C’est le show du « show meurt ». Le pays est bondé de chômeurs. Des bras valides dont le souffle premier dépérit et se meurt de jour en jour. A chaque coin de rue, des centaines de cœurs vaillants grelottent de faim. Sur chaque trottoir des milliers de passants inquiets et pressés tentent vainement de retrouver le chemin de la lumière. Ils sont là jeunes et adultes, filles et garçons, abandonnés, bien malgré leurs diplômes dans les gouffres voraces de tourments sans fin, nourris par l’inaction et l’incertitude.
Le pauvre chômeur erre de rue en rue. Peut-il seulement faire autrement ? Il cherche du travail. Il va ici, souriant là, priant quelque part, pleurant nulle part que dans son cœur en lambeaux à l’abri des regards. Peut-il seulement agir autrement ? Il est en quête d’un trésor, un trésor insaisissable comme l’éclair. Il doit par conséquent se montrer prévenant, faire preuve de beaucoup de patience, avoir du courage et une volonté de fer. Si ça ne suffit pas, il doit persévérer quand même. Il peut être désemparé, mais doit garder la tête froide. Avec sa mise défaite, son regard inquisiteur, son optimisme déchu, il se sent seul et las, seul même dans une foule prodigieuse et bigarrée. Devient-il fou ? Il en prend le chemin. Mais que d’intelligence sommeille dans sa tête. Elle ne demande qu’à éclore pour fleurir de mille couleurs et porter des fruits ambrosiaques.
En cet après-midi de disette où il est encore revenu bredouille de sa quête de stage, il pouvait à peine penser, mais il souriait quand même, bien malgré la peine. Sinon il se perdrait. Sinon, il risquerait de devenir fou. Que d’années il a perdu dans ces salles de classes saturées à chercher cette lumière volatile qui ferait de lui un homme conquis et heureux, un jour, ce jour peut-être. Pourquoi n’avait-il pas appris au plus tôt la menuiserie ou bien la maçonnerie ? Si il était mieux conseillé au tout début et moins ambitieux, il aurait pu devenir aujourd’hui laboureur, et se contenterait des champs comme ses parents avant lui et leurs parents avant eux. Il aurait pu tout aussi briller de ses mains, à travers ses doigts modeler la pâte, façonner la terre, dompter le métal ou coudre le tissu. Mais non. Tout cela était peu grand pour lui. Mais non la jeune génération, sa génération trouvait ces besognes épuisants, barbants et surtout chichement gratifiants.
Il avait donc placé sa foi dans le système comme des milliers de ses semblables. Il a préféré les longues études à la boue des longs parcours champêtres. Que de temps passé à nourrir son esprit pour croupir, comme un moucheron ployé rudement par la force du vent, ici et là ! Et ne voir aucune lueur sourdre de l’horizon, c’est bien cela le plus triste et le plus navrant.
Le chômeur ne demande qu’à vivre, vivre pleinement ses rêves. Pourquoi les autorités ne lui laissent-ils guère ce choix ? Pourquoi s’acharnent-ils à brûler ses nobles espoirs, de devenir quelqu’un, quelqu’un de bien pour son pays parce qu’il l’aime et ne demande qu’à le chérir et le servir honorablement !
Demain encore, il errera dans toutes les rues de la ville, porté par des vents de promesse, cherchant, cogitant, fouillant, à la quête d’horizons truculents. Il aura la tête pleine et bien faite, mais les yeux déjà moins gros. Il acceptera tout, pourvu qu’il se fasse juste une toute petite place au soleil. Que peut-il bien faire d’autre ? Il a plein de diplômes, mais ne peut quand même pas les manger. Que font les gouvernants à la tête de nos Etats amorphes ! Que peuvent-ils faire de plus important pendant que jeunesse s’étiole et se perd ?
Pourtant les jeunes diplômés ne demandent pas grand-chose, juste la création d’opportunités auxquelles ils s’adosseraient pour mettre en valeur leurs belles idées. Mais comment y arriver si la route qui mène à l’accès au financement est parsemé d’embûches. Ne parlons même pas du premier emploi. Eh bien voilà c’est cinq ans d’expérience où on est prié de voir ailleurs. Pour celui qui n’a jamais eu la chance de décrocher un pauvre stage, on demande bien la lune. Ridicule !
Le pauvre chômeur se lamente, mais le président est sourd, ou muet, ou les deux à la fois, ou simplement en vacance. Le jeune chercheur de travail se désole, pourtant le ministre sourit bêtement à la télé, on ne sait d’ailleurs même pas pourquoi. L’ancien étudiant diplômé seulement avant-hier, brisé déjà hier, dépérit aujourd’hui, alors que le député d’à côté expose fièrement son embonpoint naissant dans tout le quartier envieux. C’est peut-être à ça que sert l’argent du contribuable. Après tout c’est le peuple qui l’a fièrement élu.
Le jeune chômeur souffle le chaud et le froid, mais personne n’écoute. Durant cette naïve complainte du « show meurt », l’entrée est gratuite pour les dirigeants, éternels Vrais Inutiles Personnes, mais leurs places restent désespérément vides.
Que peut-il y faire. C’est un jeune diplômé sans travail, le degré moins un de la société. Il suscite les regards indiscrets, les moqueries, l’incompréhension, les interrogations, et quelque fois l’indignation. Sur son passage, on se tait, on chuchote, après son départ, on médit. Ce n’est pas comme si il n’entendait pas, mais c’est son sort. Il est le degré moins un de la société et vient après les chanteurs, les comédiens, les laudateurs bien évidemment, et bien sûr les pilleurs de la République.