Le Mali se distingue par sa spécificité de disposer dans le préambule de sa constitution
d’un engagement de défendre les droits de la femme et des enfants. Au vu du climat
d’instabilité qui y règne depuis plusieurs années, il y a un sentiment de devoir reprendre
tous les combats. Ce doute devient certitude quand une partie de la jeunesse se détourne
de l’essentiel et ne parvient plus à identifier ses vrais combats à cause de l’absence d’un
environnement favorable à l’éducation et à la formation de qualité.
Depuis Beijing, mon engagement en faveur des droits des femmes s’est consolidé et s’est
élargi, il a dépassé les frontières du Mali en raison de fortes interactions avec les
mouvements associatifs féminins et avec les femmes juristes tant au niveau régional
qu’international. Ceci à l’occasion des travaux avec la CEDEAO, les Nations Unies, lors des
colloques, des conférences et ateliers à mi – parcours sur plusieurs thématiques. Nous avons
pu organiser au cours des années de nombreuses rencontres pour informer et orienter les
femmes.
Nous avons aussi influencé les textes fondamentaux dont l’élaboration était en cours, pour y
intégrer des engagements forts en faveur des besoins et des préoccupations des femmes du
Mali. C’est ainsi que par exemple, dans le préambule de la Constitution de 1992 du Mali,
encore en vigueur, il est dit que « le peuple souverain du Mali est déterminé à défendre les
droits des femmes et des enfants… ».
Au Mali et à partir de Bamako, plusieurs accords durables avec les partenaires techniques et
financiers, les ambassades et les agences de coopérations ont été mis en place autour des
enjeux et défis que rencontrent les femmes maliennes, où j’étais très impliquée, en tant
qu’actrice, activiste voire consultante sur des projets nationaux et même régionaux qui
couvraient les pays de la CEDEAO et de l’UEMOA. Toutes les questions relatives aux droits
des femmes étaient abordées, discutées et le plus souvent en ateliers, séminaires avec les
acteurs étatiques et ceux de la société civile. Les thématiques tournaient autour de la
situation des femmes en prison, de la santé de la reproduction, l’assistance juridique des
femmes démunies, des discriminations contenues dans le code du mariage, du code de la
parenté, etc.
La rencontre de Beijing est venue à son heure en étant la plus emblématique de ces 25
dernières années. Elle a mis en lumière le contexte et l’environnement mondial en aidant
dans la conscience des dirigeants du monde et des peuples. Elle a mis en lumière l’urgence
de réaliser l’égalité des sexes à travers l’intégration du genre dans tous les aspects de la vie.
J’en garde le souvenir d’une grande diversité culturelle, linguistique et d’un brassage
extraordinaire des femmes venant des cinq continents. Ce fut une communion d’esprit et
une vraie sensation que les femmes portaient le monde et qu’elles étaient en capacité de
mieux le diriger. Un des moments forts aura été la présence physique de Mme HillaryClinton. Il continue de résonner dans nos esprits, ces mots : « les droits des femmes sont des
droits de l’Homme ». Le souvenir impérissable fut l’adoption par consensus, par les 189 Chefs
d’Etats de gouvernement, membres des Nations Unies, de la Déclaration et de la plateforme
de Beijing. En plus de notre constitution, le Mali a ratifié l’ensemble des instruments
juridiques régionaux et internationaux de promotion et de protection des droits des femmes.
Toutefois des facteurs endogènes liés à la mauvaise gouvernance, à l’instabilité politique, aux
conflits inter – communautaires, aux crises politiques internes et au terrorisme ont handicapé
plusieurs initiatives et ont empêché les femmes de réaliser leur potentiel. L’insécurité qui
sévit dans les 2/3 du pays a engendré des déplacements internes de populations. Les femmes
et les filles constituent le plus grand lot de ces déplacés. Elles se sont retrouvées dans un
nouveau cycle de violences de toutes sortes. Les écoles ont été pour la plus grande partie
fermées ainsi que les centres de santé. Les tribunaux et les commissariats de police et de
gendarmerie ont été saccagés. Les programmes à l’intention des femmes démunies, des
fistuleuses, des femmes vivant avec le VIH suspendus.
Au Mali, nous vivons de graves violations des droits de l’Homme, particulièrement des droits
des femmes. En temps de paix, la question des violences et des discriminations était assez
préoccupante pour un pays qui n’a pas de législation sur les mutilations génitales féminines.
Malgré la prévalence élevée de la pratique et paradoxalement dont le code de la famille
renferme encore des dispositions inspirées de la pratique de l’islam et de la coutume qui
relèguent la femme à une place toujours inférieure à celle de l’homme. Ces tendances vont
s’exacerber et s’étendre sur plusieurs générations, avec des conséquences graves. Ces
dernières seront alimentées par la déscolarisation programmée de milliers de filles, et la
fermeture des écoles modernes au profit des écoles coraniques qui fleurissent déjà au nord
et centre du Mali depuis 2012.
Par contre, il y a une jeunesse féminine, scolarisée et citadine qui suit le mouvement régional
et international sur la thématique de l’égalité homme – femme. Plusieurs plateformes actives
sont soutenues par ONU femmes et d’autres partenaires pour la mise à niveau et la présence
sur la scène politique, culturelle et civique des jeunes filles et garçons pour éviter le
cloisonnement. Il y a aussi leur organisation au sein du Conseil National des Jeunes et
d’autres structures au niveau local pour relayer les informations et les actions civiques,
d’engagement pour discuter des programmes et des tendances. Le lien intergénérationnel se
tisse et s’articule selon les domaines d’activités.
L’apport des NTIC est aussi non négligeable avec les réseaux sociaux et les radios de
proximité qui sont également mis à profit bien que pas toujours à bon escient. Mais il y existe
des programmes éducatifs intéressants et émergents sur les questions d’égalité homme –
femme qui ont besoin d’être appuyés et mieux structurés avec des jeunes pour développer le
même langage et cerner les notions autour du genre, des violences, des discriminations. La
place des langues nationales est primordiale et fondamentale pour garantir une maîtrise des
discussions et des solutions alternatives dans le domaine.Toutefois, il est nécessaire d’inscrire le débat pour l’égalité homme femme dans les
programmes scolaires et dans les universités. Celui-ci doit être porté par les filles et les
garçons. Des efforts doivent être consentis car, des disparités existent entre la capitale et les
régions. Dans ce sillage, la jeunesse doit être debout, instruite, innovatrice, consciente,
patriote et rattachée à nos valeurs de civilisation. Or, on constate aujourd’hui que la
jeunesse, à défaut de pouvoir saisir des opportunités d’emplois décents et immédiats
développe des tendances non productives. Certains s’investissent dans le champ politique
pour soutenir des hommes politiques riches.
La suite du combat est aussi juridique. La réforme des lois sur la famille doit se poursuivre à
travers l’adoption de lois sur les mutilations génitales féminines, les violences basées sur le
genre, les successions, etc. Il y va aussi la responsabilité de notre pays de rendre compte du
niveau de la mise en œuvre de ses obligations qui découlent des instruments régionaux et
internationaux régulièrement ratifiés devant les organismes. Il faut fondamentalement que le
pays, à travers ses institutions, s’approprie les recommandations et les observations des
traités signés. Il faudra que celles-ci soient mises en œuvre de bonne foi par toutes les
parties prenantes pour éviter les mêmes constats et la redondance des mêmes défis à
chaque évaluation.
D’ici à 2050, nous aspirons à un monde meilleur, sans discriminations, sans guerre, sans
conflits ethniques et sans maladies. Un monde dans lequel le respect et les valeurs humaines
seront promus et respectés par tous. Plusieurs initiatives commencent à se mettre en place,
en dépit du contexte marqué par les conséquences de la Covid. Il y a eu des évaluations de
Beijing, qui ont été menées à tous les niveaux. Les résultats ont démontré les insuffisances et
les pertes d’opportunités ainsi que de la pauvreté sur la vie des femmes. Des
recommandations ont été formulées à l’intention des gouvernements, des institutions
spécialisées des Nations unies et des institutions continentales et régionales pour plus
d’attention sur les besoins des femmes, avec des indicateurs, des deadlines, et des
promesses pour plus de moyens et d’actions en leur faveur.
Le Forum Génération – Égalité dont les assises se sont tenues à Paris du 30 juin au 02 juillet
va élargir les discussions sur les enjeux présents et futurs et sur les opportunités présentes et
futures pour les jeunes générations en vue de bâtir un avenir de paix, de démocratie et de
développement. L’avenir de la femme au Mali est complètement lié à toutes ces
transformations et à leurs retombées positives.
Me Soyata MAÏGA
Avocate au Barreau du Mali
Présidente sortante de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des
Peuples CADHP de
2017 à 2020