Déconvenues orchestrées par la France
Tout se passe comme si Emmanuel Macron, dirigeant politique de la jeune génération, n’avait pas pris la mesure du désenchantement des pays du « pré carré » francophone depuis la dévaluation du franc CFA, en 1994. En effet, présentée et vendue aux opinions africaines comme une réforme visant à soutenir la production et à stimuler les exportations, cette dévaluation s’était matérialisée par une perte drastique de pouvoir d’achat au sein des populations, et avait été vécue comme un abandon de souveraineté des États concernés.
Discours contradictoires
Ce choc monétaire intervenait par ailleurs dans un contexte de mondialisation néo-libérale prônant un modèle universel de production économique et financier. Or ce modèle allait contraindre dirigeants politiques et hommes d’affaires à des adaptations souvent douloureuses.
Aussi, pour prometteuse d’effets positifs à long terme qu’elle fût, la dévaluation du franc CFA allait faire naître des discours contradictoires à l’adresse de la France, oscillant entre désir de rupture et volonté de coopération, attraction et répulsion, puis accusations d’ingérence et de visées néocolonialistes.
Revendication populiste radicale
En Afrique francophone, le sentiment anti-français s’est donc nourri au fil des années des promesses non tenues de la dévaluation de 1994 qui, en fin de compte, a coûté très cher aux petits revenus. Dans le même temps, elle a favorisé l’émergence d’une classe d’entrepreneurs plus jeunes et résolus à investir les secteurs économiques encore aux mains de sociétés à capitaux étrangers.
« Une ferme volonté de rupture avec l’ancien système de mainmise française sur les secteurs clés des économies africaines
Le discours actuel a pris une tonalité différente de celui des années 1990. Il est l’expression d’une frustration, d’une revendication populiste plus radicale, au nom d’un certain patriotisme économique. Et le président Emmanuel Macron a raison de s’en inquiéter. Il ne s’agit point de « jeter les Français à la mer », mais d’aller à la conquête de secteurs économiques encore aux mains d’entreprises françaises.
Effet de miroir
En cela, ce discours s’adresse autant aux dirigeants français qu’aux leaders africains. C’est pourquoi il faut distinguer le sentiment anti-français « d’atmosphère » du véritable rejet de la France. Car, malgré des slogans ravageurs tels que « La France dégage » ou « Auchan dehors », la revendication essentielle des opinions africaines est de soustraire la relation Afrique-France à la dure loi du profit, Paris étant soupçonnée de s’effacer devant les intérêts des sociétés et groupes privés français.
Pour ne rien arranger, l’intense lumière médiatique projetée sur les leaders et idéologues de l’extrême droite française anti-immigration concourt, par effet de miroir, à l’exacerbation de ce sentiment ambiant en Afrique. Le passionnel prend alors le pas sur le rationnel et l’on court le risque de voir émerger, des deux côtés, des figures politiques prônant la rupture plutôt que la nécessaire invention d’un nouveau modèle de la relation.
La France et l’Afrique doivent mettre leur génie respectif au service d’une nouvelle forme de coopération, construite au sein d’une gouvernance mondiale. C’est ce que les générations montantes des deux continents attendent de leurs dirigeants actuels. Si ce chantier n’est pas ouvert, les populismes des deux côtés de l’Atlantique vaincront.