Dakarmidi – Le ministre de l’Intérieur est le premier policier du pays. Le ministre de l’Intérieur est, par voie de conséquence, le premier patriote du pays. La troisième flèche dans le carquois est révélée par Jean-Pierre Chevènement qui ajoute : « Le ministre de l’Intérieur est la femme de ménage du gouvernement ». Paroles d’expert, car l’ancien député-maire-sénateur du territoire de Belfort fut ministre de l’Intérieur dans un des gouvernements socialistes de François Mitterrand. La vocation est donc toute fixée : « la femme de ménage du gouvernement » bosse mais ne bavarde pas. A l’émission « cartes sur table », le ministre Aly Ngouille Ndiaye a dit, sans fioritures, ce qu’il va faire et tout ce qu’il va faire. En d’autres termes, le ministre de l’Intérieur a abattu ses cartes sans fards. Maladresse langagière ou trébuchement politique ?
En tout cas, les opposants sont scandalisés, la majorité présidentielle est sonnée par ce coup de hache dans le Dialogue et la Concertation, asséné par un membre du gouvernement, tandis que les observateurs restent médusés. Sans jouer aux Cassandres, on peut affirmer que la houle est, d’ores et déjà, convoquée au rendez-vous de l’année électorale 2019. L’irréparable étant réfractaire à toute réparation, le ministre de l’Intérieur a apporté de l’eau au moulin de ceux qui croient, dur comme fer, que le ministre en charge des Elections doit être recruté et nommé parmi des personnalités situées en dehors du landernau politique. Un point de vue discutable et une revendication peu convaincante que tout républicain – soucieux du progrès continu et du rayonnement démocratique du Sénégal – récuse. En démocratie, celui qui est légitimé par les urnes (Macky Sall a été bien élu en, 2012, par les Sénégalais et non par les Argentins) et ceux qui tirent leurs prérogatives des dispositions de la Constitution (elle-même votée voire plébiscitée par voie référendaire) peuplent l’Exécutif, et, à ce titre, ils gouvernent sans restrictions, en ayant les coudées franches. Les seules restrictions sont fixées par les barrières qui séparent la légalité de l’illégalité.
Tout autre arrangement autour de la personne en charge des scrutins – y compris par une formule consensuelle – décrisperait ponctuellement la situation, mais forgerait durablement un ersatz de démocratie pour le Sénégal. En France, à Maurice, en Espagne, au Cap-Vert, en Israël etc. ce sont des ministres issus de la majorité qui sont aux commandes du calendrier électoral. Certes les jurisprudences du Général Lamine Cissé et de l’Administrateur civil Cheikh Guèye sont vantées, mais elles reposent plus sur « l’efficacité électorale » (admirez les guillemets !) que sur l’orthodoxie républicaine. Du reste, les expériences Cissé et Guèye sont des références ambivalentes : elles réjouissent les opposants mais paniquent les tenants du pouvoir. En 1998, le Président Abdou Diouf a remplacé le socialiste, Abdourahmane Sow, par le militaire Lamine Cissé : il est tombé, deux ans plus tard, en 2000. Peu avant 2012, le Président Abdoulaye Wade a éloigné le libéral Ousmane Ngom (sans le démettre) puis confié le levier électoral au haut-fonctionnaire, Cheikh Guèye : il a rejoint Abdou Diouf dans le repos définitif. Convenez-avec moi que de tels précédents n’enthousiasment pas Macky Sall !
Comble de maladresses, c’est en pleine guerre des tranchées autour de ce point de frictions – faut-il placer, oui ou non, un militant de Parti à la tête du ministère de l’Intérieur ? – que l’apériste Aly Ngouille Ndiaye – a dégoupillé et balancé la grenade incendiaire sur la scène politique. Une boule de feu qui le fragilise, lui-même, et embarrasse sérieusement l’APR qui masque mal sa gêne, derrière le rideau des communiqués agressifs contre l’opposition et la société civile. Quand un ministre de l’Intérieur va à « cartes sur table », il pose inévitablement quelques cartes sur la table, mais range subrepticement les plus précieuses, dans son cartable. Au demeurant, le ministère de l’Intérieur est tellement outillé et omniprésent dans l’organisation des élections (confection et dispatching des cartes d’identité et des bulletins de vote, logistique colossale, commandement territorial, maintien de l’ordre, feu vert pour la prolongation du vote etc.) que son titulaire ne confesse jamais son appartenance politique qui est pourtant évidente (presque marquée sur le front) mais normalement masquée par le sacerdoce républicain. Sur la tête du ministre de l’Intérieur, la casquette républicaine couvre habituellement sinon écrase le calot de l’homme politique. Même dans le jeu politique – duquel il n’est pas exclu, bien au contraire – le ministre de l’Intérieur doit être le champion des tractations feutrées et non l’amateur des déclarations incontrôlées et à profusion.
Maintenant, pourra-t-on remonter la pente raide (après la saillie alarmante d’Aly Ngouille Ndiaye) qui ramènera tous les acteurs vers le consensus ? Monumental point d’interrogation ! Pour l’heure, c’est le temps de l’inventaire des décombres et des ruines. Les efforts du Président du Cadre de Concertation sur le Processus Electoral (CCPE), l’ambassadeur Seydou Nourou Ba, sont quasiment anéantis. Si le diplomate chevronné n’avait pas la fibre patriotique ; et, surtout, si le Président Seydou Nourou Ba n’était pas armé d’une patience digne de Pénélope et attributaire d’un tempérament de moine, il aurait dit ses quatre vérités à qui de droit, puis claqué la porte du CCPE. Tellement, il est mis mal à l’aise dans sa délicate mission. Désormais plus délicate. Dommage ! Car, sur les huit thèmes discutés, le facilitateur a identifié – une réelle prouesse, au vu de la taille des haies à franchir – trois points d’accords, cinq points de convergences et sept recommandations. Résultats appréciables et maladroitement torpillés.
A l’opposé du ministre Aly Ngouille Ndiaye, l’artiste-ministre-Président de GFM, Youssou Ndour, ne torpille pas l’avenir. Il ne l’hypothèque pas. « Je ne suis pas diplômé mais je suis structuré » a dit Youssou Ndour dans l’émission bien charpentée et gaiement pilotée par la journaliste Aïssatou Diop Fall. En effet, Youssou Ndour est « structuré » et (j’ajoute) très bien avisé pour ne pas avoir des visées…sur Dakar. Une capitale qui est orpheline de son maire. La nature a horreur du vide ; tandis que la politique s’incruste partout et remplit promptement les vides. Qui a forgé l’expression : « patron de Dakar » ? Qui a voulu et veut toujours être le patron de Dakar ? Youssou Ndour n’accepte visiblement pas que Dakar soit sans patron. La conjoncture l’a convaincu – à tort ou à raison – que le boulevard conduisant à la tête de la plus prestigieuse municipalité du Sénégal, est largement ouvert. Sans encombre de la taille et du poids de Khalifa Sall. Youssou Ndour n’est pas diplômé, mais il a du coffre, du bagout et de l’audace, comme les Présidents Lula du Brésil et Jacob Zuma d’Afrique du Sud. Deux chefs d’Etat non diplômés qui ont longtemps présidé aux destinées de deux pays plus émergents que le Sénégal. Ministre-conseiller du Président de la république, leader du mouvement « Fekké » et Roi du mbalax, Youssou Ndour est également le Prince des dits et des non-dits.
Au chapitre de ce qui est clairement dit et répété, Youssou Ndour accompagne et appuie Macky Sall dans la quête d’un second mandat. Dans le volet des non-dits, on devine par intuition – sans instruire un procès en sorcellerie – une embuscade politique discrètement montée par Youssou Ndour, non loin du portail de la Mairie de Dakar qu’il n’entend pas laisser à l’APR dont il n’est pas membre. En résumé : le pays à Macky Sall, Dakar à moi, leader de Fekké. Pas de veto de l’APR contre mes ambitions dakaroises ! Sinon…La menace de dissidence est en filigrane dans les propos du Président du Groupe Futurs Médias. Dans l’émission phare et dominicale de TFM, le clin d’œil à Barthélémy Dias, maire de Mermoz, et le silence méprisant à l’endroit de Bamba Fall (maire du quartier natal de Youssou Ndour et nouvel « ami » de Macky Sall) cryptent un gisement de calculs et, surtout, de codes à…décoder. Avec Youssou Ndour, bienvenue à la Galerie Lafayette où l’on trouve tout ! A condition de savoir décrypter les propos d’un « maitre-langue » comme disent les Bambaras.
Par Babacar Justin Ndiaye