« Dragon, SpaceX : malheureusement, nous n’allons pas lancer aujourd’hui », a annoncé aux astronautes à bord de Crew Dragon le directeur du lancement de SpaceX au Centre spatial Kennedy en Floride, 17 minutes avant l’heure prévue du décollage.
« C’était un bel effort de l’équipe, nous comprenons », a répondu l’astronaute Doug Hurley, qui était depuis deux heures à l’intérieur, sanglé dans son siège à côté de son coéquipier Bob Behnken, au sommet d’une fusée Falcon 9.
Crew access arm retracting from the spacecraft pic.twitter.com/wSn8gJdujN
— SpaceX (@SpaceX) May 27, 2020
Une fenêtre de tir stricte
Il s’en est fallu de dix minutes pour que le mauvais temps se dissipe, en l’occurrence des orages et de la foudre dans la zone, et la présence d’un épais nuage appelé cumulonimbus pouvant provoquer de la foudre au passage de la fusée, comme c’est arrivé, sans conséquence, aux astronautes d’Apollo 12 en 1969. Mais la sécurité avant tout, a dit Jim Bridenstine, l’administrateur de la Nasa: « Il y avait trop d’électricité dans l’atmosphère ».
La fenêtre de tir, 16 h 33, était réduite à cette heure exacte, afin de coordonner l’orbite de Dragon avec celle de l’ISS. La prochaine tentative aura lieu samedi à 15 h 22 (19 h 22 GMT).
« Tout le monde est sûrement un peu déçu », a dit Doug Hurley plus tard, compatissant avec les équipes au sol, qui attendaient ce moment depuis des années. Bob Behnken et Doug Hurley auraient dû s’amarrer à l’ISS jeudi.
18 ans d’efforts
Donald Trump était venu assister en personne à ce que la Nasa appelle l’aube d’une nouvelle ère spatiale, où les Etats-Unis confient au secteur privé le transport de ses astronautes, et retrouvent en même temps l’accès à l’espace qu’ils avaient perdu en 2011 avec l’arrêt des navettes spatiales.
Mais en reportant le vol, SpaceX ne s’est pas attiré les foudres du président américain, qui a tweeté qu’il reviendra
Malgré la déception temporaire, cette étape est la concrétisation de 18 ans d’efforts pour SpaceX.
« C’est un rêve devenu réalité, je ne pensais pas que cela arriverait un jour », a dit avant le lancement prévu Elon Musk, qui a fondé la société en 2002 en Californie.
Avant de monter à bord de la capsule, les astronautes ont pu dire au revoir à leurs familles. À leurs deux jeunes fils, Elon Musk a promis : « Nous avons fait tout ce que nous pouvions pour que vos papas reviennent ».
Touristes
Malgré la pandémie de Covid-19, le vol a été maintenu et des touristes et passionnés s’étaient installés sur les plages du littoral de Floride dont la fameuse Cocoa Beach. « J’étais là il y a neuf ans avec mon fils pour le dernier lancement d’une navette, j’avais vraiment hâte de sentir à nouveau le sol trembler sous mes pieds », s’est lamentée June Steding, venue d’Orlando.
Space Exploration Technologies Corp., fondée dans le but de casser les règles du jeu de l’industrie aérospatiale, a gagné pas à pas la confiance de la plus grande agence spatiale de la planète.
Elle était devenue en 2012 la première société privée à amarrer une capsule cargo à l’ISS, qu’elle ravitaille depuis régulièrement. Deux ans plus tard, la Nasa lui commandait la suite: y acheminer ses astronautes, dès « 2017 », en adaptant la capsule Dragon.
« Si cela se passe mal, ce sera de ma faute », a dit Elon Musk sur CBS.
« Monumental »
L’agence spatiale a payé plus de trois milliards de dollars pour que SpaceX conçoive, construise, teste et opère sa capsule, réutilisable, pour six futurs allers-retours spatiaux. Le développement a connu des retards, des explosions, des problèmes de parachutes, mais SpaceX a battu le géant Boeing, également payé pour fabriquer une capsule (Starliner), toujours pas prête.
L’investissement, décidé pour le cargo sous la présidence Bush et pour les astronautes par Barack Obama, est jugé fructueux par rapport aux dizaines de milliards qu’ont coûté les systèmes précédents développés par la Nasa.
« Une réussite monumentale », a abondé Jim Bridenstine, patron de la Nasa, en rendant hommage à la créativité et à la persévérance de la société, à qui elle confie désormais sa ressource la plus précieuse, ses astronautes.
Crew Dragon est une capsule comme Apollo, mais version XXIe siècle. Des écrans tactiles ont remplacé boutons et manettes. L’intérieur est dominé par le blanc, l’éclairage plus subtil.
« C’est sûr que tous les pilotes du monde auront plus confiance si vous leur donnez un joystick que si vous leur donnez un iPad! », a plaisanté Thomas Pesquet, l’astronaute français qui pourrait être le premier Européen à voyager à bord du Dragon, en 2021. Rien à voir avec les immenses navettes spatiales, immenses vaisseaux ailés qui ont servi de 1981 à 2011.
Contrairement aux navettes, dont une a explosé en 1986 après le décollage (Challenger), Dragon peut s’éjecter en urgence si la fusée a un problème.
Crew Dragon a pour mission de rattraper la l’ISS, à 400 kilomètres d’altitude, où elle pourrait rester amarrée jusqu’en août.
Si la capsule revient et est certifiée sûre, les Américains ne dépendront plus des Russes pour accéder à l’espace: depuis 2011, les Soyouz étaient les seuls taxis spatiaux disponibles. Les acheminements depuis la Floride redeviendront réguliers, avec quatre astronautes à bord.
Et SpaceX sera libre d’organiser des voyages spatiaux pour touristes, moyennant un billet qui coûtera sans doute quelques dizaines de millions de dollars la place.