Allô Abidjan, Conakry, Dakar… CEDEAO ? Allô l’Afrique ? Ici Bamako !
– Mais qui appelle ?
– Le Mali au bout du fil !
Le pays du Diatiguiya nous parle. Son cri s’entend. L’image qu’il nous offre se voit. Sauf à être sourd pour ne pas entendre. Aveugle pour ne pas voir. Sauf à faire comme l’autruche en enfouissant la tête dans le sable pour ne rien voir ni entendre. La chute du président Ibrahima Boubacar Keïta, au-delà des condamnations de principe, est une sérieuse alerte à toute une sous-région d’Afrique de l’Ouest et à tout un continent plus que jamais à la croisée des chemins.
Ce coup d’État-là au Mali, si d’ailleurs on peut l’appeler ainsi, est sans doute l’un des putschs les plus faciles et les plus calmes de l’histoire. Pas même une goutte de sang versée ! En lieu et place, on a vu des garnements s’amuser dans la piscine du fils du Président déchu. Retenons une chose : la légitimité d’un Président de la République ne tient qu’à un fil. Elle n’est jamais un acquis définitif.
À force d’immobilisme, de tâtonnement, d’erreurs de jugement, de renoncement à la décision ; à force de non-gouvernance du Mali ayant abouti à une situation d’in-gouvernabilité du pays, le pouvoir d’IBK était déjà par terre et il fallait juste se courber pour le ramasser. Un principe et une question. Le principe est que le putsch, suivi de l’arrestation du chef de l’État, bien que sa légitimité se soit réduite comme peau de chagrin, n’est pas acceptable. La démocratie le réprouve. L’image du Mali et de l’Afrique s’en trouve encore plus écornée.
La question maintenant est de savoir si le coup d’État-démission, parti du camp de Kati, est une victoire du peuple malien ou plutôt des seuls putschistes. Disons-le : ce qui se rapproche plus de la réalité à Bamako est que c’est un coup d’État populaire. D’une popularité inversement proportionnelle à l’impopularité du président et du régime déchus. De Modibo Keïta à Ibrahima Boubacar Keïta, l’ancien Soudan est à son quatrième coup d’État et les coups d’éclat qui vont avec.
Terre de Soundiata Keïta, le Mali, faut-il le rappeler, est le berceau de la Charte de Kouroukan Fouga (Charte du Mandé). Laissons à l’Histoire qui n’a pas fini de s’écrire nous dire s’il s’agit d’un… bon coup. Quand bien même, analyse-t-on du côté du Fleuve Djoliba, les cerveaux de la nouvelle junte militaire seraient intellectuellement plus structurés qu’un certain capitaine Sanogo.
L’heure est de constater le coup de semonce adressé par Bamako à tout un espace CEDEAO. Comme pour dire à l’endroit des chefs d’État de la sous-région : « Attention, ça peut exploser à tout moment chez vous aussi. » Mais surtout : « Ça peut mal tourner à force de jouer avec le feu. » Un avertissement sans frais ? On le saura. Il faut le dire et le marteler : le débat sur le « troisième mandat » couplé au désir inextinguible de certains dirigeants de vouloir faire plus que ne l’autoriserait la Loi Fondamentale est une source d’instabilité.
La leçon qui mérite d’être retenue par tous et chacun est que nul Président, Maréchal, Monarque ou même Empereur ne peut se maintenir indéfiniment contre la volonté du peuple. Immanquablement le pouvoir vous lâche quand la légitimité populaire s’en va. Pour l’instant, le nigérien Mahamadou Issoufou est un des rares « cas positifs » de la CEDEAO. Eh oui, pour une fois, contexte de Covid oblige, le « positif » retrouve sa place et son rang. Ce positif n’est pas stigmatisé mais bien accueilli. Le président du Niger testé… positif pour avoir déclaré urbi et orbi qu’il va se conformer à la Constitution lui interdit de briguer un troisième mandat. Le mandat de trop ? C’est la compréhension que beaucoup en ont.
Faisons un peu de géographie, le Fleuve Niger, puisque nous parlons du président Issoufou, communément appelé Fleuve Djoliba en mandingue au Mali, traverse ou longe six pays que sont : la Guinée, la Sierra Leone, le Bénin, le Nigeria et bien évidemment, le Niger et le Mali. Printemps, Jasmin, Œillet, Pangolin… Autant de noms de révolutions ou de révoltes en Afrique et ailleurs. Appelons ce qui vient de se passer au Mali et qui risque de survenir dans tout le Sahel : « LA RÉVOLUTION DU DJOLIBA ».
Dernier mot sur la sous-région : la Mauritanie avec l’arrestation de l’ex-homme fort de Nouakchott, Mohamed Ould Abdel Aziz en conflit ouvert avec son successeur, le président Ghazouani. Dans une Afrique où la bonne gouvernance n’est pas la chose la mieux partagée, poursuivre un ancien chef d’État pour sa gestion peut être salutaire, voire populaire. Attention cependant à n’offrir que la prison comme perspective à un ancien Président de la République. La hantise d’être menotté comme un vulgaire malfrat peut servir de prétexte pour s’accrocher au pouvoir. Et constituer finalement une des causes virales de l’épidémie ou endémie du mandat en Afrique.