Dakarmidi – La Justice est l’un des rares corps de l’Etat à porter le nom d’une vertu. C’est un pilier essentiel de la République, de la démocratie, de la vie tout court… La Justice est cette institution qui permet la vie en société par la protection des personnes et des biens de chacun. Lorsqu’un élément du corps social porte atteinte à autrui ou à l’ordre public, elle le sanctionne pour rétablir l’harmonie sociale. Cette sanction a vocation à punir la faute commise, mais aussi et surtout à reclasser socialement le fautif.
Au Sénégal, la justice, animée d’une culture du tout-répressif, malmène, casse, détruit… Tous ceux qui y ont eu la malchance de se retrouver dans les crocs de notre système judiciaire, y compris pour des infractions liées à l’exercice de libertés démocratiques, s’en tirent oblitérés à jamais, exclus de l’insertion sociale, s’ils ne sortent pas tout bonnement de prison sur une civière à destination du cimetière…
Ceux qui n’ont pas fait l’expérience de la détention ne peuvent pas se rendre compte de l’ampleur de la mortalité en milieu carcéral, de la dangerosité des conditions sanitaires, de la prégnance des actes de torture… Quiconque en doute n’a qu’à interroger certains détenus célèbres comme Karim Wade ou Assane Diouf. Leurs cas ne sont toutefois que la partie émergée de l’iceberg sous lequel croulent des milliers de pauvres et anonymes prisonniers entassés comme des sardines dans des cellules surpeuplées, nourris avec quelques poignées de main de « diagan », peu ou pas soignés…
Le cas de Cheikh Diop, dont le bras a été amputé pour cause de mauvaise prise en charge médicale, est symptomatique de l’enfer de nos prisons. Cet émigré jeté dans la jungle de Rebeuss en est sorti totalement décimé. Quand il a voulu réclamer réparation du lourd préjudice qu’il a subi, la même justice qui l’avait embastillé l’a éconduit. Plongé dans le désespoir et l’abandon, il a commis l’acte fatal qui l’a emporté… Son geste peut se comprendre, même s’il est difficile à approuver compte tenu de la charge négative du suicide dans un univers culturel musulman.
L’affaire Cheikh Diop n’est pas un fait divers à ranger aux oubliettes au gré du turnover de l’actualité. Elle invite à une réflexion et à une réforme de notre justice et de ses prisons. Parmi les urgences, il y a le bannissement du tout-prison et la formation à la culture des droits de l’homme de notre administration pénitentiaire.
Tant que le Sénégal fera l’économie de cette mutation civilisationnelle, la justice restera cette machine infernale à broyer du citoyen.
Cheikh Yérim Seck