En Guinée et en Côte d’Ivoire, les opposants affichent une détermination inquiétante à empêcher les présidents Alpha Condé et Alassane Ouattara de s’octroyer le troisième mandat que brigue chacun d’eux, en ce mois d’octobre. Comment expliquer que les deux chefs d’État demeurent si confiants, alors que leurs peuples et l’opinion, en Afrique, tremblent ?
Vous connaissez, évidemment, la citation : « Les dieux rendent fous ceux qu’ils veulent perdre ». C’est à se demander si les dieux ne rendent pas d’abord sourds et aveugles les dirigeants politiques qu’ils veulent perdre. Car enfin, personne ne peut raisonnablement penser que cette chevauchée effrénée vers le troisième mandat se termine autrement que mal, en Guinée comme en Côte d’Ivoire. Le chaos et/ou la guerre ne surgiront pas nécessairement dès le lendemain de cette présidentielle, et encore ! Mais, même s’ils ont, dans l’immédiat, l’impression d’avoir gagné la partie, les conséquences, tôt ou tard, viendront, et elles seront probablement violentes, certainement dramatiques, non seulement parce que cette quête est politiquement contre nature, mais aussi parce qu’elle plonge ses racines dans bien trop d’injustices.
Mais les dirigeants politiques africains sont toujours confiants, jusqu’à ce que survienne le pire. Combien d’hommes politiques ont perdu, ou même péri, pour avoir inconsidérément cru que le seul fait de parvenir au pouvoir décuplait leur quotient intellectuel.
C’est d’autant plus désolant qu’ils feront, du même coup, basculer l’Afrique de l’Ouest dans une tendance générale à ruser systématiquement avec les institutions. Changer la Constitution pour ne pas avoir à la respecter. Changer la Constitution pour son bénéfice personnel, et se croire, du coup, exempté des limites que vous imposait la précédente, ce n’est pas bien.
Lorsque l’on change la Constitution, ce doit être pour l’améliorer, dans le sens de l’intérêt général. Et non pas pour y glisser ce qui vous arrange personnellement, en feignant de ne se préoccuper que des articles acceptables pour tous. Cette fâcheuse, et même très ennuyeuse façon de tricher avec la loi fondamentale, la mère des lois, était, naguère sibylline. Elle se fait, maintenant, à visage découvert.
Oui. Mais cela ne leur profite jamais durablement. Tanja Mamadou, au Niger, a fini par être renversé par un coup d’État. Abdoulaye Wade, au Sénégal, a été battu par la détermination de la jeunesse sénégalaise, et grâce à l’intégrité des hommes en charge des institutions gérant les élections. Les opposants guinéens et ivoiriens doutent, justement, de l’intégrité des hommes qui incarnent les institutions. Sans compter cette propension des instances en charge de la validation des résultats à s’aplatir devant le pouvoir. L’Afrique n’a pas oublié le pathétique spectacle du président de la Cour constitutionnelle qui valide la victoire de Laurent Gbagbo, avant de revenir, quelques semaines plus tard, pour valider celle d’Alassane Ouattara. Dans un cas ou dans l’autre, il a fait preuve de couardise, sinon de veulerie.
Prendre un pays et dire qu’on ne le lâchera que lorsqu’on aura achevé de le développer est une vaine prétention, que même l’immense Nelson Mandela n’a pas eue. Parce que, mille ans après lui, il restera toujours beaucoup à faire pour porter l’œuvre de développement vers le presque-parfait. Et, souvent, lorsqu’un dirigeant s’entête, sous prétexte de consolider son œuvre, il en sape plutôt les fondements et, parfois, met la nation en danger.