Dakarmidi – Le fédéralisme de plus en plus revendiqué par bon nombre d’Africains peut-être la meilleure réponse au multiculturalisme d’un continent, pensent certains observateurs. Une thèse qui ne fait toutefois pas l’unanimité, étant peu admise par d’autres analystes. Ces derniers soutiennent qu’une telle forme de gouvernance ne fera, une fois réadoptée ou instaurée, qu’enfoncer le couteau dans des plaies africaines qui saignent encore.
Le débat est bel et bien au cœur de l’actualité africaine. Les Camerounais anglophones de l’Ouest, notamment les avocats et les enseignants, n’ont eu de cesse de se rebiffer ces derniers jours contre la « remise en cause progressive » du bilinguisme (français, anglais), pourtant garanti par la Constitution. Représentant environ 20% des 22 millions de Camerounais, ces hommes révoltés contre la « marginalisation » exigent la réinstauration du régime fédéral déjà appliqué depuis janvier 1960 (date d’accès à l’Indépendance) jusqu’à 1972. La République fédérale du Cameroun était alors composée de deux Etats fédérés : le Cameroun anglophone (régions Sud-Ouest et Nord-Ouest actuelles) et le Cameroun francophone(région orientale ). Ce régime fut hérité des forces coloniales. Le 13 décembre 1946, l’Angleterre et la France ont signé les accords de tutelle, approuvés par l’Assemblée générale de l’ONU. Le Cameroun sous tutelle Française était administré comme partie intégrante du territoire français et selon la législation française et le Cameroun sous tutelle Britannique selon la législation anglaise.
Au Tchad également, le président Idriss Deby a, lors de sa campagne présidentielle d’avril 2016, promis de changer la forme de l’Etat, en optant pour la fédération. Pour ce faire, il vient de créer le Haut comité chargé des réformes institutionnelles (HCRI).
Cette volonté africaine de renouer avec le régime fédéral ou encore de l’instituer pour rejoindre les Etats qui l’appliquent déjà ; le Soudan (depuis 1956), le Nigéria (1963), les Comores (1975), l’Ethiopie (1995), le Soudan du Sud (2011) et la Somalie (2012) semble, à bien des égards, interpeller observateurs et analystes.
Un sésame pour la réforme ou un danger qui guette des Etats déjà instables dans un contexte de mondialisation ponctué de replis identitaires et de conflits ethniques ? Telle est la question qui devient de plus en plus insistante.
* Une solution à l’affaiblissement des Etats
Approché par Anadolu, Achille Mbembé, théoricien du poste-colonialisme et enseignant-chercheur à l’Université de Johannesburg (Afrique du Sud), soutient que le fédéralisme est en mesure d’apporter des solutions à l’affaiblissement des Etats. Lequel affaiblissement est du à des facteurs politiques et économiques. « Cette époque qu’est la nôtre n’est pas favorable, dit le chercheur, à l’intervention des Etats dans l’économie ».
« Dans plusieurs pays africains, la souveraineté de l’Etat sur d’importantes régions du territoire national est estompée. L’espace étatique est ensuite démembré en autant de fiefs économiques différenciés renfermant, chacun, des richesses spécifiques (minéraux, bois, plantations, etc) que l’on exploite par le biais d’accaparements ou de franchises diverses. Une partie du territoire est contrôlée par l’Etat, et une autre est sous la coupe de dissidence armée. Chaque zone dispose de ses propres droits et gère de manière autonome ses intérêts commerciaux, financiers, diplomatiques et militaires », précise-t-il.
Une gouvernance fédérale pourrait donc contribuer à une pacification, voire, à une meilleure gestion des affaires de la cité, une fois les fondements d’un bon modus-vivendi jetés. Car le moteur de l’histoire et ce qui oppose les hommes relève, généralement, du champ de l’intérêt, de l’avis de Mbembé.
Emettant, par delà, des doutes sur la capacité de certains pays du continent de réunir les critères constitutifs d’un Etat fédéral, le chercheur revient sur les principaux critères, en l’occurrence: «des entités politiques territorialement définies, la garantie constitutionnelle de l’existence et de l’autonomie de décision, l’établissement formel de la participation des entités à la prise de décision du gouvernement central sous forme d’une assemblée à 2 chambres, la définition et la protection des compétences par un statut inaliénable sans consentement et le non-unilatéralisme du droit de sécession et de la répudiation».
Le penseur camerounais craint, du reste, une éventuelle confusion du fédéralisme avec le tribalisme, dans des régions embrasées, où les populations réclament une distribution égale des richesses nationales. Tel est le cas au Nigéria, pays est rongé par une animosité opposant l’Etat du Nord à celui du Sud, sur fond de différends politiques, économiques, religieux et ethniques.
Le régime fédéral a bel et bien existé et existe encore en Afrique. Sauf que la démocratie et l’histoire humaine elle-même sont, dans un sens, « une affaire de réinvention permanente », extrapole Achille Mbembé.
* Risque de désintégration de l’espace public
Le géopoliticien français, spécialiste des questions africaines, Michel Galy, pense, lui, que les chances d’adoption du régime fédéral, en ces temps modernes, dépendent de la nature et de la structure des Etats africains.
« Pour les Etats anglophones qui dépendaient, autrefois, de la Grande-Bretagne, le terrain semble favorable à une telle forme de gouvernance, malgré les difficultés qui se posent. Or, pour les Etats francophones, autrefois dépendant de la France qui privilégie la centralisation, il serait plutôt peu aisé, du moins sur le court terme, de migrer d’un modèle vers un autre. Car les fondements et les conditions réunies pour la réussite semblent loin d’être à la portée de certains Etats », explique l’analyste, interrogé par Anadolu.
Pour Galy, bien que l’objectif consiste à instituer un système unitaire à composante décentralisatrice, le fédéralisme peut, de surcroît, présenter des risques ayant trait au rattachement identitaire. Un rattachement identitaire qui risque de consacrer le développement des États fédérés en mode de gestion des rapports inter-communautaires. Cette probabilité prend racine dans les conflits minant de grands ensembles étatiques qui échappent encore au contrôle du pouvoir central, dans plusieurs régions africaines.
La dialectique inhérente à la gouvernance fédérale en Afrique relève, au demeurant, de « l’ethnicisation » dans son acception la plus large, au risque de désintégrer l’espace public que l’on prétend constituer, fait observer Galy, faisant allusion à l’actualité nigériane.
Selon des rapports de la presse africaine et internationale, le cas nigérian illustre les difficultés du fédéralisme en Afrique. Ancienne colonie britannique, ce pays de 126 millions d’habitants et de plus de 250 groupes ethniques, a hérité, le 1er octobre 1960, jour de son indépendance, d’une fédération composée de 3 régions.
Il est passé à 4 en 1963, avant d’atteindre 12 Etats fédérés, à la suite du coup d’État du général sudiste Ironsi en 1967. En 1976, il est passé à 19 Etats. En 1997, la fédération compte 36 États et 774 administrations locales. Le retour au gouvernement civil en 1999 maintient les 36 États et fixe à 768 le nombre des administrations locales.
Ces successives métamorphoses montrent comment s’est greffée sur un clivage ethnique un clivage religieux complexe et irréductible au découpage entre le Nord musulman et le Sud chrétien et animiste, qui n’a fait qu’attiser des « alliances kaléidoscopiques ». La crise sécuritaire qui secoue le pays ces derniers temps en témoigne.
Mohamed Abdellaoui