Dakarmidi- Le monde s’est encore écroulé comme à ses habitudes, quand derrière chaque passage de l’ange en charge de libérer l’âme du corps, le vent de la mort souffle comme une flûte de pan au biseau fêlé.
J’ai attendu que tu sois sous terre à Darou Salam, pour t’envoyer ce message que tu estampilleras à coup sûr même si tu jouis d’un nouvel état civil délivré par l’Eternel. Au même moment, un autre état civil a été émis, celui de la République, à mon petit-fils Mohamed, né il y a quelques jours à Dakar. La nature s’est encore abandonnée à sa propre nature selon les voies restrictives du Seigneur.
Un canon, sept coups, un homme humble, discret, est parti, tirant avec dignité sa révérence, laissant tout son univers dans le chagrin. Le chaos. Le chaos total!
Eh oui, pourtant, personne ne peut reprocher à Dieu d’avoir arraché un être à notre affection car il agit avec exactitude selon sa convenance, d’une injonction irréfragable, sur ses créatures. Il a envoyé l’Ange de la mort frapper à la porte d’Ousmane Tanor Dieng, il y a une dizaine de jours. À peine nos larmes semblent se sécher, ce même ange, propagateur d’une vérité qui séme bien trop souvent la peine, s’est encore présenté à la porte d’Ameth Amar. Qu’il est infatigable! Qu’il est concis et précis dans le service! Qu’il est assidu aux appels et ponctuel dans ses œuvres!
La maladie n’a pas eu raison sur toi, cher Ameth, elle était une simple convive, à table elle s’est découverte, rassasiée, elle t’a quitté au moment de ce voyage, que tu as voulu discret sans ambages. Le décret émane de Lui, nul obstacle. Le regret suinte de nous, que de débâcle!
La mort n’est pas une condamnation de l’homme mais sa libération. C’est pourquoi la douleur du premier jour envahit la masse et se rétrécit au fil du temps, se restreignant aux intimes, ceux-là qui étaient habilités à te mettre sous terre. Leur prière te rend libre et vos souvenirs croisés rappellent à l’heure de la moisson, les souffrances du bon grain face à l’ivraie.
Ton petit frère Cheikh Mbacké Guissé, brillant journaliste, poète à ses heures perdues a, d’un pinceau tremblant mais châtié, réinventé le chagrin de Shâh Jahân au rappel à Dieu de Mumtâz Mahal, changeant les rôles avec les symboles de la censure, de la solitude, de la surprise et de la tristesse. La douleur a griffé sa chair et brisé ses rêves de te voir encore aussi longtemps parmi nous.
Au fait, quelle est l’arme la plus redoutable contre les grains de sable, les colonies de fourmis et de vers de terre, huit jours du corps enveloppé d’un suaire sous terre? La pratique de la « Sallatu alan Nabi » (psl) et/ou le bien rendu aux hommes sans distinction. Ainsi, la lumière du Prophète Muhammad (psl) aura immunisé le corps et l’éloigner de toute putréfaction.
Au Sénégal, maintenant, même nos morts subissent la vindicte populaire, n’est-ce pas une issue heureuse pour eux d’aller au Paradis? Sayyid Ahmad El-Badawi (rta) de Tanta disait qu’on ne s’attaque pas aux morts, car ils sont des soumis-purs-bénis du Seigneur.
Pleins de souvenirs me trottent l’esprit, mes instants de prison, où tu venais souvent nous rendre visite. Thione, Me Amadou Sall, Omar Sarr et moi, avions goutté à la fragrance de ton sourire. Ou encore quand tu mettais la main de ton fils Baidy sur la mienne devant Ballago, toujours dans l’enceinte de la cour des visites du Cap Manuel, un « Takussan » béni, impair, mieux que ses pairs!
Un autre événement, solennel cette fois-ci, où je signais devant toi, un papier si privé, si sacré qui fait aujourd’hui de moi un des témoins-exécutants du testament d’une grande personnalité sénégalaise encore en vie, elle se reconnaîtra.
J’ai aussi en souvenance, toujours dans cette prison, les festins que les détenus dégustaient la nuit, viande et spaghetti à gogo, dans ces bols en alu, Mass D. et son équipe aux manettes dans la cuisine, les gardes Youssoupha F, Ngagne Th, Diakha, Ndiama S, Boris D, Thiaré en raffolaient également. Ni agitation, ni excitation, ni expiation, le calme régnait dans les cellules comme dans les intestins chaque nuit là-bas par le truchement de ton altruisme.
Tes actes si généreux à mon endroit à l’approche de chaque Mawlud peignent encore les parois de mon esprit, ce dernier plongé à se rappeler ce merveilleux dîner chez toi à Fann Résidence avec Madame, ma soeur Amy et un ami qui vous est aussi cher. Un autre Mass, un puissant homme de l’ombre. J’étais alors séduit par le bois ciré qui finissait la toiture, et cette belle verdure à peine sortie de sa toilette crépusculaire.
Je n’ai pas oublié non plus notre tête-à-tête, toi, Baidy et moi, et la passion avec laquelle tu parlais de l’avenir de tes enfants. Ou encore la célébration de l’union de la fille de l’honorable Madiagne Ndiaye de Diecko et de ton homonyme. Des moments forts, inoubliables, du commun des mortels.
Un grand homme est parti, un self-made-man, qui a cru en son pays, en nos valeurs culturelles qui fondent le préambule de notre Constitution. Tu n’as ménagé aucun effort pour faire tenir debout l’ossature de ta progéniture et rehausser la marque de fabrique que tu t’es auto-conféré sous les ailes des ondes de la nature, du Seigneur elles proviennent. Alors, parler de tes grandes qualités, cher Ameth, n’est point lire de l’Hébreu pour moi.
Pars en paix cher frère, ami de tous. Je n’étais pas certes proche de toi, comme le fut Idy, âme des artères de Dakar, mais pour ceux qui voudront témoigner de cette relation, j’étais un frère parmi ces nombreux frères que tu avais de partout.
Que Dieu dans son infinitude et sa grâce miséricordieuse te hisse dans ses sublimes paradis, hauts lieux parfumés par la noble sueur du Prophète Muhammad (psl), éclairés par sa sublime Lumière, et peints à la couleur de son teint basané, qui oriente la lune et fixe les étoiles. Le vert sombre de la Sourate Ar-Rahman est aux finitions.
Nos condoléances les plus attristées vont à toute la famille de NMA Senders, à ta famille de sang, à celle de coeur, à tes amis et à tous ces orphelins, pour qui tu avais décidé d’être pour chacun un père ou une mère!
Shasty