Dakarmidi – Ils ont pris le pouvoir par les armes ou y ont accédé par la voie des urnes et ont tout fait pour y rester. Dans un continent où l’alternance politique apporte rarement de nouvelles têtes après les élections, certains présidents africains, au pouvoir depuis le siècle dernier, s’accrochent encore à leur fauteuil, quitte à user de subterfuge constitutionnel, quand ils n’ont pas réussi à se faire remplacer par leur fils. Certains ont déjà validé le ticket de leur réélection tandis que d’autres entendent bien imiter leurs vieux pairs, parfois proche du record continental de 41 ans au pouvoir détenu par l’ancien président gabonais, Omar Bongo. Voici un palmarès, non exhaustif, des dix présidents africains qui battent les records de longévité au pouvoir.
10- Denis Sassou Nguesso (Congo), 13 ans -32 ans en cumulé-
L’opposition crie au « coup d’Etat ». Mais sa recette a été gagnante. Une modification de la constitution couplée à une présidentielle anticipée a permis à Denis Sassou Nguesso de se faire élire en avril 2016, pour un mandat supplémentaire à la tête de la République du Congo. Le secret de jouvence de ce président aujourd’hui âgé de 72 ans: reculer pour mieux sauter.Militaire formé en France, il intègre l’armée où il monte en grade pour rejoindre le capitaine Marien Ngouabi qui mène les officiers frondeurs contre le président Massamba-Débat dont le régime est renversé en 1968 et remplacé par un Conseil national de la révolution (CNR). Denis Sassou Nguesso devient ministre de la Défense puis membre fondateur du Parti congolais du travail (PCT) qui remplace le CNR. En 1977, Ngouabi est assassiné. Yhombi-Opango du PCT lui succède mais entre en conflit avec Sassou Nguesso. En 1979, il réunit les ténors du PCT lors d’une session extraordinaire et renverse Opango.
Il est élu président du parti et chemin faisant, président de la république. Il restera au pouvoir pendant 13 ans au pouvoir. Entre temps, les Congolais ont voté en 1991, une nouvelle constitution qui institue un régime semi-parlementaire affaiblissant ainsi le PCT désormais obligé de s’allier à la coalition de Pascal Lissouba qui est élu à la place de Sassou-Nguesso en 1992. Il réalise un retour triomphal après une traversée du désert de 5 ans, par les armes lors d’une guerre civile qui ravage le pays. Appuyé par les réseaux françafricains et l’armée angolaise, Denis Sassou Guesso retrouve son fauteuil de président en 1997 pour être élu à nouveau en 2002 puis réélu en 2009 et 2016. Si la première tranche de son règne a duré 13 ans, la seconde partie a duré 18 ans. Total cumulé, 32 ans, si on compte les mois.
9- Yahya Jammeh (Gambie), 22 ans
C’est le coup d’Etat le plus silencieux de l’époque. En juillet 1994, à la tête d’un commando de quatre officiers, le lieutenant Yahya Abdul-Aziz Jemus Junkung Jammeh prend d’assaut le palais du « State House » à Banjul et dépose le président Dawda Kairaba Jawara, contraint à l’exil. La junte porte au pouvoir le jeune homme en treillis qui s’empresse de créer son parti politique deux années plus tard.Ce même parti qu’il dirige remporte la présidentielle de 1996. Yahya Jammeh sera réélu en 2001, 2006 et 2011. Ces mandats sont marqués par une restriction de la liberté de la presse, l’intimidation de la société civile sans compter les menaces contre l’opposition et les journalistes par la redoutable National Intelligence Agency, les services secrets gambiens.L’homme troque son treillis pour un boubou blanc, un coran, un chapelet et un spectre dont il ne sépare plus. En 2014, il change la langue officielle de son pays de l’anglais à l’arabe avant de le décréter république islamique. Entre temps, il a acté le retrait de la Gambie du Commonwealth. Malgré l’emprisonnement ou la mort en prison d’opposants politiques, Yahya Jammeh, aujourd’hui âgé de 51 ans, a été investi par son parti pour briguer un cinquième mandat après 22 ans passés au pouvoir.
8- Isaias Afwerki (Erythrée), 23 ans
Depuis son indépendance en avril 1993, l’Érythrée n’a pas connu un autre président qu’Isaias Afwerki. Cet ingénieur formé en Ethiopie est un militant de la première heure du mouvement de libération de cette ancienne colonie britannique annexée à l’Ethiopie. Il est élu président de l’Assemblée nationale de ce tout jeune pays d’Afrique de l’Est, le jour même de l’indépendance le 24 mai 1993, puis le même jour président de la république. Discrètement l’homme du Palais de l’empereur installe une autocratie qui se traduit par l’instauration d’un parti unique, la suspension de toute élection dans le pays, la restriction de la presse et l’emprisonnement de ceux qui réclament l’application de la constitution. Ce ne sont ni la révélation sur les 10.000 prisonniers politiques par Amnesty International, ni le rapport de l’ONU l’accusant de crimes contre l’humanité qui font peur à ce président au pouvoir depuis 23 ans.
7- Idriss Déby Itno (Tchad), 26 ans
Du haut de ses 64 ans, Idriss Déby a été élu en avril 2016, pour son cinquième mandat à la tête du Tchad. De retour au Tchad après des études d’aéronautique en France, il s’associe avec la rébellion de Hissène Habré pour lui permettre de renverser et de prendre le fauteuil du président Goukouni Oueddei en 1982.Nouvel homme de confiance de Hissène Habré, Idriss Déby gravit les échelons dans l’armée tchadienne et est promu colonel. Mais ses relations avec Hissène Habré se détériorent, le poussant à se réfugier en France. Avec l’aide des services de renseignement français, il renverse le dictateur Habré en décembre 1990 et prend la présidence du conseil d’Etat puis proclamé président par un mouvement rebelle qu’il avait construit quelques années plus tôt.Le général-président est élu par la voie des urnes en 1996. Depuis l’actuel président en exercice de l’Union africaine a été réélu lors des présidentielles de 2001, 2006, 2011 et 2016 non sans faire face à des tentatives de renversement qui ont fait vaciller son régime sans réussir à le renverser. Réussira-t-il à tenir encore au pouvoir après un quart de siècle de règne ?
6- Omar El Bechir (Soudan), 27 ans
Au titre de « dictateur » dont il est affublé, Omar Hassan El-Bechir pourra désormais ajouter celui du premier chef d’Etat en exercice poursuivi par la cour pénale internationale (CPI). Ce militaire formé au Caire, livre ses combats dans l’armée égyptienne dans la guerre du Kippour contre Israël en 1973. De retour au Soudan, il prend la direction des opérations militaires contre la rébellion du Sud Soudan et acquiert le titre de général en 1980.A la tête d’un groupe d’officiers du Conseil du commandement révolutionnaire pour le salut national, il mène en juin 1989, le coup d’Etat qui renverse Premier ministre Sadeq Al-Mahdi. La junte suspend tous les partis politiques et introduit un nouveau code législatif d’instance islamique. Le général El Bechir cumule les fonctions de chef de l’État, Premier ministre, chef des forces armées et ministre de la Défense.La CPI qui accuse El Bechir élu en 2001 d’avoir orchestré des viols et des assassinats ethniques lors de la guerre civile du Darfour début 2000, émet un mandat d’arrêt en 2009 puis un autre en 2010. Deux mandats que l’Union africaine et la ligue arabe refuse d’appliquer. Le président réélu en 2006, 2011 et 2015, est aux prises avec la sécession puis la partition du Soudan en deux Etats.Malgré les mandats d’arrêt à son encontre, Omar El Bechir qui a passé 27 ans au pouvoir, a pu se rendre en Libye, en l’Égypte, au Tchad, à Djibouti, au Kenya au Qatar et même en Chine sans être arrêté.
5- Robert Mugabe (Zimbabwe), 28 ans
A 92 ans, Robert Gabriel Karigamombe Mugabe est le doyen de tous les chefs d’Etat encore en exercice. Un titre qui escamote que cet enfant élevé par sa mère depuis l’âge de 10 ans après l’abandon de son père, est bardé de sept diplômes académiques en enseignement et en économie.Ce marxiste-léniniste formé aux techniques de la guérilla en plein apartheid a été aux avant-postes de la lutte pour la l’indépendance de Rhodésie du sud alors dirigé par un gouvernement minoritaire blanc. Lorsque cette ancienne colonie britannique accède à la souveraineté en 1980, Robert Mugabe qui avait créé le parti de la Zimbabwe African National Union (ZANU) devient Premier ministre alors véritable pourvoir exécutif. Sept ans plus tard, il devient président, une fonction jusque-là honorifique désormais fusionné avec la primature.Robert Mugabe sera réélu en 1987, sans interruption, six quinquennats successifs. Il faut dire que l’homme qui est aujourd’hui connu pour ses sorties à l’emporte-pièce, a installé une véritable autocratie avec une opposition souvent malmenée ou torturée quand ses membres ne sont pas menacés ou éliminés. Au total, Mugabe règne sur ce petit pays appauvri d’Afrique australe depuis 28 ans. Son mandat actuel court jusqu’en 2018 et il n’est exclu qu’il brigue un septième quinquennat.
4- Yoweri Museveni (Ouganda), 30 ans
Yoweri Kaguta est arrivé au pouvoir par les armes en janvier 1986, dans une Ouganda hautement ethnicisé où l’alternance politique s’est toujours fait par un coup de sang depuis l’indépendance du pays en 1962. Après sa carrière militaire, il fréquente les mouvements nationalistes radicaux du Soudan, de Mozambique et de Guyane qui le forme aux techniques de la guérilla.En 1970, Yoweri Kaguta intègre les redoutables services secrets de l’autocrate président de l’époque Milton Obote qui a dû renverser Paulo Muwanga pour accéder au pouvoir en 1962. Obote alors en déplacement à Singapour est à son tour renversé par Idi Amin Dada en 1971 poussant Yoweri à quitter le pays pour se réfugier en Tanzanie. Obote revient au pouvoir par la voie des urnes en 1979 après neuf années de terreur et de dictature de Dada dans un pays miné par les guérillas.Une situation qui profite au général Tito Okello qui dépose en juillet 1985 Milton Obote, avant d’être renversé six mois plus tard par Yoweri Kaguta alors à la tête d’une guérilla armée par la Tanzanie. Depuis, le très populaire « Museveni » (sept en référence au numéro du régiment britannique où il a servi) a remporté la présidentielle de 1996, dix ans après son putsch. Il a enchaîné 5 réélections dont la dernière en février 2016. Total cumulé à la tête de pays enclavé d’Afrique centrale : 30 ans de mandature. Il prépare son fils, le général Muhoozi Kainerugaba à reprendre son fauteuil au « State House », le palais présidentiel ougandais.
3- Paul Biya (Cameroun), 34 ans
Pour accéder à la magistrature suprême, Paul Barthélemy Biya’a Bi Mvondo a dû faire ses preuves au sein du pouvoir central au Cameroun et attendre son moment. Tour à tour chargé de mission puis secrétaire général de la Présidence, il est nommé premier ministre. L’alignement des planètes le pousse sur le devant de la scène lorsque, convaincu d’être atteint d’une maladie qui va bientôt l’entraîner dans la tombe, le président Mahamat Ahidjo, démissionne par voie de presse le 4 novembre 1982. Paul Biya lui succède deux jours plus tard sans violence.Maître absolu dans ce pays riche en ressources pétrolières, minières, agricoles et forestières, l’actuel locataire du Palais d’Etoudi, résiste aux tentatives de coup d’Etat et aux rumeurs persistantes sur sa mort. Pour serrer la vis après son élection en 1997 et sa réélection en 2004, Paul Biya a fait sauter la limitation du nombre de mandat par l’adoption d’une nouvelle constitution en 2008. Il profite de la division de l’opposition pour se faire réélire en 2011 pour son sixième quinquennat soit un cumul total de 34 ans au pouvoir.A 83 ans, l’actuel président camerounais n’a ni désigné son successeur constitutionnel, ni annoncé son intention de rempiler pour un septième mandat. Les spéculations et les querelles pour sa succession vont bon train devant le silence interrogateur de Paul Biya.
2- José Edouardo Dos Santos (Angola), 37 ans et 1 mois
« J’ai pris la décision de quitter la vie politique en 2018 », a annoncé José Edouardo Dos Santos devant le comité central du Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA). A 74 ans, Dos Santos consomme la 37 année à la tête du pays.Militant de la première heure du parti nationaliste, il est désigné par le parti nationaliste pour prendre la succession d’Agostinho Neto, le père de l’indépendance, mort au pouvoir en 1979. José Edouardo Dos Santos prend fonction en septembre, un mois seulement après l’accession au pouvoir de Teodoro Obiang, ce qui en fait le second chef d’Etat le plus ancien au pouvoir en Afrique.La présidence de cet ingénieur en télécoms et en pétrole est marquée par une guerre civile menée par Jonas Savimbi de l’Union Nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (UNITA) qui aura duré 27 ans et fait plus de 30.000 morts. Son secret de longévité : une élection en 1992, une réélection en 2012 et un tripatouillage de la constitution adoptée en 2010. Cette dernière oblige désormais de désigner le président de cette « pétrorépublique » d’Afrique centrale riche en diamants non pas au suffrage universel direct mais au sein du parti arrivé en tête des élections législatives. Une parade pour celui qui annonce son départ pour 2018 alors que son mandat actuel arrive à terme en 2017.
1- Teodoro Obiang Nguema Mbasogo (Guinée-Equatoriale), 37 ans et 2 mois.
Voici le plus ancien chef d’Etat du continent encore au pouvoir. A 74 ans, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo a été réélu en avril 2016 pour son cinquième mandat consécutif à la tête de la Guinée-Equatoriale. « La panthère aux aguets » comme on le surnomme, a accédé au pouvoir en août1979, après avoir renversé son oncle, le dictateur à vie Francisco Macías Nguema, fusillé après le coup d’Etat.Seulement à la différence de son oncle, resté onze ans au pouvoir, Teodoro Obiang légitime son pouvoir en se faisant élire président en 1989. Il sera réélu en 1996, 2002, 2009 et 2016, à chaque fois avec pas moins de 90% des suffrages. Il totalise 37 années au pouvoir, le record en Afrique mais a indiqué que ce mandat serait son dernier. C’est à peine si on y croit.
La Tribune Afrique