De passage à Paris, Sory Camara, qui fut le directeur général adjoint du Port autonome de Conakry de 2011 à 2016, revient pour JA sur la longue histoire de ce poumon commercial de la Guinée. Il en profite pour démentir certaines rumeurs et en confirmer d’autres…
Mieux vaut parfois laisser la parole aux techniciens. Alors que l’attribution controversée du terminal à conteneurs de Conakry, en 2011, se retrouve au centre de la procédure judiciaire entamée ces dernières semaines à l’encontre de Vincent Bolloré, Sory Camara, directeur général adjoint du Port autonome de Conakry a moment des faits, profite de son passage à Paris pour mettre un terme à certaines rumeurs et en confirmer d’autres.
Non, assure-t-il, la Guinée n’a pas donné son port à Vincent Bolloré qui, oui, se trouve bien être l’ami d’Alpha Condé. La méthode employée pour éjecter Necotrans peut choquer mais, selon lui, il était justifié de réquisitionner le terminal au nom de la productivité du port et des intérêts économiques de la Guinée.
Après 27 années passées au sein de la direction portuaire, Sory Camara replace cet épisode controversé dans la longue histoire de ce qui constitue le véritable poumon commercial de la Guinée. Un port qui, pour cette raison, est couvé par tous les présidents qui se sont succédé dans le pays.
Jeune Afrique : Votre présence à Paris a-t-elle un lien avec la polémique née de la mise en examen de Vincent Bolloré ?
Sory Camara : Je suis venu pour raconter comment les choses se sont réellement passées à l’époque. Les gens ont une très mauvaise perception de cette histoire, car ils ne disposent pas des principaux éléments de compréhension. En réalité, la convention de concession signée avec le groupe Bolloré en 2011 n’est que la conclusion d’une succession d’événements, qui se sont enclenchés à partir de 1992, suite à la construction de notre terminal à conteneurs.
De quels événements parlez-vous ?
Le port de Conakry représente 90 % des échanges commerciaux de la Guinée. Après une quinzaine d’années d’existence, ce terminal ne pouvait plus répondre aux besoins du pays. Il fallait doubler ses capacités. En 2008, la décision a donc été prise, avec l’accord de la présidence de l’époque, de faire appel au secteur privé pour développer le port.
Quels étaient alors vos objectifs ?
Notre volonté était de faire de Conakry un port d’éclatement à vocation sous-régionale. Le choix logique était donc de nous appuyer sur un grand opérateur de référence mondiale, aux capacités financières importantes.
Un appel d’offres a été lancé dans ce sens et une commission interne fut chargée de sélectionner le concessionnaire. Elle regroupait quelques représentants du port et des différents services ministériels, et était présidée par le ministre du Plan. Treize sociétés se sont manifestées, quatre ont soumissionné : Getma/Necotrans, Bolloré, Maersk et Afrimarine.
Avec Maersk, premier armateur mondial, vous aviez attiré le gros poisson que vous cherchiez…
Les Danois étaient en effet le meilleur choix. Mais faute d’expérience dans les procédures d’appels d’offres et, pour certains membres de la commission, dans le domaine portuaire, la décision s’est faite sur le montant du ticket d’entrée des soumissionnaires.
Or sur ce volet Getma/Necotrans a écrasé la concurrence en proposant 15 millions d’euros. Malgré les réticences des responsables portuaires, cet opérateur a été retenu et la convention de concession a été signée le 22 septembre 2008.
Pourquoi ces réticences ?
Parce que Getma ne disposait pas des moyens financiers nécessaires pour développer le port comme que nous le souhaitions. J’ai immédiatement alerté le ministre des Transports pour qu’il demande au président de la République et au Premier ministre de faire annuler cette décision et de relancer un nouvel appel d’offres. Mais nous n’avons pas été entendus. Nous étions très déçus de laisser ainsi filer l’opportunité d’adosser le port à Maersk.
Comment s’est déroulée la gestion du terminal sous Necotrans ?
Les débuts ont été difficiles. Le président Conté est décédé le 22 décembre 2008 et Moussa Dadis Camara a pris la tête du pays dès le lendemain. Son premier discours portait sur le port et il a annoncé qu’il entendait suspendre la convention de concession. Le président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, a alors envoyé alors une délégation en faveurs de Necotrans. Et le 24 avril suivant, la menace de suspension était levée.
La situation se figera alors jusqu’en décembre 2010, avec l’accession au pouvoir d’Alpha Condé. Dès le 24 janvier 2011, le port a organisé une rencontre avec les nouvelles autorités et l’opérateur. On a alors demandé à Necotrans de préciser son programme d’investissements et de démontrer que la société disposait des moyens financiers pour réaliser la principale composante de notre projet : l’extension du terminal à conteneurs.
Sans répondre à aucune question, le représentant de Necotrans s’est levé et a quitté la salle. Une réunion extraordinaire du conseil d’administration du port a alors été convoquée le 11 février 2011, et décision a été prise d’annuler la convention de concession et d’ouvrir les négociations avec le deuxième mieux-disant lors de l’appel d’offres, le groupe Bolloré.
Pourquoi ne pas avoir relancé un nouvel appel d’offres ?
Parce que le port de Conakry était alors véritablement en souffrance, déserté par les navires, au point d’être relégué au rang de port secondaire. Nous étions trop pressés pour nous lancer dans un nouveau processus qui aurait nécessité de longs mois. Il fallait relancer le port au plus vite. C’est pour cela qu’il a été décidé en conseil d’administration, en accord avec les plus hautes autorités du pays, de retenir le deuxième candidat.
La situation était-elle si urgente qu’il était nécessaire d’envoyer la troupe pour déloger Getma ?
En deux ans et demi, Necotrans n’avait rien apporté sur le terminal, en dehors de quelques engins de manutention. Aucun des équipements prévus dans le cadre de la convention de concession n’avait été réalisé. Surtout pas l’extension du terminal, qui aurait dû être livrée fin 2009. Nous avons donc, en effet réquisitionné, le terminal pour assurer le service continu du port.
Par la suite, le groupe Bolloré a-t-il tenu ses promesses en matière de financement ?
Près de 130 millions d’euros ont été investis en huit ans. L’opérateur a fait venir deux portiques qui ont apporté une nouvelle dimension au port. En 2010, le terminal traitait 115 000 conteneurs, il a atteint les 203 000 boîtes cette année, assurant la rentabilité des équipements.
La dynamique de développement correspond à celle que nous cherchions à mettre en place à l’époque. Les autorités ont donc pris la meilleure décision possible, pour la Guinée mais également pour son « hinterland malien, ivoirien et libérien.
Jeune Afrique