Dakarmidi – Emmanuel Macron et Edouard Philippe sont sur la même ligne. Entre l’Elysée et Matignon, avec leurs éminences grises Alexis Kohler et Benoît Ribadeau-Dumas, ils tranchent à quatre les sujets les plus sensibles.
«Il n’est pas né, celui qui enfoncera un coin entre le président de la République et moi.» Edouard Philippe n’a pas mis longtemps à trouver sa position dans le dispositif. C’est ce qu’il a confié à ses proches conseillers, tous venus de la droite et tous embarqués dans un des plus incroyables paris politiques depuis les débuts de la Ve République : rassembler des gens issus de la société civile, aussi bien de la gauche ou du centre que de la droite, qui s’étaient (parfois) combattus pendant la campagne. Mais le chef de l’Etat a rapidement rassuré son numéro deux. Emmanuel Macron aime que les gens soient à leur place. Et avec l’ancien collaborateur d’Alain Juppé, il n’a pas été déçu. Carré, loyal, pas ramenard et plutôt populaire (pour l’instant), l’ex-maire du Havre coche toutes les cases. En un an, cet inconnu a réussi à se faire à la fois un nom et un prénom. Et tout en restant à l’ombre de l’omniprésent président, à imposer un style pétri d’humour, de bienveillance et d’élégance.
A Matignon, il cultive la discrétion sans états d’âme. Une non-existence politique assumée et, à entendre ses proches, qu’il semble avoir théorisée. «Sous Macron, le président préside et le Premier ministre gouverne», résume platement son ami Sébastien Lecornu, secrétaire d’Etat (ex-LR). «Son autodérision l’empêche d’avoir la folie de ses prédécesseurs», confie Gérald Darmanin, ministre des Comptes publics (ex-LR), un autre proche. Matignon lui est tombé dessus presque par hasard, alors il s’applique chaque jour à ne pas déplaire, c’est-à-dire à consciencieusement mettre en œuvre le programme présidentiel. «Edouard est à l’aise avec cette philosophie. Il a l’existence que lui confère le texte constitutionnel et considère que c’est très noble d’être dans l’exécution du programme du président», traduit Charles Hufnagel, le chef de sa communication. Cette lecture stricte des institutions est une des clés du bon fonctionnement du couple exécutif. La rencontre entre le gaullien Macron et le gaulliste Philippe (il a participé à la création de l’UMP en 2002) permet ce retour au texte fondateur dont on célébrera le soixantenaire le 4 octobre prochain.
Il y a un an, Macron et Philippe ne se connaissaient pas. Ils s’étaient croisés deux fois dans des dîners. L’un campait sur la rive gauche dans le gouvernement de François Hollande, qu’il n’allait pas tarder à trahir. L’autre rêvait d’installer son mentor Alain Juppé à l’Elysée. Et puis le destin a fait rouler les dés. Des connaissances communes les ont rapprochés. L’entremetteur qui, le premier, aurait soufflé ce rapprochement est Jacques Attali. Mais c’est Alexis Kohler, futur secrétaire général de l’Elysée, qui s’est chargé de le concrétiser. Philippe et lui sont des amis de vingt ans. Son CV d’homme de droite ne suffit pas à le faire recruter, il passe aussi un entretien d’embauche auprès des grognards d’En marche ! entre les deux tours. Cet incroyable concours de circonstances qui le fait se retrouver Premier ministre, on l’appelle «trahison» à droite, «hold-up» chez certains Marcheurs. Qu’importe! Le juppéiste ne laisse pas passer cette inimaginable occasion.
« Le système s’autobloque quand il y a des divergences »
Un an plus tard, pas question de fêter ces noces de coton. Mais les équipes de l’Elysée et de Matignon mesurent le chemin parcouru. La République macronienne a ses rituels. Le partage des tâches y est strict. Le déjeuner du lundi, qui réunit Emmanuel Macron, Edouard Philippe et leurs bras droits respectifs, Alexis Kohler et Benoît Ribadeau-Dumas, constitue le moment décisif de la semaine. Dans ce huis clos, les quatre quadras (entre 40 et 47 ans), tous énarques (deux inspecteurs généraux des finances et deux conseillers d’Etat), passent en revue les sujets les plus sensibles. Et tranchent, de l’abandon de Notre-Dame-des-Landes à la réforme de la SNCF en passant par le report du plan banlieue. Le vendredi précédent, les chefs de pôle ont présenté une vingtaine de sujets. Le secrétaire général de l’Elysée et le directeur de cabinet de Matignon – les «huileurs en chef», selon la formule d’un conseiller – en sélectionnent entre six et huit et hiérarchisent les urgences. Puis ils se retrouvent à l’Elysée pour établir une synthèse, qu’ils adressent au président et au Premier ministre. Pas d’asymétrie d’information entre les deux hommes, qui travaillent sur les mêmes notes. Pendant le week-end, Matignon turbine et l’Elysée se met en veille. Chacun a trouvé sa place grâce à cette organisation quasi militaire, propre à des hauts fonctionnaires passés par le privé et à leur goût presque maladif du secret. «L’avantage de ce système est qu’il favorise la convergence et s’autobloque quand il y a des divergences», explique Alexis Kohler.
« Nos chefs n’aiment pas les fonctionnements florentins. Ici, on sait qui est le numéro un et qui est le numéro deux. Et on est là pour que ça marche », résume Benoît Ribadeau-Dumas. Véritables tours de contrôle, «AK» et «BRD» ne se connaissaient pas non plus il y a un an. Leur parfaite entente contribue à cette « fluidité ». « A la fin, c’est Alexis l’arbitre des élégances », prévient néanmoins un conseiller de l’Elysée. La « machine à fabriquer de la convergence » tourne à plein régime. Une efficacité renforcée par la nomination de onze conseillers communs. A l’issue du repas du lundi, les arbitrages tombent sur les e-mails des conseillers. Sans commentaires. « On ne fait pas de compte rendu de ce déjeuner. Cela fait le succès de la machine », confirme « BRD ». Tout juste sait-on que certains arbitrages, comme l’abaissement de la limitation à 80 km/h sur les routes nationales, ont créé de la divergence. « Le président a laissé son Premier ministre décider », lâche-t-on au Château. L’affaire a pourtant viré au couac gouvernemental avec les réticences exprimées publiquement par le ministre de l’Intérieur, aussitôt recadré par Edouard Philippe. « Une maladresse de Gérard. » Edouard Philippe assume l’impopularité de la mesure mais ne cède rien.
Ce système de décision très centralisé commence, toutefois, à susciter des critiques. Un ancien ministre de Nicolas Sarkozy fustige «le gang des inspecteurs généraux des finances qui a mis la main sur la République». Un proche de Macron met en garde contre «l’arrogance technocratique». Un ex-Premier ministre constate : « Macron expose trop la fonction présidentielle et Philippe ne le protège pas assez. » Pour l’instant, les sondages restent bienveillants même s’ils sont orientés à la baisse. Edouard Philippe continue, en effet, de faire des ravages dans l’électorat de droite. Dans le dernier tableau de bord Ifop-Paris Match, le juppéiste séduit 73 % des sympathisants Les Républicains (contre 58 % pour Emmanuel Macron) et même 50 % des électeurs socialistes (contre 33 % pour le chef de l’Etat). A croire qu’Edouard Philippe est, aujourd’hui, celui qui maîtrise le mieux l’art du « en même temps ». D’évidence, au bout d’un an, le pouvoir penche plus à droite qu’à gauche mais cela n’inquiète pas l’exécutif. L’ancien lieutenant d’Alain Juppé tente un rééquilibrage. Dans une interview au « Monde », il ne se qualifie plus d’«homme de droite» : «Je ne me pose plus la question», élude-t-il. Pas sûr que sa formule «je suis là pour faire du Macron, pas du Juppé» ait beaucoup plu à la mairie de Bordeaux.
« On n’a pas la culture d’arrière-boutique. On ne montre pas la fabrication du pouvoir »
En dehors des rendez-vous institutionnels (8 Mai, 11 Novembre, 14 Juillet…), le couple exécutif s’affiche peu. Les photos communes sont rares. L’Elysée est fermé à double tour, Matignon à peine entrouvert. Charles Hufnagel confirme : «On n’a pas la culture d’arrière-boutique. On ne montre pas la fabrication du pouvoir.» Tous soulignent que l’entente entre Emmanuel Macron et Edouard Philippe a été immédiate. Leur passé commun dans le monde des affaires (le président a été banquier et le Premier ministre avocat), et leur goût pour la littérature et les dialogues de Michel Audiard ont ajouté de la bonne humeur à leurs longues heures de boulot. Mais l’intimité s’arrête là. Pas de rencontres entre les couples (Edith Philippe est discrète), ni de moments de détente partagés à la résidence de la Lanterne, comme il y en avait entre François Hollande et Manuel Valls.
Sur le papier, Macron-Philippe, c’est parti pour durer. Sauf catastrophe électorale – peu envisageable à ce stade – aux élections européennes en 2019, on voit mal le chef de l’Etat changer le locataire de Matignon. Si le juppéiste passe le cap de la réforme de la SNCF, son bail sera renouvelé pour une ou deux années, voire tout le quinquennat. Reste l’Europe. Le président pourrait jouer la carte Philippe plutôt que celle de l’ancien commissaire Michel Barnier. En coulisses, certains l’encouragent à lancer la candidature du juppéiste pour présider la Commission de Bruxelles. Une manière d’asseoir son leadership.
La redaction