Après le Plan Sénégal émergent, voici le Plan Sénégal anti-Corruption. L’évocation, mercredi, en conseil des ministres, de la mise en œuvre de la stratégie nationale de lutte contre la corruption sur la période 2020-2024, laisse supposer une volonté d’agir, à tout le moins une prise de conscience de l’ampleur et de la profondeur du mal. « Une première du Sénégal indépendant ».
C’est ainsi que le président de la République qualifie lui-même sa stratégie contre la corruption dont il demande « la vulgarisation et l’intensification » après sa validation le 16 septembre 2020. Le récent classement du Sénégal dans l’indice de perception de la corruption n’est certainement pas étranger au coup de sang du chef de l’État à l’endroit de son gouvernement. En effet, notre pays, avec 45 points sur 100 soit une moyenne de 4,5 sur 10, pointe à la 66ème place mondiale et à la 7ème au niveau africain. Pas encore sorti de la fameuse zone rouge pour ne pas dire, de l’ornière ! Un classement qui ressemble fort à du surplace depuis 2016, tel un cycliste pédale dans la semoule.
La corruption, une véritable pieuvre des temps anciens et modernes. Difficile de savoir par quel bout prendre la bête tellement sa tête est enfouie dans les pratiques sociales sénégalaises. Dans son livre, La corruption bureaucratique au Sénégal, paru en 2018, l’expert en développement, Cheikh Tidiane Dièye diagnostique le mal et met le doigt sur la plaie. « Ce qui est mauvais aux yeux de nombreux Sénégalais, écrit-il, c’est de manger de façon égoïste, gourmande et arrogante en excluant les autres des bénéfices du détournement. » Dit autrement dans un wolof châtié : Senegaale bañul ku ko sacc ku ko joxul wallam la bañ.
La vérité, ce qui en constitue d’ailleurs l’équation, est que la pratique de la corruption n’est pas toujours perçue comme telle. Mieux ou pire, elle relève d’une certaine culture du neexal ou du weexal, considérée sous d’autres cieux comme étant bakchich ou pot-de-vin. L’OFNAC, Office national de Lutte contre la Fraude et la Corruption, est ainsi invité à se mettre en relation avec le Gouvernement et l’ensemble des acteurs, partenaires impliqués, pour accentuer la vulgarisation du document de stratégie obtenu par consensus. Si ce n’est une gageure, c’est au moins un grand défi qui attend cette sorte de Team Senegal contre la corruption quand on sait que le combat qui est ainsi engagé à ceci de particulier, que tous les acteurs ne regardent pas toujours dans la même direction.
Qui a intérêt à lutter contre les pratiques corruptives et qui n’y a pas intérêt ? Ces pratiques ne sont pas l’apanage exclusif des États ou au sein des États. Elles sont également courantes dans le Privé national comme international. De sérieuses études montrent que la corruption est elle-même une affaire de budget, voire de gros budget. Tous les moyens sont bons pour obtenir un contrat par-ci ou un règlement par-là. Société pour société, tout est finalement question de jeu d’intérêts.
L’OFNAC a attiré les projecteurs cette semaine, avec la Déclaration de patrimoine du président du Conseil économique, social et environnemental. La fortune supposée d’Idrissa Seck a fuité dans les médias. L’ancien Premier ministre du Président Abdoulaye Wade et nouvel allié du Président Macky Sall est présenté comme un homme fortuné. Vrai ou faux ? Licite ou illicite ? L’Office national de lutte contre la Fraude et la Corruption a cru devoir rappeler « la stricte confidentialité » des déclarations de patrimoine en tentant de dégager sa responsabilité dans ce qui ressemble à une violation manifeste des données personnelles de l’assujetti.
« Les informations dont il est fait état n’engagent que leurs auteurs et ne sauraient émaner de ses services », précise l’OFNAC. Difficile pour l’institution dirigée par la Magistrate Seynabou Ndiaye Diakhaté de convaincre son monde. Son communiqué ajoute à la confusion. Pour autant, l’OFNAC ne disculpe pas. Quid des autres assujettis pour qu’on ne se focalise que sur le seul cas Idrissa Seck ? La déclaration à l’entrée de ses biens est une chose, mais la déclaration à la sortie est autrement plus importante. C’est une question de cohérence et d’éthique. Il y va de l’efficacité et de la crédibilité de l’OFNAC. La corruption est une pandémie : il y a le préventif et le curatif.