Dakarmidi – La dernière fois, au téléphone, j’avais tenu a lui parler. C’était il y a un an. Parce que je le tenais en haute estime. Je connaissais, comme beaucoup, sa bonté, sa générosité et son humanisme. Son talent. Et nos racines Kaolackoises.
Il me rappelait mes années de jeunesse dakaroises avant que je ne prenne le grand large.
Retour en arrière. Nous sommes en 1980. Revenus de notre voyage d’études en Europe et en Amérique du Nord, avec mes deux amis Cestiens, Alioune Toure Dia et THIERNO Balde, formant le trio des têtes brûlées du Cesti au point que nos profs blancs n’osaient pas nous associer à des rencontres, où il y avait des chefs d’état, de peur que nous mettions le feu aux poudres, c’est avec LOUM et ses amis d’alors, tous aussi décédés, comme Dia et Balde, que nous nous retrouvions pour casser Dakar by night. Nous avions de l’énergie et de la folie furieuse à déverser.
Or, ça tombait bien. C’étaient les débuts de Youssou Ndour. Au Djender qui deviendra ensuite le Kili. En face, à Soumbedioune, c’était Kher-bi, le coin des after-nighters. Thiapathioly résonnait. Alla Seck, en boubous baye fall, mettait de l’ambiance. Le Mbalax montait en puissance. La pachanga déclinait. La ré-africanisation du Sénégal prenait son envol…
La bande de Loum, à laquelle les cadets avaient fini par s’identifier, s’y trouvait à l’avant-garde. Elle comptait le fringant cameraman Cheikh Mbacke Guisse, que Youssou chantant dans Tabaski, avant sa mort, aussi soudaine que précoce, dans un accident de voiture en partant au Djolof. Une étoile filante. Il y avait aussi le taciturne mais brillant Abdallah Faye et le stratège Chérif Elvalide Seye. LOUM, Abdallah et Chérif habitaient dans les HLM Soumbedioune où, jeunes diplômés du Cesti, ils partageaient un pavillon.
Le soir, nous les y rejoignions et nous débattions jusqu’à ce que les nerfs s’échauffent. À ces moments précis, LOUM savait jouer de son statut d’ainé d’un lot où dominaient par le nombre les Kaolackois, notamment des Sokonois, tous issus du lycée d’élite Gaston Berger, actuel Lycée Wakdiodio Ndiaye. Quand l’atmosphère était survoltée, il remettait de l’ordre, en nous disant : “Nopilenne, Guneh-Nguenes!”, Taisez-vous, vous êtes des gamins !!! La paix revenait et la fête pouvait reprendre.
Puis tous ensemble nous nous rendions à pied au Djender où nous avions toujours la meilleure table. C’est vrai que Youssou Ndour comprenait ce qu’il devait à ce groupe, le premier à l’avoir adoubé. “La musique nationale. m’expliquait Chérif, en ces moments d’extase, c’est comme l’indépendance nationale; on la prend, on l’adopte puis on discute, on l’améliore”.
Je garde le meilleur des souvenirs de cette Bande de joyeux drilles, audacieux et talentueux ayant fait du chemin, inspiré tant de jeunes. Et marqué Dakar. Venus de l’hinterland, du Saloum, pour la plupart, de Khombole, Thiès où Linguere, nous étions les garçons dans le vent…
Amadou Mbaye LOUM ajoutait son aura télévisuelle dans un contexte ou alors parler sur le petit écran cathodique relevait d’une certaine…magie.
Helas, paupieres refermées, il est maintenant avec les autres membres de notre groupe, trop nombreux, ayant déjà rejoint le ciel.
Il restera cependant pour ceux qui l’ont connu quelqu’un qui, par humanisme et générosité, a voulu vivre sa vie passionnément, intensément, y compris ses lubies dont la chose militaire n’était qu’une des variantes. Il rejoint nos amis : tous ayant marqué, comme lui, leur passage sur terre -fabuleusement !
Ces nuits passées ensemble avec notre groupe, nos audaces et défis face aux ordres éculés, notre amour pour la joie de vivre, nos fragilités humaines, notre munificence et nos éclats de voix et sur les pistes de danse autant que nos rêves d’implanter, en venant du bas de l’échelle sociale, ce métier de journaliste en gestation dans notre pays -quelle histoire.
Je témoigne, comme l’a dit le copain Youssou Ndour (je ne parle pas du politicien), que, oui, Amadou Mbaye LOUM, Cheikh Mbacke Guisse, Abdallah Faye, Chérif Elvalide Seye, Toure Dia, Thierno Balde furent des acteurs de premier plan. Leurs vies n’ont pas été vaines.
Ils laissent un grand vide tant il est vrai que plus nombreux et fous nous fûmes…impressionnants.
Amis, dormez en paix. Nous prions pour les repos mérités de vos âmes désormais en compagnie de celle du Général de la bande.
Ps: Pour dérider une atmosphère lourde, cette histoire: elle remonte à la fin des années 70, quand LOUM est désigné pour partir couvrir la guerre du Congo, au Shaba. Un technicien, truculent, de la RTS, doit l’y accompagner. Ce dernier arrive chez lui non loin de la cité du Port, aux HLM 6, et jette furieusement son sac par terre, avant de dire à son épouse: prépare mes bagages, je vais à la guerre. Madame et les enfants se mettent à pleurer. Il leur dit: “Taisez-vous, c’est moi qui vais en guerre et je ne pleure pas”.
Avant de conclure, fier, par un tonique: “khayy”, sur un ton et une expression fortement connus par tout Saloum-Saloum. En quittant ce jour-là son domicile en route vers l’aéroport pour couvrir, camera au poing, quelques images lointaines du théâtre des opérations, ses enfants, connaissant leur Tartarin de Père, le suivirent jusqu’à la voiture de la RTS en disant, à haute voix, pour que tout le quartier soit alerté :“Notre père va à la guerre”!
Ce compagnon de LOUM, dans l’une de ses nombreuses aventures sur le front, est une autre facette de ces années-la, décidément pas comme les autres. C’était un grand et agréable Sénégal !