Dakarmidi – Moins d’une semaine après le vote du projet de loi n° 25/2016, modifiant la loi n°65-60 du 21 juillet 1965 portant Code pénal qui vise en partie les délits liés au terrorisme, des individus armés non encore identifiés se sont signalés au Nord du pays. Dans le quotidien «Walfadjiri» numéro : 7386 du mercredi 02 novembre 2016, on peut lire : «…des informations fournies par les habitants du village de Tiguéré, zone de carrefour entre le Mali et la Mauritanie, située dans la commune de NabadjiCiwol, font état de la présence de quatre personnes enturbannées, armées de fusils automatiques et autres armes à feu».
Le journal continue : «ces individus suspects, qui ont rencontré des paysans les ont sommés de ne jamais faire état de leur présence en territoire sénégalais. Ces suspects les ont même menacés, si jamais leur présence venait à être divulguée. Mais, dès leur retour au village, ces personnes n’ont pu garder le secret. Ils informeront, à leur tour, leurs parents de leur mésaventure. Et la nouvelle fera vite, le tour de la zone, avant que certaines personnes de la localité ne saisissent aussitôt la brigade de Gendarmerie».
«Walf quotidien» qui cite une source policière dit que «ces individus suspects ont même effectué leur prière, lundi passé, dans une mosquée fréquentée par des Ibadou, laquelle est située dans la commune de Ourossogui». Ceci est la première piste que devra exploiter les enquêteurs. Ces suspects seraient entrésau Sénégal par le village de Tiguéré.
Selon certaines sources, il s’agirait de jihadistes. Nous n’allons pas péremptoirement confirmer cela faute d’éléments de preuve irréfutables. Au-delà des apparences et des témoignages truffés d’émotion, les enquêteurs devraient s’intéresser à leur langue de communication, leur point de départ et leur point de chute en terre sénégalaise depuis lundi. L’autre élément intéressant dans l’enquête c’est leur attitude (comportement et état d’esprit) devant le paysan qu’ils auraient rencontré. En général un terroriste en action est pressé et frileux. Avec le turban qui, certainement, a couvert tout le visage, il sera difficile de faire leur identification faciale. Donc c’est avec une extrême prudence que nous allons manipuler les informations qui nous viennent de certaines sources ouvertes indirectes. Laissons nos services de renseignements (la DGRI) avec l’apport des populations, trouver les réponses à nos questions. Pour le moment, la seule source dont disposent nos services de renseignement c’est ce paysan qui les a vus. Mais également, leurs traces devraient être remontées jusqu’à la mosquée (située à Ourossogui) où ils auraient prié le lundi dernier.
Dans une affaire pareille, la collaboration des populations dans la traque des suspects est obligatoire et nécessaire. C’est même une question de service public. Cependant, le vote de la loi sur la «fausse alerte» freine l’engagement citoyen désintéressé dans la lutte contre le terrorisme. En vérité, il n’existe pas de «fausse alerte» car toutes les alertes sont utiles. A la limite, ces alertes dites «fausses» peuvent servir à tester l’efficacité des dispositifs de sécurité mis en place. Par exemple, la fausse alerte à l’hôtel Radisson a permis à cette entreprise hôtelière et aux autres de renforcer leur dispositif antiterroriste. C’est depuis cette fausse alerte que les contrôles sont renforcés devant les hôtels et lieux publics. Mêmes les services de sécurité font de fausses alertes ou des simulations pour tester leur plan antiterroriste. A Dakar, les écoles françaises le font très souvent.
Par ailleurs, la loi n° 25/2016 cumule des contradictions en proférant des menaces contre les «fausses alertes» et contre la «non dénonciation d’actes terroristes». Selon cette loi, le citoyen doit dénoncer les actes terroristes, c’est même une obligation.Mais, la contradiction c’est que le citoyen peut aussi craindre d’être poursuivi pour fausse alerte parce qu’il peut se tromper involontairement dans l’appréciation d’un acte terroriste. Là, le législateur s’est perdu dans une contradiction manifeste. Il devait libérer le citoyen et le placer au cœur de cette dynamique nationale de lutte contre le terrorisme. Il ne faudrait pas limiter la contribution du citoyen dans sa collaboration avec les services de sécurité. Le législateur devrait encadrer le citoyen pour qu’il puisse lancer des alertes sures sans craindre d’être poursuivi pour fausse alerte. Dans ce contexte de lutte contre le terrorisme, l’alerte précoce doit être cultivée et incrustée dans nos mœurs. Il faut développer la culture de l’alerte précoce dans les quartiers et les villages surtout ceux situés au niveau de nos frontières.
Revenons sur le cas de ces 04 individus sur lesquels pèsent de lourds soupçons de terrorisme. Le fait qu’ils demandent le chemin qui mène vers le pont de Djamel, un quartier périphérique de Matam prouve qu’ils n’habitent pas le coin. On peut en déduire qu’ils étaient venus en mission au Sénégal. Provisoirement, ils peuvent séjourner dans un village sénégalais où ils disposent d’un point focal. Il est fort probable qu’ils viennent du Mali ou de la Mauritanie. Car, des informations ont confirmé que très souvent des jihadistes maliens ou mauritaniens traversent nos frontières pour entrer au Sénégal pour différents motifs. Mokhtar Bel Mokhtar leader de «El Mourabitoun» aurait eu à envoyer des émissaires au Sénégal pour y créer une base. Les services de sécurités sénégalaises étaient bien informés de cette initiative du «Ben Laden du Sahara ». En plus, deux jihadistes mauritaniens avaient séjourné à Yoff pendant quelques semaines avant de traverser la Gambie pour se rendre en Guinée Bissau où ils ont été appréhendés par la police locale.
Le Nord du Sénégal (St Louis, Dagana, Matam) et l’Est du pays (Bakel, Goudiry,Tamba, Kidira) sont des points d’accès d’individus suspects venus du Mali, de l’Algérie, de la Mauritanie. Ensuite, ces présumés terroristes ne peuvent passer qu’à travers les petits villages, peut-être même par pirogue, pour entrer au Sénégal avec leurs armes. Autrement, ils seraient arrêtés au niveau des postes de contrôle frontaliers.
Ce qui vient de se passer donc à Matam n’est guère une surprise. C’est même compréhensible dans un contexte géopolitique sous régional marqué par les menaces terroristes et le redéploiement des groupes jihadistes dans le Sahel. Souvent, la police sénégalaise met la main sur des terroristes présumés ou déjouent des plans sans que la population n’en soit informée.
En dépit des résultats satisfaisants enregistrés par nos forces de sécurité et la cellule antiterroriste, nous devons reconnaitre que la stratégie nationale de lutte contre le terrorisme devrait être révisée. Le projet de loi n°25/2016 réprime le recrutement de personnes pour faire partie d’un groupe ou pour participer à la commission d’un acte terroriste, la fourniture de moyens, l’entente, l’organisation ou la préparation d’actes terroristes et le recel de terroristes et la participation à un groupe terroriste. C’est pas mal. Toutefois, le citoyen n’est pas considéré comme un élément central dans cette stratégie antiterroriste. Or, le législateur devrait très tôt comprendre que la lutte contre le terrorisme ne saurait être une affaire d’agent de sécurité (Police, gendarmerie, armées) uniquement. C’est l’affaire de tous et tout le monde doit se sentir associé si nous voulons éliminer la menace. Les citoyens (civils) sont éparpillés sur toute l’entendue du territoire alors que les agents de sécurité sont sur une partie du territoire. Autant donc s’appuyer sur ces citoyens comme partenaires pour alimenter les services de renseignement qui se battent souvent sans moyen. Il faudra développer le renseignement de proximité (par exemple créer un lien direct entre le citoyen et sa police) qui favorisera l’alerte précoce surtout dans les zones frontalières. L’écolier, l’imam, le chef du village, le commerçant, le gérant d’hôtel, l’éleveur, le paysan, tous doivent se mettre au service des forces de sécurité pour alerter à temps réel.
L’autre aspect important c’est la coopération. Elle existe mais elle doit être renforcée surtout entre le Sénégal et ses voisins. C’est en ce sens qu’il faut saluer les initiatives comme le «G5 Sahel» (Mali, Mauritanie, Niger, Tchad, Burkina) fondé en Mauritanie et le Chef d’Etat-major Opérationnel Conjoint (CEMOC) dont le siège se trouve en Algérie. Seulement, ces organisations sous régionales ne répondent pas à nos attentes sur le terrain qu’ils ont laissé aux terroristes. Le «G5 Sahel » et le CEMOC sont plus visibles dans les salons (sommets) au moment où Boko Haram occupe le terrain. C’est ça le triste constat.
Avons-nous besoin d’insister sur l’importance des moyens financiers indispensables pour une stratégie de lutte antiterroriste efficace ? L’Etat doit réduire certaines dépenses de prestiges, supprimer certaines Institutions inutiles pour financer le plan antiterroriste. Comme le disait l’ancien Directeur Général du Renseignement Intérieur de France, Bernard Squarcini dans son livre : «Le renseignement français : Nouveaux enjeux» (Ellipses 2013), «le renseignement c’est comme l’assurance, c’est toujours cher tant qu’il n’y a pas d’accident». Nos services de renseignement manquent sérieusement de moyens. Comment lancer des alertes précoces lorsque l’agent positionné aux frontières maliennes ne dispose pas de crédit pour appeler son chef ?Nous avons appris à travers la presse que le Gouvernement a dégagé 45 milliards FCFA pour la sécurité et 20 milliards FCFA pour la lutte contre le terrorisme. C’est formidable. Mais il ne faudrait jamais oublier que d’autres pays plus riches que nous et militairement mieux équipés que le Sénégal, comptent leurs morts après chaque passage des terroristes. Notre pays devrait plutôt mettre l’accent sur la sensibilisation et l’information. Le mal (le terrorisme), il faut l’éliminer dans l’esprit des jeunes par l’éducation, la formation, l’emploi des jeunes et la lutte contre la pauvreté. Car toutes ces lois sévères, répressives et ses armements… lourds n’arriveront jamais à bout du terrorisme.
Mamadou Mouth BANE