Dakarmidi – L’opposant Ousmane Sonko, candidat à la présidentielle de 2019, fait figure de nouveau venu dans le paysage politique sénégalais. Nicolas Simel Ndiaye, fondateur du think tank L’Afrique des Idées, estime qu’au-delà du tournant qu’il représente dans l’histoire politique récente du pays, il est aussi le produit de l’échec de la majorité présidentielle à mener les réformes attendues.
Après avoir habitué les sénégalais à une opposition acharnée au sein de l’Assemblée nationale depuis l’été 2017 ; après avoir sans coup férir réuni le nombre de parrainages nécessaire pour être candidat à l’élection présidentielle de février 2019 ; après avoir publié ses « Solutions » et réussi un lancement de campagne inédit, Ousmane Sonko incarne désormais une nouvelle façon de faire de la politique au Sénégal fondée sur un triptyque : la confrontation des idées, la compétence et l’incarnation d’une jeunesse décomplexée, ambitieuse, combative.
En cela, Ousmane Sonko constitue une triple chance pour le Sénégal. D’abord pour notre vitalité démocratique, car une majorité présidentielle aussi large a besoin d’une opposition d’autant plus forte pour éviter de sombrer dans un confort et une léthargie certes confortables à court terme mais de toute évidence insoutenables dans la durée.
Ensuite pour notre jeunesse, dont une partie cède progressivement aux sirènes de l’indifférence vis-à-vis de la politique.
Enfin pour nos institutions, dans la mesure où il défend un principe certes consensuel mais jamais acquis, celui de l’équilibre du pouvoir, pour que, comme l’écrivait Montesquieu, « par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ».
Produit du désenchantement
Cependant, qu’il n’en déplaise à ses partisans tout autant qu’aux inconditionnels de la majorité présidentielle, Ousmane Sonko est aussi le produit d’un désenchantement qui affecte une partie des Sénégalais, notamment au sein de la jeunesse. En dépit de quelques succès tangibles, la majorité présidentielle a en effet laissé germer un désenchantement qui s’est nourri de deux erreurs stratégiques.
La première de ces erreurs a consisté à donner la priorité à des projets emblématiques en délaissant des réformes pourtant nécessaires. Le Plan Sénégal émergent (PSE), qui constitue le référentiel des politiques publiques à l’horizon 2035, offre une illustration parfaite de ce décalage stratégique. Si environ 60% des 27 projets phares ont été initiés, à peine 30% des 17 réformes phares l’ont été.
Les initiatives pour aligner l’enseignement supérieur sur les besoins de l’économie, structurer et promouvoir la formation continue, permettre aux acteurs de l’économie informelle d’accéder à la protection sociale, moderniser l’administration sont restées timides pour l’essentiel.
Quant aux réformes institutionnelles, les recommandations substantielles issues des Assises nationales sont restées pour la plupart lettre morte alors même que les sénégalais souhaitent une plus grande indépendance de la justice et un contrôle parlementaire sérieux sur l’action du pouvoir exécutif.
Quand bien même les réformes ne se « mangent » pas, elles constituent, par leur caractère structurel, un terreau qui favorise à long terme l’amélioration des conditions de vie, portent en elles des symboles qui renforcent la fierté de notre peuple, produisent le ciment qui consolide notre démocratie.
Incapacité à faire émerger de jeunes leaders
La seconde erreur stratégique qui nourrit le désenchantement dont profite Ousmane Sonko, est que la majorité présidentielle, alors même qu’elle en possède le vivier, n’a pas réussi à faire émerger des figures de réussite issus de la jeunesse, capables de donner du sens et de parler de façon crédible à la jeunesse de notre pays.
En discutant un jour avec un proche conseiller du président de la République, j’ai insisté sur la nécessité de mieux comprendre la jeunesse de notre pays, de s’adresser davantage à elle, de lui inspirer confiance. Mon interlocuteur, un brin agacé, me répond que ceux qui entourent le président connaissent la jeunesse, qu’eux aussi ont un jour été jeunes et que la jeunesse n’est pas un corps spécifique qu’ils découvraient à neuf mois de la prochaine élection présidentielle. Chacun appréciera.
S’EST-ON DEMANDÉ CE QUE VALAIT AUJOURD’HUI POUR LA JEUNESSE SÉNÉGALAISE LA PAROLE D’OUSMANE TANOR DIENG OU CELLE DE MOUSTAPHA NIASSE?
Il reste que les faits sont têtus. Dans un pays où l’âge moyen est de 19 ans et où 81% de la population a moins de 40 ans, aucun membre de l’actuel gouvernement n’a moins de 40 ans. Très peu de jeunes ont figuré sur la liste des 330 candidats titulaires et suppléants investis par la majorité présidentielle.
Dans une note aux lendemains des législatives du 30 juillet 2017, j’attirai déjà l’attention sur le fait que cette forme d’injustice à l’égard des jeunes contrastait avec la tendance grandissante de leur conscience politique et, partant, leur volonté de participer de manière plus active à la gestion des politiques publiques. Que si la tendance actuelle devait se poursuivre, la majorité présidentielle laisserait aux oppositions un champ libre pour prétendre représenter la jeunesse du pays.
Lorsqu’Ousmane Sonko s’engage sur le terrain du débat d’idées armé du talent et de la fougue juvénile qu’on lui connait, qui donc est susceptible de lui résister ? S’est-on seulement demandé ce que valait aujourd’hui pour la jeunesse sénégalaise la parole d’Ousmane Tanor Dieng ou celle de Moustapha Niasse? Celle de Moustapha Cissé Lô ou de Souleymane Jules Diop ? Celle de Souleymane Ndéné Ndiaye ? Arrive-t-il encore qu’on entende cette phrase « Ce que vous êtes crie si fort que l’on n’entend pas ce que vous dites » ?
Un tournant pour la vitalité démocratique sénégalaise
AU-DELÀ DE TOUT CLIVAGE POLITIQUE, IL RINGARDISE CERTAINS ET DONNE DE L’ESPOIR À D’AUTRES
Comme pour tout candidat, il est peu probable qu’Ousmane Sonko devienne un jour président de la République car la sentence biblique est péremptoire : beaucoup sont appelés, peu sont élus. Il est encore moins probable qu’il devienne président de la République dans quelques mois car à la raison statistique évoquée s’ajoutent des arguments de sciences politiques électorales classiques, un contexte sénégalais peu favorable et, il faut le reconnaître, un bilan du président Macky Sall qui n’exige en rien qu’on veuille se débarrasser de lui à tout prix.
Ousmane Sonko marquera tout de même un tournant dans l’histoire politique récente du Sénégal, celui d’une autre façon de faire de la politique, d’incarner la jeunesse, d’être exigeant avec nos dirigeants, d’être exigeants avec nous-mêmes. En cela, et au-delà de tout clivage politique, il ringardise certains et donne de l’espoir à d’autres.
Avec JeuneAfrique