« Pour la première fois peut-être dans l’histoire, les nations riches ont le plus strict intérêt à se montrer beaucoup plus généreuses », prédisait René DUMONT, en 1962. L’histoire vient de lui donner raison. Avec la pandémie du Covid-19, malheureusement.
La riposte concernée face au Covid-19 sera multiforme, et multisectorielle. Les pays développés ne peuvent y déroger. Car, nous sommes dans une guerre. Sanitaire certes, mais mondiale. Aux conséquences multiformes et toutes plus destructurantes les unes que les autres, pour toutes les nations du monde. Qui dit guerre dit alliance, et dans ce cadre, les enjeux géostratégiques commandent au reste du monde, et à l’Europe surtout, de prendre en compte le sort de l’Afrique, sans laquelle elle ne sortira pas indemne de cette pandémie, ni socialement, ni économiquement.
« Nous n’avons jamais vu l’économie mondiale s’arrêter net. C’est bien pire que la crise de 2008. Ces chiffres terribles conduisent certains à adopter une grille de lecture martiale de notre crise. Les gouvernements, les Nations Unies, le FMI, tous parlent d’une « guerre » contre le Covid-19. La riposte a commencé et les banques centrales jouent leur rôle en inondant le marché de liquidités. (…) Mais ceci n’atteindra que par ricochet les économies émergentes qui ne disposent pas d’une banque centrale susceptible de remplir ce rôle. En revanche, il est possible d’utiliser un mécanisme qui a déjà fait preuve de son efficacité dans la crise financière mondiale : les Droits de Tirage Spéciaux du FMI. Rien n’empêche de les réactiver ; rien, sauf l’allergie américaine à tout ce qui ressemble à une action multilatérale, allergie que la tiédeur des Européens n’aide pas à contrebalancer. Allègement des dettes des pays à bas revenus et émission massive de DTS sont aujourd’hui un passage obligé pour contribuer à éviter une catastrophe économique dont les conséquences rejailliront au-delà des rives de la Méditerranée » affirme bien fort à propos Dominique STRAUSS-KAHN, ancien Directeur général du FMI.
Il est du devoir des Européens, de faire bloc pour étendre l’efficacité des mesures monétaires qu’ils prennent pour eux-mêmes aux pays émergents à commencer par l’Afrique ; c’est une nécessité absolue. Car, tout autant que la réponse sanitaire immédiate au Covid-19 aura un coût, la solidarité internationale qui sera nécessaire notamment envers l’Afrique aussi.
A notre continent dès lors de prendre en charge son destin, fort de ses atouts et des perspectives qui s’annoncent, car aujourd’hui, même si la question de la lutte contre la pandémie occupe toutes les énergies nous la dépasserons, et nous nous acheminons vers une nouvelle redéfinition des relations internationales au plan politique et surtout économique, avec une remise en cause totale de la mondialisation telle qu’elle fonctionnait jusqu’à maintenant.
L’Union Africaine vient de poser un acte fort. Le franco-ivoirien Tidjane THIAM a été nommé aux côtés du Ministre Nigérian des Finances Ngozi OKONJO-IWEALA, de l’ancien Ministre Sud-Africain des finances, Trevor MANUEL et de l’ancien Président de la Banque Africaine de Développement (BAD), Donald KABERUKA. Les quatre envoyés spéciaux sont chargés de mobiliser le soutien international pour l’Afrique, efforts pour relever les défis économiques auxquels les pays africains seront confrontés à la suite de la pandémie de COVID-19. Ils sont également chargés de solliciter un soutien rapide et concret, comme promis par le G20, l’Union Européenne et d’autres institutions financières internationales.
Tout autant, des organismes contre l’UEMOA devraient d’ores et déjà commencer à étudier l’urgence d’une réponse budgétaire mutualisée afin de ne pas mettre en péril la soutenabilité de la dette des pays les plus fragiles.
Solidarité internationale certes, mais solidarité régionale aussi. Ce n’est que par ce canevas que les voix de nos leaders auront la portée désirée. Le Président Macky SALL il y a quelques temps relevait le challenge du lavage des mains lancé par le Président Paul KAGAME. Il serait fort bien indiqué que son discours pour l’Afrique fasse l’objet d’un challenge, par une déclaration publique assumée par chacun de ses pairs africains. Comme un écho à la forte plaidoirie du Pape François lors de sa messe solitaire de Pâques, pour l’annulation de la dette des pays pauvres.
Quelques soient les mesures mises en œuvres pour en juguler les effets et en amoindrir l’impact négatif sur nos économies informelles fragilisées, le Covid -19 déstabilisera nos pays, avec notamment une explosion inéluctable du chômage : « nous pouvons difficilement éviter les conséquences en termes d’emplois du choc sur l’offre. (…) il est inévitable que la production chute. (…) Quand l’offre est contrainte par le confinement, la capacité de production est obligatoirement limitée. Des entreprises vont réduire leur effectif d’autres vont fermer. Ces emplois-là sont perdus, sans doute pour assez longtemps. Il y a une simultanéité des chocs d’offre et de demande qui rend la situation présente si exceptionnelle et si dangereuse. (…) Ce revers économique risque de replonger des millions de personnes de la « classe moyenne émergente » vers l’extrême pauvreté » annonce Dominique STRAUSS-KAHN.
Saluons pour ce qui nous concerne les mesures hardies prises par le Président Macky SALL ; « Il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités » en effet, affirmait Charles de GAULLE. Seulement, on ne change ni la société, ni l’économie par décret. Si notre pays veut traverser cette terrible épreuve et ne pas s’effondrer au sortir de ce cataclysme mondial, nous devons changer, profondément. Le problème profond de la société sénégalaise, ce n’est pas l’emploi, ce n’est pas la paix sociale, c’est l’abandon de l’esprit rentier. Si nous voulons survivre, il faut jouer l’avenir, c’est-à-dire l’esprit d’entreprise. Voilà une paraphrase de la célèbre formule de Michel CROZIER qui s’applique bien à nous autres sénégalais !
L’Afrique est véritablement face à son destin. Elle doit grandir vite. Arriver à maturité maintenant. Sinon elle périclitera et basculera définitivement vers des lendemains qui déchantent. Le Covid 19 a favorisé la montée en puissance d’une crise de pouvoir potentiellement dangereuse pour le monde en effet, mais surtout, pour notre continent. Dominique STRAUSS –KAHN parle de crises de souveraineté, et de la représentation : « la crise de la souveraineté tient à l’autonomie des États dans un monde où les institutions multilatérales peinent à organiser les prises de décisions nécessaires à l’échelle globale. Quant à la crise de la représentation, elle touche aussi à l’exercice du pouvoir, à la garantie des libertés publiques et à la légitimité des autorités, en particulier dans les démocraties. La démocratie découle du mode d’accession au pouvoir plus que de son exercice. Toutefois, ces mesures d’exception ont deux conséquences. La première est que la frontière se brouille entre démocraties et régimes autoritaires. La seconde est que des gouvernements élus démocratiquement peuvent être tentés d’utiliser la crise à des fins variées ».
Voilà où réside en effet le danger, pour l’Afrique. Et l’alarme a été tirée avec l’article du journaliste Casimir Letissier. Au nom des mesures d’exception prises pour lutter contre la pandémie du Covid-19, « se jouent de grosses luttes pour s’arracher les marchés juteux. Selon une note de plusieurs associations luttant contre la corruption en Afrique subsaharienne, plus de 400 milliards ont été déjà détournés en Afrique de l’Ouest et du centre. Les États incriminés passent commande pour la plupart auprès de fournisseurs amis, en gré à gré. L’épidémie de Covid-19 (…) est beaucoup plus une belle opportunité de détournements massifs de fonds qui s’offre aux dirigeants africains. »
Il poursuit : « Ce sont des milliards sans contrôle, assène un haut responsable de la BCEAO qui a souhaité garder l’anonymat, avant de poursuivre : nous voyons de plus en plus de mouvements financiers douteux, entre les États membres, cela s’apparente clairement à des détournements et du blanchiment de capitaux. Comment expliquer que des revendeurs de produits GSM avec des revenus modestes, se retrouvent avec 4 ou 5 milliards sur un compte en banque dont le plafond depuis dix ans tournait autour de 350.000 CFA ? Très souvent ces montants proviennent de Trésors publics ».
Veillons dès lors à sauvegarder la stabilité politique de nos états. La CEDEAO et les autres organismes régionaux devraient dans le cadre de mécanismes validés par leurs instances contrôler la mise en place des dispositions réglementaires exceptionnelles prises pour faire face au Covid-19, en veillant à ce qu’elles ne menacent ni la sécurité intérieure de leurs pays membres ni la stabilité et la paix régionales. « Les mesures prises à titre exceptionnel et temporaire doivent impérativement le rester. (…) Nous devons veiller à ne pas affaiblir durablement l’État de droit au nom de l’urgence à combattre le virus ».
Ne pas en tenir compte revient à mettre tout le monde en danger, et potentiellement sortir de la Covid-19 pour tomber dans l’anomie. L’opinion publique africaine est en veille, et il faut bien s’en souvenir, « internet représente une menace, pour ceux qui savent et qui décident. »
Cissé Kane NDAO
Président A.DE.R
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