Dans sa plainte déposée à Paris, lundi 22 mars, RSF accuse Facebook d’avoir manqué à ses engagements en matière de sécurité, en laissant proliférer indûment sur sa plate-forme des menaces et messages haineux contre des journalistes, ainsi que de multiples messages de désinformation.
Or, estiment les avocats de l’organisation, Facebook s’engage, dans ses conditions d’utilisation, à « maintenir un environnement sûr et sans erreurs » pour ses utilisateurs. C’est sur ce point que s’appuie RSF pour déposer une plainte pénale en droit de la consommation, mécanisme juridique peu utilisé, jusqu’à présent, dans les différentes plaintes visant les pratiques de modération des réseaux sociaux.
A l’appui de sa plainte, RSF a fait réaliser une série de constats d’huissiers, documentant notamment des menaces et injures contre des médias et des journalistes. La plainte, dont Le Monde a eu connaissance, liste de multiples exemples de messages haineux visant les journalistes de « Quotidien » Yann Barthès et Sophie Dupont, la rédaction de L’Union-L’Ardennais, dont un photographe a été violemment passé à tabac en février, ou celle de Charlie Hebdo.
Injures et théories du complot
« Des commentaires appelant à porter atteinte à l’intégrité physique des journalistes, parfois identifiés, d’autres fois identifiables, sont nombreux à être relayés sur le réseau social et Facebook ne procède à aucune censure de ces propos haineux », estime la plainte, qui cite également des chiffres compilés par L’Union-L’Ardennais pour le mois d’octobre 2020.
Pour ce seul mois, les modérateurs du quotidien régional (220 000 abonnés sur Facebook) ont supprimé « 1 081 commentaires, dont 952 comportant des insultes, 405 susceptibles de faire l’objet de poursuites pénales, 133 de nature diffamatoire et 99 des propos racistes ».
Certains de ces commentaires sont également mis en exergue par Facebook, estime la plainte, citant un constat d’huissier qui note que « de nombreux commentaires dénigrants envers des journalistes du journal télévisé “Quotidien” [apparaissent] parmi les “commentaires les plus pertinents” » sur la page Facebook de l’émission. Certains de ces commentaires contiennent des menaces de mort directes (« une corde, un tabouret, une caméra et tirer bien sur les pieds ») ; d’autres mêlent injures et théories du complot (« Quotidien, une émission de merde comme les autres merdias, ils sont soumis aux ordures de milliardaires sataniques qui commandent le pays »).
Un second volet de la plainte concerne la diffusion de fausses informations sur le réseau social, et notamment la manière dont la plate-forme a servi de support au film Hold-Up : un documentaire diffusé en 2020 contenant de multiples contre-vérités sur la pandémie de Covid-19. « Une simple recherche par mots-clés dans la barre de recherche du réseau social suffit à afficher les nombreuses occurrences du film », note la plainte. Ce qui n’est pas surprenant : en matière de désinformation, Facebook a opté ces dernières années pour une politique de « masquage », consistant à ne pas supprimer systématiquement les contenus douteux, mais seulement à réduire leur visibilité dans les fils d’actualité.
Vérification : Les contre-vérités du documentaire « Hold-up »
La plainte estime, indirectement, que cette politique est un échec et s’appuie en ce sens sur plusieurs exemples de copies de Hold-Up ayant connu une audience massive sur Facebook. Pour certaines d’entre elles, la nature douteuse du documentaire n’était pas signalée aux internautes, comme le veut pourtant la politique de Facebook lorsqu’un message a été identifié comme faux ou trompeur par des rédactions partenaires – dont, en France, Le Monde et l’Agence France-Presse.
Une autre procédure contre Instagram
RSF cite le cas d’une copie de Hold-Up, « visionnée 2,3 millions de fois. (…) Cette vidéo a ainsi été partagée 426 fois au sein de pages et de groupes publics, générant 36 843 réactions. Celle-ci ne comportant aucun étiquetage « fausse information », plus de 5,5 millions d’utilisateurs ont [potentiellement] été exposés à ces désinformations. »
Depuis deux ans, les plaintes concernant la modération des réseaux sociaux se sont multipliées en France. Une procédure, toujours en cours, oppose ainsi quatre associations à Twitter et demande au réseau social de donner des chiffres précis sur les moyens qu’il consacre à sa modération en France.
Une autre procédure, portée par une quinzaine de militantes féministes, vise à l’inverse la trop grande propension d’Instagram à supprimer des contenus concernant, notamment, la sexualité.
Si sa nature juridique est très différente, la plainte de Reporters sans frontières vise, elle aussi, la question des moyens déployés par Facebook, qui devraient être « pertinents et suffisants pour produire les résultats que Facebook a promis à ses utilisateurs », estime l’organisation.