La montée au créneau du directeur de l’hôpital Principal de Dakar, le Professeur Mame Thierno Dieng, s’alarmant sur la vulnérabilité des personnes âgées face à cette maladie et leur trop grande exposition lors des rassemblements en dit long sur le danger encouru. Le Professeur Dieng révélait, lors d’un Conseil présidentiel d’évaluation de la riposte au Covid-19, une contamination de bien des responsables religieux et moraux ainsi que des personnalités publiques, du fait de rassemblements, dont les levées de corps principalement.
Une prise en considération active de ce danger doit être faite. Une autre révélation, faite par le Dr Abdoulaye Bousso, Directeur du Centre des opérations d’urgence sanitaire, était que de nombreux religieux, décédés ces dernières semaines, étaient victimes du Covid-19.
Cette révélation a le mérite de boucher un coin à certains fanatiques qui pouvaient encore croire que leur guide religieux serait invulnérable au coronavirus. Serait-il encore besoin de rappeler que, dans une certaine historiographie de la religion musulmane, il se dit qu’à la mort du Prophète Mouhamad (Psl), on avait assisté à des scènes d’hystérie, des adeptes ne voulant pas croire à la mort de l’Envoyé de Dieu. Umar Ibn Al-Khattab aurait pris ses responsabilités pour s’adresser à la foule leur disant que «ceux qui vénéraient Mouhamad (Psl) doivent admettre qu’il était un mortel et qu’il est bel et bien mort et ceux qui vénèrent Allah doivent savoir qu’Allah est Eternel et est toujours présent». Le Prophète avait été emporté par une maladie et force est de dire que tous nos guides religieux musulmans tirent leur légitimité du Message porté par Mouhamad (Psl). L’enseignement à tirer de cette anecdote est que le guide religieux, pour «saint» qu’il puisse être, n’en est pas plus qu’un être humain, un mortel, susceptible d’être touché par toutes les pathologies et infections dont l’organisme humain est susceptible d’être en proie. On n’a pas encore connaissance d’un «saint» immortel.
Nous avions soutenu dans ces colonnes que notre pays, à l’image de toutes les autres Nations dans le monde, ne pouvait s’enfermer dans un confinement sans fin avec un blocage de toutes les activités sociales et économiques. Vivre avec le virus s’impose au Sénégal, comme c’est le cas partout ailleurs dans le monde. Toutefois, le relâchement noté depuis l’assouplissement des mesures quant à la circulation des personnes, de la levée du couvre-feu, le débat entretenu par certains sur l’existence ou non de la maladie sous nos cieux montrent que le mal qu’est le coronavirus risque d’être traîné très longuement par notre pays, à moins d’un changement de posture. Le retour des différentes mesures évoquées par le ministre de l’Intérieur, Aly Ngouille Ndiaye, notamment avec les interdictions de rassemblement, l’application des sanctions quant aux contrevenants des mesures barrières sont un début de réponses, mais d’autres enjeux doivent également être adressés. Seulement, le meilleur exemple ne devrait-il pas commencer par le sommet de l’Etat ? Une décision du Président Macky Sall de dire publiquement qu’il ne fréquenterait plus les rassemblements à risques comme les cérémonies de présentation de condoléances pourrait être un exemple parlant. Il semble absurde de déplorer les scènes de foule à Kaolack, lors des funérailles du khalife des Niassène jeudi dernier, et voir le chef de l’Etat s’y rendre le surlendemain, à la tête d’un convoi, pour présenter des condoléances.Le respect du port du masque s’est révélé un casse-tête dans plusieurs pays. La nature humaine a cette témérité face au danger et ce refus niais face aux injonctions pour oser dire non à un geste ou une attitude censés la protéger d’un danger imminent. Le port du masque s’est fait un marqueur politique voire idéologique dans un pays comme les Etats-Unis, malgré les recommandations du personnel de santé. La France a rendu obligatoire le port du masque dans certaines zones en extérieur, avec une circulation plus active du virus ces derniers jours du fait d’un relâchement, faisant craindre une recrudescence. L’Etat rwandais retient les contrevenants au port du masque dans des stadiums un certain temps pour inculquer les gestes salvateurs aux populations. Déjà pour faire appliquer la mesure de couvre-feu prise dans un premier temps, les policiers du Rwanda avait fait usage de leurs armes à feu pour faire de nombreuses victimes. Cela a été le cas en Afrique du Sud et au Nigeria. Dans d’autres pays, des réfractaires au port du masque sont bastonnés publiquement. On ne saurait en arriver à ces extrêmes dans un pays démocratique et libre comme le Sénégal. Mais la décision du ministère de l’Intérieur de rendre obligatoire le port du masque dans les services de l’Administration et du privé, les commerces, les transports devra être accompagnée par une politique de répression et de persuasion. Il faudra que les populations soient conscientes que le port du masque et le respect des gestes barrières sont les pratiques, pour l’heure, permettant de se prémunir de la maladie et de réduire la propagation du virus. Ils sont nombreux à poser la question de l’accessibilité pour certaines populations, mais des solutions à cela sont bien là et devraient être renforcées. Les efforts des collectivités locales, d’entreprises privées, d’organismes publiques, de bonnes volontés, dans la confection et la distribution de masques doivent être encouragés pour les rendre disponibles partout dans le Sénégal. Il n’y a aucun intérêt pour l’Etat, dans une crise de santé publique où toutes les composantes de la société se mettent à contribution, de blâmer la presse sur la présentation des résultats. Ce serait trahir toute dynamique unitaire et de concorde que de chercher à indexer des acteurs dans une crise dont les limites et blocages sont partagés partout dans le monde. Un professionnel de la santé disait à propos du coronavirus qu’il n’y a pas de bonne stratégie ou de bonne façon de persuader les gens à se soumettre pleinement aux recommandations de santé. Il faut juste trouver le moyen, par le discours rassurant et clair, d’enclencher une dynamique commune dont son adoption par le plus grand nombre ralentira la propagation de la maladie. L’adoption de gestes barrières ou le changement de conduite, aussi minimes soient-ils, vont dans ce sens.
Les médias, depuis le début de la pandémie du coronavirus au Sénégal, s’efforcent de présenter les résultats, d’alerter et de sensibiliser les populations. Il n’est nullement besoin de chercher à faire peur aux populations, à trouver une petite bête ou critiquer de façon infondée. Les faits présentés sont alarmistes parce que la réalité ne dit pas le contraire. Ce serait donc faire mauvais procès à la presse sénégalaise que de la mettre au banc des accusés sur le traitement fait de la pandémie du Covid-19. Cela, d’autant plus qu’elle subit la furie de fanatiques rien qu’en ne présentant que des faits. Le récent saccage du journal Les Echos suffit comme embarras à notre démocratie. L’heure n’est pas aux petites querelles et polémiques. Nous devrions également éviter de tomber dans des travers d’un zèle démocratique et de transparence, comme en France où on a vu des cascades de plaintes en justice contre des acteurs essentiels de la santé publique en pleine période de flambée de la pandémie du Covid-19.
Au rythme actuel de la propagation de la maladie, il s’impose un discours avant-gardiste et proactif des autorités publiques auprès des différentes composantes de la société. Les rassemblements sont importants dans le vécu social. Les rencontres familiales, religieuses, culturelles et associatives sont nombreuses dans notre pays, et leur ancrage dans nos façons de faire pousse nos concitoyens à s’imaginer qu’il serait difficile de faire sans elles. Il appartient à l’Etat, garant de la sécurité de tous, de trouver les voies et moyens pour sensibiliser sur les risques que représentent les grands rassemblements dans ce contexte de coronavirus. L’Eglise catholique du Sénégal a pris les devants en interdisant, pour la fête de l’Assomption, les rassemblements et déplacements habituels dans un souci de santé publique. Le comportement civique et responsable de cette Eglise catholique est à souligner. Le Clergé catholique, tout autant croyant que toute autre autorité religieuse, a systématiquement maintenu la décision de fermeture au public des lieux de culte et avait auparavant pris la décision de ne pas célébrer le Pèlerinage marial de Popenguine, qui reste le plus grand rendez-vous annuel pour la communauté catholique au Sénégal et dans la sous-région. Le Professeur Mary Teuw Niane, dans une dynamique similaire, a proposé sur les ondes de la Rfm de voir comment célébrer de façon symbolique des événements religieux comme le Grand Magal de Touba (commémoration du départ en exil de Cheikh Ahmadou Bamba) et les différents Gamou (célébration de la naissance du Prophète Mouhamad) si la situation sanitaire en venait à empirer. Une pareille mesure s’inspirerait de la décision des autorités de la Mecque d’adapter le pèlerinage musulman, cinquième pilier de l’islam, aux contraintes de la lutte contre la pandémie du Covid-19 et l’interdiction, durant toute cette année, de la Umrah (petit pèlerinage). Encore une fois, les pratiques dans les principaux lieux saints de l’islam devront inspirer au Sénégal. Il faut dire que certains guides religieux ont suivi cette tendance. Les prières à domicile recommandées lors de la dernière fête de la Tabaski pour éviter les rassemblements vont dans ce sens. Un autre exemple, majeur, est l’attitude de Serigne Sidy, khalife de la famille de Serigne Abdou Lahad Mbacké. Sans tambour ni trompette, il avait ordonné aux disciples de ne point se déplacer ce 23 juin 2020 à Touba pour le Magal traditionnellement dédié à la célébration de la naissance du troisième khalife général des Mourides. Cette décision de Serigne Sidy, qui est l’une des principales figures de la communauté mouride, ne peut pas ne pas être relevée. Ce serait une grande décision, sans doute très lourde à prendre pour le khalife général des Mourides, Serigne Mountakha Mbacké, de ne pas célébrer le Magal de Touba, comme on avait l’habitude de le faire avec des rassemblements de plusieurs millions de personnes dans la ville de Touba. La question mérite d’être posée. Serait-il besoin de rappeler que le premier khalife général des Mourides, Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké, de 1927 à 1945, n’avait jamais organisé le Magal de Touba sous forme de rassemblements de personnes venant de tous horizons ? Pour ce qui est du Maouloud ou Gamou, on retiendra que seuls quelques rares pays musulmans, comme le Sénégal, s’adonnent à sa célébration. Il y aurait sans doute de fortes résistances du fait qu’au-delà de leur aspect religieux, ces manifestations se révèlent être des rendez-vous lucratifs pour certains milieux sociaux religieux. Au demeurant, c’est à l’Etat, avec la réalité sanitaire qu’il a en sa connaissance, de rapprocher les postures et de sensibiliser tous les acteurs du pays. Il y a eu des méprises qu’on a pu regretter. Les célébrations du Magal de Porokhane par exemple, et les récents événements comme la célébration de la Tabaski, les fortes affluences aux funérailles de guides religieux et le convoyage du personnel enseignant de Dakar vers les régions constituent des situations favorables à la dissémination du Covid-19. Tout le monde savait que les déplacements massifs des populations durant la Tabaski constituaient un péril certain. Les personnes quittant Dakar, l’épicentre de la maladie au Sénégal, pour aller passer les jours de fête dans d’autres localités du pays étaient des vectrices potentielles de propagation et de dissémination de la pandémie. On voit déjà les résultats avec la prolifération des cas de contamination communautaire au Covid-19 et surtout la dissémination géographique de ces nombreux cas. Le ministre de la Santé et de l’action sociale, Abdoulaye Diouf Sarr, aurait sans doute préféré que le gouvernement prît une mesure de fermeture de la région de Dakar pour la période de la Tabaski, mais le gouvernement a sans doute manqué d’anticipation. Voir comment contenir ce virus dans Dakar, désormais son foyer le plus actif, est plus qu’impératif pour notre salut commun. En tout cas, un pays comme le Maroc, qui avait pris la mesure draconienne de fermer ses huit plus grandes villes où le virus du Covid-19 était encore le plus actif, a pu espérer avoir limité quelque peu les dégâts.