Dakarmidi – Vitrine démocratique en Afrique par sa stabilité politique et sociale depuis l’indépendance, le Sénégal a un visage très contrasté dans le domaine de la liberté de la presse et de la liberté d’expression.
Si la liberté de la presse et la liberté d’expression sont garanties par la Constitution de 2001, l’arsenal juridique datant de 1965, est très répressif. Le projet de Code de la presse, adopté en Conseil des ministres en mai dernier, s’inscrit aussi dans la lignée répressive.
Ce texte, s’il était adopté tel quel par l’Assemblée nationale ce mardi 20 juin 2017, ne serait pas à la hauteur des attentes des acteurs des médias et surtout, du renforcement de la liberté de la presse.
I/ Constitution progressiste de 2001
La Constitution du 22 janvier 2001 est incontestablement, l’une des constitutions les plus démocratiques au monde avec l’affirmation de tous les droits fondamentaux du citoyen.
Dans son Préambule, la Constitution du Sénégal affirme son adhésion à tous les textes fondateurs des droits de l’homme et du citoyen, notamment :
- La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 ;
- La Déclaration universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 ;
- La Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples du 27 juin 1981.
Le Préambule affirme également «son attachement à la transparence dans la conduite et la gestion des affaires publiques ainsi qu’au principe de bonne gouvernance».
Le constituant sénégalais proclame aussi :
- «le respect des libertés fondamentales et des droits du citoyen comme base de la société sénégalaise ;
- le respect et la consolidation d’un État de droit dans lequel l’État et les citoyens sont soumis aux mêmes normes juridiques sous le contrôle d’une justice indépendante et impartiale…».
De manière spécifique, la liberté de la presse et le droit d’expression sont matérialisés très fortement dans les articles 8, 10 et 11 de la Constitution.
«La République du Sénégal garantit à tous les citoyens les libertés individuelles fondamentales, les droits économiques et sociaux ainsi que les droits collectifs. Ces libertés et droits sont notamment :
- les libertés civiles et politiques : liberté d’opinion, liberté d’expression, liberté de la presse, liberté d’association, liberté de réunion, liberté de déplacement, liberté de manifestation
- les libertés culturelles…
- les libertés philosophiques
- le droit à l’éducation…
- le droit à l’information plurielle» (art.8).
«Chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement ses opinions par la parole, la plume, l’image…(art.10).
«La création d’un organe de presse pour l’information politique, économique, culturelle, sportive, sociale, récréative ou scientifique est libre et n’est soumise à aucune autorisation préalable» (art.11).
Cette constitution très progressiste, adoptée en 2001, dans la foulée de la première alternance démocratique au Sénégal, a proclamé des droits qui n’ont malheureusement qu’une portée déclarative, car le Code pénal et le Code de procédure pénale, qui datent de 1965 et plusieurs fois amendés, sont très répressifs pour la liberté d’expression et la liberté de la presse.
Il en est ainsi des dispositions du Code pénal, relatives à «l’information militaire» (art. 64), aux «troubles politiques» (art. 80), à l’«offense au chef de l’État» (art. 254), à la «diffusion de fausses nouvelles» (art. 255), à la «diffamation» (art. 258), etc.
Beaucoup de dispositions pénales contenues dans ces lois, mettent en avant la primauté de l’autorité administrative sur le citoyen. Archaïsme confirmé dans le projet de Code de la presse.
II / Code de la presse vidé de sa substance
En septembre 2009, l’ancien Président de la République, Me Abdoulaye WADE, avait lancé une concertation nationale pour l’élaboration d’un projet de Code de la presse marqué par la substitution des peines de prison par des sanctions administratives et pécuniaires.
Cette concertation nationale a conclu ses travaux en octobre 2010. Malheureusement, ce projet de Code de la presse consensuel n’a jamais été accepté par les majorités présidentielles successivement sous Me Abdoulaye WADE et Macky SALL.
Rupture du consensus sur le projet de Code de la presse
Le projet de Code de la presse de 2010 a été réécrit en septembre 2016 pour réintroduire les peines d’emprisonnement des journalistes. L’acceptation de ce nouveau texte par les acteurs des médias était conditionnée à la prise en compte des amendements qu’ils ont formulés.
Pour cela, le ministère de la Culture et de la Communication devait leur soumettre le projet de Code avant son dépôt en Conseil des ministres. C’était la condition pour que le projet de Code de la presse reste consensuel.
Pour les professionnels des médias, la concession de la réintroduction des peines d’emprisonnement était contrebalancée par les acquis du nouveau projet de code : statut du journaliste avec une barrière de diplomation pour l’entrée dans la profession ; rétablissement de la carte nationale de presse ; commission d’attribution de la carte de presse présidée par un professionnel des médias ; institutionnalisation de l’entreprise de presse avec un statut spécifique sur les plans juridique, économique et fiscal ; création d’un fonds d’appui et de développement de la presse ; remplacement du Conseil national de Régulation de l’Audiovisuel (CNRA) par l’Autorité de Régulation de l’Audiovisuel (ARA) ; libération de ressources publicitaires pour l’audiovisuel privé par le financement de la RTS sur le budget de l’État ; rémunération de la mission de service public des médias privés…
En définitive, le projet de Code de la presse, adopté par le Conseil des ministres en mai 2017, n’a pas tenu compte des amendements des acteurs des médias et appauvri substantiellement le texte.
Aujourd’hui, on ne peut donc plus parler de code consensuel, tel que cela est affirmé de manière abusive dans l’exposé des motifs du projet de loi N°14/2017 portant Code de la presse.
Par ailleurs, le projet de Code consensuel de 2010 avait introduit des normes qui garantissaient la liberté de la presse. Comparativement, le projet de Code, adopté par le Conseil des ministres en mai 2017, signifie incontestablement un recul démocratique.
Fermeture d’un organe de presse
La saisine de la justice en cas de fermeture d’un organe de presse a été modifiée.
Projet de Code 2017 (article 192) :
«En cas de circonstance exceptionnelle, l’autorité administrative compétente (Gouverneur, Préfet ou Sous-préfet) peut, pour prévenir ou faire cesser une atteinte à la sécurité de l’État, à l’intégrité territoriale, ou en cas d’incitation à la haine ou d’appel au meurtre, peut ordonner :
- la saisie des supports de diffusion d’un organe de presse ;
- la suspension ou l’arrêt de la diffusion d’un organe de presse ;
- la fermeture provisoire de l’organe de presse.
La décision de l’autorité administrative doit être écrite, motivée et notifiée au responsable de l’entreprise de presse concernée. Ce dernier peut saisir immédiatement la juridiction suprême compétente en matière administrative d’un recours en annulation et en suspension de la décision.
Des poursuites en réparation pour voies de fait, en violation d’un droit fondamental, peuvent également être exercées devant le Tribunal de Grande instance du ressort».
Ici, ce ne sont pas les motifs de la décision de l’autorité administrative qui posent problème, mais les abus qui pourraient en être faits si ce n’est pas encadré par la justice. Dans le projet de Code consensuel de 2010, l’autorité administrative devait faire valider dans les 48 heures sa décision par le tribunal.
Projet de Code consensuel de 2010 :
«Sous peine de caducité, la décision de l’autorité administrative compétente doit, à la diligence de cette dernière, être confirmée dans les quarante-huit (48) heures de son prononcé, par une ordonnance du Président du tribunal d’instance du lieu où est établi le siège de l’organe de presse.
L’ordonnance du Président du tribunal peut être déférée devant le juge de l’excès de
pouvoir». Face à l’administration, l’intervention de la justice est un gage pour la démocratie.
Des droits des journalistes et techniciens des médias
Si l’article 5 du paragraphe 2 portant des droits des journalistes est adopté, le champ d’action des journalistes sera considérablement réduit.
Projet de Code 2017 (article 5) :
«Le journaliste et le technicien des médias ont droit au libre accès à toutes les sources d’information et d’enquêter sans entraves sur tous les faits d’intérêt public, sous réserve du respect du «secret-défense», du secret de l’enquête et de l’instruction et de la réglementation applicable à l’accès à certains sites ou structures».
La formulation du projet de code consensuel de 2010 était garante d’une plus grande liberté de la presse : «Le journaliste et le technicien de la communication sociale ont droit au libre accès à toutes les sources d’information et d’enquêter sans entraves sur tous les faits d’intérêt public ; le secret des affaires publiques ou privées ne peut lui être opposé que par exception dûment motivée».
La divulgation de l’information militaire est déjà sévèrement sanctionnée par les articles 64 et suivants du Code pénal sénégalais.
Rectification et droit de réponse
Le projet de Code de la presse 2017 introduit deux régimes différents selon qu’il s’agit de la presse écrite et de la presse en ligne ou de l’audiovisuel. La rectification et le droit de réponse sont régis par les articles 84 à 90 pour la presse écrite, les articles 84 à 90 et 185 pour la presse en ligne, l’article 99 pour la presse audiovisuelle.
Le projet de code introduit exclusivement pour la presse écrite et la presse en ligne «les rectifications adressées par un dépositaire de l’autorité publique». Cette disposition, qui consiste à introduire un régime dérogatoire, différent de celui de «toute personne physique et morale», est extrêmement grave et viole la Constitution.
«Toute personne physique et morale» inclut toutes les autorités, y compris les «dépositaires de l’autorité publique». Par ailleurs, le système pénal sénégalais réglemente suffisamment les atteintes aux dépositaires de l’autorité publique sous différentes formes.
La rectification et le droit de réponse sont aussi sanctionnés différemment selon qu’il s’agit de la presse audiovisuelle ou de la presse écrite et de la presse en ligne.
Pour la presse audiovisuelle, les dispositions du seul article 99 préconisent des conditions identiques pour le droit de réponse ou de rectification que l’émission incriminée : «Le droit de réponse est diffusé dans les conditions techniques et d’audience équivalentes à celles de l’émission qui l’a provoqué.
La durée de la réponse est limitée à celle de l’émission qui l’a provoquée». À signaler qu’il n’y a nullement trace d’un «dépositaire de l’autorité publique».
Pour la presse écrite et la presse en ligne, le «dépositaire de l’autorité publique» a un traitement de faveur : les «rectifications ne dépasseront pas une fois et demie la longueur de l’article auquel elles répondront». Cela n’a pas de sens et représente un surcoût économique pour la presse écrite.
Le projet de Code, adopté en Conseil des ministres, comporte beaucoup d’autres dispositions sujettes à caution : l’inflation des peines d’emprisonnement qui passent d’un maximum de trois à cinq ans, des amendes de 5 à 30 millions FCFA, l’astreinte par jour de retard à 500 mille FCFA…
L’emprisonnement prolongé et la sanction financière exorbitante sont désormais de réelles menaces pour la liberté de la presse. Malgré des avancées indéniables sur le statut du journaliste, la carte de presse, l’institutionnalisation de l’entreprise de presse et la création d’un fonds pour la presse, le projet de Code de la presse 2017, représente un recul démocratique pour la liberté de la presse, telle que consacrée par la Constitution de 2001.
Mamadou Ibra KANE,
Membre du Comité scientifique du projet de Code de la presse 2010