Dakarmidi – Les 6 ans au pouvoir de Macky Sall n’a pas manqué de soulever des réactions aussi divergentes les unes que les autres. Malick Gackou comme pour le cas de plusieurs responsables politiques a pris position sur le bilan de Macky Sall durant ces six années à la tête du pouvoir. Dans cette interview accordée par le leader du Grand parti à Vox Populi, le candidat au présidentiel de 2019 se lâche.
MALICK GAKOU, PRESIDENT DU GRAND PARTI
«Je battrai Macky Sall en 2019»
El Hadji Malick Gakou va bel et bien briguer les suffrages des
Sénégalais le 24 février prochain. Dans cet entretien réalisé à
l’occasion de l’an 6 de l’accession de Macky Sall à la magistrature
suprême, le leader du Grand Parti (GP) prédit même sa victoire contre
le candidat sortant dont il vitupère la gestion à la tête du Sénégal.
Ce dimanche 25 mars correspond au 6e anniversaire de la deuxième
alternance qui a porté le Président Macky Sall au pouvoir. Que
retenez-vous de ces six ans?
J’aurais bien aimé que cet anniversaire intervienne dans un contexte
plus réjouissant que celui que traverse le pays. J’étais parmi les
principaux acteurs de cette deuxième alternance en tant que numéro 2
de mon ancienne formation politique. Nous nous étions engagés pour
mettre fin à l’ancien régime en espérant qu’une nouvelle ère allait
s’ouvrir dans la gouvernance et que des réformes en profondeur
allaient être menées pour abréger les souffrances des Sénégalais.
Malheureusement, cet objectif que nous partagions, a été très vite
dévoyé. On n’a pas eu le sens des priorités, la gouvernance souffre
plus que jamais d’un déficit de transparence. Les valeurs de la
République n’ont pas été restaurées et les progrès socio-économiques
que nous avions promis aux populations n’ont pas été réalisés. Vous
comprendrez donc que je ne puisse être animé que par un sentiment de
grosse déception comme la plupart des Sénégalais d’ailleurs.
Est-ce ce à dire que c’est cette déception qui a motivé votre
démission avec fracas du gouvernement ?
Naturellement, quand je m’engage à faire partir un régime pour changer
le quotidien des Sénégalais et que je m’aperçois qu’une fois
l’objectif atteint, certains ne pensent qu’à perpétuer le système
qu’on avait tous combattu, je ne pouvais qu’en tirer les conséquences.
Je ne me suis pas retrouvé dans les orientations du gouvernement et
j’ai préféré tout bonnement rendre ma démission. Ce que je ne regrette
pas, vu la situation du pays. Tous les secteurs socio-économiques sont
minés par une crise profonde. L’éducation et la santé sont secouées
par une série de grèves pour non-respect par l’Etat de protocoles
d’accords signés avec les syndicats. Concernant le secteur agricole,
l’autosuffisance en riz annoncée en grande pompe pour 2017 n’a pas été
réalisée, alors que la campagne arachidière de cette année est un
échec. Quant au secteur de la pêche, il est au creux de la vague avec
la raréfaction du poisson qui pousse nos pêcheurs à se déporter vers
la Mauritanie et la Guinée-Bissau, malgré les risques d’arraisonnement
de leurs pirogues. Or, vu que l’agriculture et la pêche représentent
40% de notre PIB, c’est un pan entier de notre économie qui est en
lambeaux. Enfin, l’emploi des jeunes reste préoccupant, pendant que le
secteur privé national est totalement marginalisé au profit de
multinationales ou d’entreprises à capitaux étrangers. En somme, tous
ces problèmes pour lesquels on s’était engagés à trouver des
solutions, demeurent, s’ils ne se sont pas aggravés.
A moins d’un an de la Présidentielle, comment se porte le Grand Parti ?
Le Grand Parti est une formation politique qui a une grande histoire.
Vous avez suivi toutes les péripéties qui ont jalonné déjà le
processus de création et d’implantation du parti. Nous avons ouvert
une phase nouvelle qui n’a rien à voir avec celle qui s’achève. En
moins de deux ans, ce parti a réussi à s’implanter dans les 14
régions, dans les 45 départements et dans les 557 communes. Il a
réussi à être représenté à l’Assemblée nationale avec deux députés
élus sous la bannière de la Coalition Taxawu Senegaal, trois maires et
une centaine de Conseillers municipaux et départementaux. C’est une
nouvelle formation politique qui a surtout démontré qu’elle était
capable d’inventer, d’innover et d’imaginer ce que doit être la
démocratie de demain, grâce à une nouvelle génération d’hommes
politiques dont j’apprécie la forte conviction, la loyauté et
l’engagement sans faille du côté des valeurs de la République. C’est
un espoir qui me porte et m’oblige à aller le plus loin possible.
Peut-on dire alors que le Grand Parti a atteint sa maturité pour la
conquête du pouvoir ?
Aujourd’hui, le Grand Parti m’a investi d’une mission, la plus belle
qui soit pour un homme du centre-gauche comme moi, celle de faire
triompher ses idéaux dans notre pays. Depuis mes premiers engagements
au Parti Socialiste (PS), à l’Alliance des Forces du Progrès (AFP),
j’ai voulu représenter mes concitoyens durement touchés par des crises
économiques successives. J’ai gardé mon passage dans ces deux
formations politiques en héritage, sans rien ignorer de leurs excès et
de leurs illusions. J’ai toujours été un homme libre. Je refuse les
décisions imposées, les compromissions et le manque de courage. C’est
pourquoi je me suis tourné vers la création du Grand Parti pour
continuer à tenir les promesses de la République et du centre-gauche.
J’ai surtout profité de ces deux ans pour parcourir le pays. J’ai
perçu la souffrance d’un pays blessé, souvent dépouillé de sa dignité.
J’ai écouté les plaintes des élèves et des étudiants, des chômeurs,
ouvriers, menuisiers, des femmes, des travailleurs et des cadres qui
se découragent de jour en jour. Je suis aujourd’hui dans le combat, le
combat contre l’injustice que génère au quotidien le pouvoir de Macky
Sall. Je suis dans le combat pour le changement, le combat pour la
victoire finale le 24 février 2019.
Alors que des responsables du Grand Parti évoquent votre candidature à
la prochaine Présidentielle, vous ne vous êtes-pas encore prononcé
personnellement sur la question. Malick Gakou sera-t-il réellement
candidat en 2019 ?
S’il plaît à Dieu et si les militants du Grand Parti m’investissent,
comme ils en ont déjà annoncé l’intention, je serais bel et bien
candidat pour 2019. Je me prépare tous les jours à relever ce défi. Je
dispose d’un programme alternatif à celui qu’essaie de mettre en œuvre
le Président Macky Sall. Et j’ai la conviction que je battrai Macky
Sall le 24 février 2019.
Quelles sont vos chances de battre Macky Sall ?
Ma qualité de Docteur en Sciences économiques, spécialiste des
politiques de développement, mon parcours et mon expérience dans la
haute administration publique et d’administrateur de société dans le
privé, font que j’ai assez de compétence et d’expérience, pour
incarner à juste titre les valeurs du Sénégal développé de demain. A
chaque fois que j’ai été au contact des populations, elles m’ont dit à
quel point elles me faisaient confiance pour changer le pays. Elles
savent où se trouvent leurs intérêts et pourquoi elles ont espoir en
moi. Devant chacun d’entre eux, je me suis engagé à être président
d’une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Vous ne
savez pas à quel point notre société se sent menacée dans tous ses
fondements, dans ses racines, dans ses valeurs et dans ses croyances
profondes. A chaque fois que je vais à la rencontre des Sénégalais du
monde rural et des villes, ils me donnent l’occasion de mesurer
l’étendue de leurs attentes. Ils me disent tous leur désespoir et leur
soif de justice sociale. Ils me disent en des termes simples qu’ils
n’aspirent qu’à vivre dans la dignité et dans des conditions décentes.
Ils me racontent leur quotidien fait de privation comme s’ils étaient
des prisonniers dans leur propre pays. Ils manquent de tout, à
commencer par vivre dans la dignité. Nous avons besoin d’un pays plus
juste, plus solidaire, plus efficace dans la répartition de ses
ressources, car c’est notre héritage et c’est l’instrument de notre
prestige. J’ai fait le tour du Sénégal l’année dernière. Je n’ai
pratiquement fait que ça. Je suis allé à la rencontre des Sénégalais.
Ils m’ont tous fait part de leur profonde déception et du sentiment
qui les anime aujourd’hui.
Vous prétendez disposer d’un programme alternatif, mais pourquoi ne
l’avez-vous pas encore rendu public ?
On peut tout reprocher au Grand Parti, sauf de n’avoir pas formulé des
solutions alternatives. Je rappelle que nous avons rendu public depuis
2015, le programme Suxali Senegaal, articulé autour de l’économie
solidaire que nous entendons promouvoir. Nous sommes la seule
formation politique à avoir conçu, élaboré et rendu public un tel
programme, indépendamment de la tenue ou non d’élection, car le Grand
Parti est d’abord un creuset d’échanges et de réflexions sur les vrais
enjeux du pays. J’ai d’ailleurs partagé les grandes lignes du
programme Suxali Senegaal avec les populations tout au long de la
tournée que j’ai eu à effectuer dans les 14 régions du pays. Et ce
sont justement ces échanges avec les populations qui nous ont permis
de peaufiner et d’enrichir le programme Suxali Senegaal dont je compte
présenter la version finale à nos compatriotes dans le courant du mois
d’avril. J’y travaille avec les cadres du Grand Parti et des experts
issus de tous les horizons. Et très bientôt, les populations
découvriront les propositions alternatives que nous y formulons pour
mettre résolument le Sénégal sur la voie du progrès économique et
sociale.
Avez-vous les moyens d’imposer à Macky Sall et ses alliés un second
tour à la Présidentielle de 2019 ?
Le Président Macky Sall ira au deuxième tour. Je ne vois pas une
dynamique capable de le faire gagner l’élection présidentielle dès le
premier tour. Il existe aujourd’hui un climat de ras-le-bol propre à
toutes les 14 régions, les 45 départements et les 557 communes du
Sénégal, avec un sentiment d’insécurité très développé. Il s’y ajoute
que le Président Macky Sall a perdu une grande partie de ses électeurs
comme l’ont montré les résultats des élections législatives de l’année
dernière. Il a épuisé toutes ses réserves de voix, contrairement à ce
que disent ses amis. Comment un candidat qui a des difficultés à
obtenir une majorité absolue à des élections législatives, peut-il
espérer passer dès le premier tour à l’élection suivante, alors que
rien de concret n’a été fait entre ces deux scrutins dans le sens de
l’amélioration des conditions de vie des populations ?
D’aucuns pensent que la révision de la Constitution pour instituer le
parrainage à l’élection présidentielle vise à éliminer certains
candidats. Que vous inspire cette décision ? Et pensez-vous être
personnellement visé ?
Cette décision est d’autant plus suspecte que si elle est adoptée, le
pouvoir actuel disposera d’un instrument efficace de plus pour
organiser les élections à sa guise. On peut donc s’interroger
légitimement sur son intention réelle à vouloir instituer un système
de parrainage sous prétexte de rationalisation des candidatures. Je
rappelle que lorsque le débat s’est posé lors des dernières
concertations, certains ont proposé la création de pôles suivant les
affinités ou les obédiences en vue de rationaliser les candidatures.
D’autres ont proposé un parrainage par un nombre de députés situé
entre un et quatre, alors que d’autres ont proposé 100 Conseillers
départementaux ou municipaux. En lieu et place de toutes ces
propositions, le Président Macky Sall semble opter pour le parrainage
citoyen avec l’obligation pour chaque candidat d’avoir l’onction de 1%
des électeurs inscrits sur le fichier, soit 65 000 parrains pour un
fichier estimé à 6,5 millions d’électeurs. Ce n’est pas le nombre qui
pose problème. Et surtout pas pour le Grand Parti qui n’en finit pas
de se massifier. Mais il est surtout difficile de s’assurer que tous
les électeurs qui vous auront parrainé, figurent bel et bien sur le
fichier ou s’ils ne l’ont déjà fait pour un autre candidat. Si l’on
considère chacun de ces deux cas de figure, tout comme la
non-conformité de signature, comme des motifs d’irrecevabilité, vous
comprenez qu’on peut délibérément et sous n’importe quel prétexte,
invalider telle ou telle candidature. Ce qui ne peut absolument pas se
faire en démocratie. Nous ne pouvons pas le laisser faire.
Mais pourquoi vous montrez-vous si radical, alors qu’on a fait état
récemment d’une audience que vous avez eue avec Macky au Palais ?
Vous ne pouvez pas comprendre combien j’ai été moi-même très surpris
d’apprendre cela. D’ailleurs, si j’avais à rencontrer Macky Sall,
pourquoi en ferais-je un mystère ? Ce serait en plein jour, au vu et
au su de tout le monde. Après tout, nous sommes des acteurs de la vie
politique et chacun de nous, en ce qui le concerne, joue un rôle
majeur dans ce pays que nous avons en partage. Mais je vous assure que
ma dernière rencontre avec Macky Sall remonte à mon dernier Conseil
des ministres avant ma démission du gouvernement, il y a de cela cinq
ans. C’est-à-dire que depuis le 13 février 2013, jusqu’à ce jour, je
n’ai pas rencontré le Président Macky Sall.
Pourtant, contrairement à certains de ses adversaires, on ne vous
entend pas faire des sorties musclées et empreintes d’animosité envers
le Président ?
D’une part, je ne suis pas bavard, et d’autre part, ce n’est pas dans
mon style, ni dans la perception que j’ai de l’action politique,
encore moins dans l’idée que je me fais de l’homme d’Etat que je
revendique. On peut être dans l’adversité la plus farouche sans pour
autant se livrer à des attaques personnelles. J’opte plutôt pour la
confrontation des idées et des projets de société. Et de ce point de
vue, depuis ma sortie du gouvernement, je suis resté constant dans mon
opposition aux orientations du Président Macky Sall. J’ai toujours
rejeté ses appels à la concertation, parce que je ne les trouve pas
conformes à mes convictions. Et ces dernières concertations, suivies
du forcing qu’il veut faire avec le parrainage, me donnent raison. Je
me suis opposé à son projet de réformes constitutionnelles et j’ai
battu campagne pour le «Non» lors du référendum de mars 2016. J’ai été
également tour à tour coordonnateur de Mankoo Wattu Senegaal et de
Mankoo Taxawu Senegaal qui restent, à ce jour, les deux principales
coalitions qui se sont offertes comme une alternative à la gouvernance
actuelle. La première a été créée pour la sauvegarde des libertés
publiques, la défense de la démocratie et la transparence dans la
gestion des ressources naturelles. Quant à Mankoo Taxawu Senegaal,
elle aurait pu même nous permettre d’imposer la cohabitation à Macky
Sall, si elle ne s’était pas hélas scindée en deux lors des dernières
Législatives à cause de divergences sur le choix de notre tête de
liste. Si j’ai un seul regret, c’est surtout celui-là.
Pourquoi dîtes-vous avoir beaucoup de regrets par rapport à Mankoo
Taxawu Senegaal dont vous êtes encore le coordonnateur ?
C’est parce que j’ai toujours pensé qu’on ne pouvait avoir une
meilleure plateforme pour réaliser l’unité de l’opposition et parvenir
à mettre un terme à ce régime dont les carences se manifestent
aujourd’hui dans tous les secteurs de la vie nationale. D’ailleurs,
c’est pour cette raison que je ne me suis pas focalisé sur la question
de la tête de liste, encore moins sur ma présence sur la liste
nationale qui m’aurait sans doute permis d’être élu député lors des
dernières Législatives. J’ai choisi de diriger la liste départementale
à Guédiawaye en sachant que nos chances de victoire étaient amoindries
avec la cassure de Mankoo Taxawu Senegaal. En tant que coordonnateur,
j’ai consacré tout mon temps et déployé toute mon énergie pour le
triomphe de cette coalition au détriment des activités du Grand Parti.
Et finalement, en vain. Voilà pourquoi j’ai décidé de me recentrer sur
le Grand Parti et sur le programme que nous allons présenter aux
Sénégalais en 2019.
L’ancien Premier ministre Idrissa Seck domine ces derniers temps
l’actualité avec ses tournées. Est-il en avance sur vous ?
Vous avez sûrement oublié que nous avons déjà fait le tour des 14
régions du pays dans le cadre de la massification et de l’animation du
Grand Parti. Nous avons donc été en avance sur tout le monde de ce
point de vue-là. Mais nous comptons tout de même reprendre ces
tournées très prochainement après la présentation de notre programme.
Nous étions allés une première fois auprès des populations pour nous
imprégner de leurs besoins les plus pressants. Nous y irons auprès
d’elles cette fois-ci pour leur proposer des solutions.
Apparemment, vous êtes pour des candidatures plurielles au sein de
l’opposition en 2019…
Bien sûr que oui, car il suffit que nous ayons deux à trois pôles
oppositionnels forts pour en finir avec la majorité actuelle. Et dans
ce cas de figure, il n’est même pas sûr que Macky Sall aille au second
tour. La meilleure formule réside donc dans ces candidatures
plurielles, mais à condition que nous nous entendions auparavant sur
une plateforme commune minimale. Et nous y travaillons présentement
pour qu’avant même le scrutin, nous nous engagions solennellement et
formellement à soutenir celui d’entre nous qui sera le mieux placé au
second tour.
Le verdict du procès de votre tête de liste aux dernières
Législatives, Khalifa Sall, sera connu ce 30 mars. Qu’en attendez-vous
?
Khalifa Ababacar Sall est avant tout pour moi un ami et un grand-frère
avec qui j’ai le même ADN socialiste. Nous avons passé notre verte
jeunesse au Parti Socialiste. J’attends qu’il soit purement et
simplement acquitté et libéré, de même que ses co-prévenus. Car il a
été prouvé tout au long de ce procès, auquel j’ai été présent du début
à la fin, que ce dossier a été monté de toutes pièces pour le liquider
politiquement. Ses avocats en ont fait la démonstration. Et lui, comme
ses co- prévenus, ont su convaincre de leur innocence. J’espère que le
tribunal ne dira que le droit. Je n’ai pas de doute qu’il nous
retrouvera libre le 30 mars prochain pour garder toutes ses chances de
se présenter à l’élection présidentielle de 2019.
Réalisé par
Barka Isma BA & Harouna Deme (Pop)