Dakarmidi – es résultats de l’élection présidentielle du 24 février 2019 ne sont que « provisoires », en attendant que le Conseil constitutionnel ne les proclame comme « définitifs », d’autan des cinq candidats n’a introduit de recours. Macky Sall a été réélu au premier tour avec 58,27% des suffrages. On peut dire qu’il est donc réélu avec une confortable majorité. Nous prédisions qu’il sera élu sur un fauteuil. La dernière fois qu’un président de la République avait été élu au premier tour avec un suffrage supérieur à ce score de Macky Sall remonte à l’année 1993, quand le Président Abdou Diouf avait été élu au premier tour avec un score de 58,40% des suffrages.
Mais ce qui rend la victoire du Président Sall encore plus reluisante est qu’il a été élu avec l’un des meilleurs taux de participation. Macky Sall a été élu le 24 février 2019 avec un taux de participation de 66,23%. C’est le meilleur taux de participation enregistré à une élection présidentielle depuis plus de 45 ans, c’est-à-dire plus précisément depuis l’élection présidentielle de 1973. Léopold Sédar Senghor avait été élu en 1973, alors qu’il était candidat unique, avec un suffrage de plus de 98% et un taux de participation de quelque 96%. C’était du temps des balbutiements de la renaissance de la démocratie sénégalaise. Est-il besoin de rappeler que le taux de participation à l’élection présidentielle était de 63,12% en 1978 (Léopold Sédar Senghor), 56,70% en 1983 (Abdou Diouf), 58,76% en 1988 (Abdou Diouf), 51,46% en 1993 (Abdou Diouf), 55,90% en 2007 (Abdoulaye Wade) ?
Même pour les élections présidentielles à deux tours comme en 2000 et 2012, les taux de participation n’ont jamais atteint le taux de cette année 2019 où l’élection a été réglée en un seul tour. En effet, le taux de participation était de 62,23% au premier tour de l’élection de 2000 et 60,75% au second tour. Il baissera, à l’élection présidentielle de 2012, à 51,58% au premier tour, pour atteindre finalement un taux de 55% au second tour. Il s’y ajoute que de l’avis unanime des milliers d’observateurs nationaux et internationaux, « l’élection du 24 février 2019 a été crédible, transparente et démocratique ». On ne le dira jamais assez, les autorités en charge de l’organisation du scrutin ont tiré leur épingle jeu.
Macky Sall, un Président libre de contraintes
Macky Sall a donc été bien élu et cette élection lui donne les coudées franches. Les électeurs ont exprimé un vote d’adhésion, de renouvellement de leur confiance, mais surtout le vote a pu être l’expression de la satisfaction pour un bilan jugé globalement positif. Le vote aurait pu être plus massif, n’eussent été des situations subjectives observées dans des circonscriptions électorales comme à Touba notamment.
En effet, le Président Sall a pu indiquer durant la campagne électorale un cap clair pour poursuivre les chantiers engagés dans la première phase de réalisation du Plan Sénégal émergent (Pse). Ainsi, la phase 2 de ce Pse a pu être présentée lors d’une réunion du Groupe consultatif à Paris, le 17 décembre 2018, aux partenaires techniques et financiers et tous les financements nécessaires ont été promis. On peut donc considérer que le Président Sall ne devra pas manquer des ressources nécessaires pour conduire les actions envisagées. Un tel chef d’État entame donc son mandat avec une grande confiance. Il ne manquera sans doute pas de prêter une oreille attentive aux récriminations de son opposition, car il conviendra de gouverner pour chercher à satisfaire jusqu’aux couches de populations qui ont exprimé une appréciation négative de sa gouvernance en exprimant un vote d’opposition.
Pourtant, devrait-on se demander avec quelles équipes il devra gouverner. De nombreuses voix s’élèvent pour suggérer au chef de l’État de tendre la main à l’opposition. La démarche peut s‘avérer pertinente dans la dynamique d’une logique de dialogue politique pour renforcer le système démocratique et les institutions républicaines. Il sera de bon augure d’élargir la composition des institutions politiques à des personnalités provenant d’horizons et ayant des profils variés. Seulement, il ne devrait pas être question de rechercher un unanimisme autour du chef de l’État. Il reste nécessaire dans une démocratie que les vainqueurs gouvernent et que les battus restent dans l’opposition pour pouvoir faire des propositions alternatives et des critiques constructives. Le Sénégal n’est pas dans une situation où le Président Sall serait contraint de devoir faire appel à l’opposition pour pouvoir gouverner. Il ne devrait pas y avoir de consensus qui traduirait un partage d’un « gâteau gouvernemental ».
Au demeurant, de tels petits arrangements entre politiciens se font toujours au détriment des populations. Il convient donc pour l’opposition, battue de manière claire et nette, de se remettre à préparer les prochaines élections et de surveiller et contrôler l’action du gouvernement qui sera mis en place. Il n’en demeure pas moins que le chef de l’État devra pouvoir ouvrir l’espace public et éventuellement, dans les limites de ses attributions constitutionnelles, faire preuve de mansuétude et d’esprit de pardon. Dans tous les cas, il devra apprécier librement toute mesure qu’il pourrait envisager pour desserrer toute tension politique consécutive à l’organisation du dernier scrutin présidentiel. Accorder la grâce à l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall, condamné pour prévarications de ressources publiques ? Initier une loi d’amnistie en sa faveur et/ou à la faveur de Karim Wade, lui aussi condamné par la justice, mais déjà gracié ? Le Président Sall a toutes les cartes en main. Il est le maître de ses horloges.
Les chantiers du Président Sall seront nombreux et variés, mais on pourra retenir la nécessité pour lui d’opérer des réformes dans la gouvernance publique du Sénégal. Tous les secteurs de la vie nationale auront sans doute besoin de retenir son attention, mais il s’avère urgent de prendre à bras-le-corps des questions fondamentales dans la vie de la Nation, comme l’éducation, la santé, l’emploi et l’environnement économique.
Dans une chronique en date du 31 décembre 2018, intitulée « Ce qu’il faudrait changer au Sénégal en 2019 », nous soulignions l’impérieuse nécessité d’opérer des changements structurels dans la gouvernance publique. L’Administration publique, ankylosée par des pratiques d’un autre âge, ne satisfait pas les exigences de qualité de service des usagers. Les statuts des fonctionnaires devraient être revus pour les adapter à un contexte de modernisation de l’Administration et des services publics. Il devrait en être de même également pour la législation sur le travail. Le Code du travail sénégalais a besoin d’un coup de révision afin de mieux prendre en charge les préoccupations des investisseurs. Une telle opération devra se faire dans le cadre d’un dialogue inclusif avec les partenaires sociaux.
Pour être conduites de manière efficace, les réformes auront besoin d’être conduites par un gouvernement qui répondrait davantage à certains critères de performance. Ne disions-nous pas de « réformer jusqu’au gouvernement », tout en précisant notamment que : « La réussite de toute politique est tributaire des personnes qui la portent et la mettent en œuvre. De ce point de vue, le nouveau président de la République du Sénégal devra s’entourer d’une équipe constituée d’hommes et de femmes avec un pedigree qui illustre leurs compétences et leurs capacités à conduire une action gouvernementale efficace. Il est question en l’occurrence de rompre avec une pratique qui a pu s’installer depuis une vingtaine d’années au Sénégal et qui consiste à placer, à des fonctions stratégiques au sein de l’appareil d’État, des personnes simplement au regard de leur engagement politique.
Un véritable népotisme a pu être constaté et les exigences d’impulser des changements porteurs de progrès majeurs dans les domaines économique et social commandent une autre façon de faire. L’architecture gouvernementale devra être plus cohérente et plus efficace et le Sénégal devrait tourner la page de l’ère des gouvernements pléthoriques, constitués dans un objectif de satisfaire une clientèle politique. Tel devra être le leitmotiv d’un Macky Sall reconduit à la tête du Sénégal. En effet, la politique qu’il a eu à conduire durant son premier mandat lui a permis d’arriver à des résultats tangibles qui ont quelque part changé le visage du Sénégal. On peut être convaincu qu’il aurait pu mieux faire s’il avait eu les compétences pour garder le tempo des performances. A la vérité, de nombreux ministres ont pu apparaître comme facteurs de blocage ou de contre-performance.
Et la perception que les populations ont pu avoir du profil des membres du gouvernement n’a pas manqué d’impacter négativement la visibilité et la lisibilité des réussites dont le Président Sall peut légitimement s’enorgueillir. »
Au Sénégal, l’opposition ne reconnaît jamais ses défaites électorales
Sur le plan politique, le prochain gouvernement aura à conduire un processus d’évaluation du scrutin, ses modalités et conditions d’organisation. A cette occasion, le parrainage intégral pour les élections nationales ne manquera pas d’être rediscuté. Une évaluation devra être conduite de ce système de parrainage et le renforcer. Cela aura l’avantage de clarifier le jeu politique et d’induire une limitation des partis politiques. On ne le dira jamais assez, la floraison des formations politiques à la petite semaine constitue le ventre mou du système démocratique sénégalais. Le Sénégal n’a que faire de plus de 300 partis et mouvements politiques. Tout le monde a pu trouver l’intérêt d’avoir suivi la dernière campagne électorale avec un nombre de cinq candidats qui ont eu toute la latitude d’exposer et de confronter leurs ambitions pour le pays. Cela a juré avec la cacophonie des élections législatives que se disputaient en juillet 2017 quelque 47 listes dont seules six avaient pu obtenir au bout du compte un ou plusieurs sièges de député. Devra-t-on réduire encore le nombre de parrains exigé de tout candidat à l’élection présidentielle ?
La proposition initiale du gouvernement avait été d’exiger au moins 1% du fichier électoral comme nombre de parrains. C’était au moment du vote de la loi qu’un amendement parlementaire avait réduit le taux à 0,8% du corps électoral. On se rappelle qu’à la faveur du Code électoral dit consensuel de 1992, les parrainages de 10 mille citoyens étaient exigés de tout candidat indépendant à l’élection présidentielle. Ces 10 mille signatures représentaient justement 1% du nombre courant de votants aux élections à cette époque. La disposition avait été adoptée par la classe politique qui manifestement cherchait à rendre plus difficile la tâche pour les personnalités indépendantes qui songeraient à s’engager dans des compétitions électorales.
Pour l’histoire, on retiendra que le consensus qui avait généré le Code électoral, dit « Code Kéba Mbaye » de 1992, avait surtout été possible, car un certain Abdoulaye Wade, chef naturel de l’opposition, siégeait comme ministre d’État, à la table du Conseil des ministres, dans le cadre du premier gouvernement de majorité présidentielle élargie du Président Abdou Diouf (avril 1991 – octobre 1992). Le dialogue a pu se poursuivre dans le cadre du deuxième gouvernement de majorité présidentielle élargie (1995-1997 : Abdoulaye Wade à nouveau ministre d’État de Abdou Diouf) pour permettre la création de l’Observatoire national des élections (Onel), l’ancêtre de l’actuelle Commission nationale électorale (Cena). Le dialogue et la concertation pour arriver à une forme de consensus politique n’a jamais été possible que dans une situation où l’opposition avait été conviée à « la soupe ».
C’est sans doute ce qui a expliqué que tous les appels lancés par le Président Macky Sall à son opposition pour trouver des consensus politiques sont jusqu’ici tombés dans l’oreille de sourds. Seulement, l’opposition a pu faire le constat qu’en faisant la politique systématique de la chaise vide, la majorité du Président Sall n’a pas manqué de poser des actes que cette même opposition a, peut-être, payés chèrement. Un nouvel appel au dialogue politique sera-t-il éternellement ignoré ? Rien n’est moins sûr… De façon générale, on observera qu’au Sénégal, l’opposition a toujours manifesté une méfiance à l’égard du pouvoir, à tel point que l’opposition n’a jamais reconnu une défaite concédée à des joutes électorales. C’était le cas en 1963, en 1978, en 1983, 1988 et en 1993. A chaque fois que des vaincus ont eu à féliciter les vainqueurs, c’est que les vainqueurs provenaient du camp de l’opposition.
En 2000, le vaincu Abdou Diouf, candidat sortant, avait félicité Abdoulaye Wade, opposant vainqueur de l’élection. En 2007, l’opposition avait rejeté en bloc les résultats de la réélection de Abdoulaye Wade et se radicalisa jusqu’à boycotter les élections législatives de la même année. Abdoulaye Wade félicita en 2012 Macky Sall qui venait de le vaincre. Il n’y a donc rien de surprenant que Ousmane Sonko, Idrissa Seck, Issa Sall et Madické Niang n’aient pas voulu féliciter le Président sortant Macky Sall, vainqueur du scrutin du 24 février 2019. Ils rejettent en bloc les résultats du scrutin dont tous les procès-verbaux des bureaux de vote et des commissions de recensement des votes ont pourtant été signés sans réserve par leurs mandataires.