer son coup. ‘’Une partie de l’opposition s’inscrit déjà dans une perspective de contentieux électoral dans lequel il voit un moyen de contester les résultats dans la rue, et de chercher à faire tomber le pouvoir. Il est inutile de se voiler la face sur cette perspective’’, interpelle-t-il. Partant de cette conviction, il invite l’Etat, le cas échéant à défendre les institutions, sans cruauté inutile.
BABACAR WILLANE