Pour lui, la page est tournée. Le chapitre du référendum constitutionnel et de l’élection présidentielle du 18 octobre 2020, avec son cortège de tensions, de violences, de victimes et de contestations tant internes qu’externes est désormais clos. Place au suivant, celui de la « nouvelle gouvernance » et de l’émergence, dont le but est, dit-il, de faire de la Guinée « la deuxième puissance économique de la région après le Nigeria » à l’horizon 2026.
Alpha Condé, 83 ans, étonnamment en forme pour son âge, ne doute de rien. Ce proactif, qui entend mettre à profit la première année de son nouveau mandat pour prendre un certain nombre de mesures coercitives destinées à imposer à ses concitoyens ce qu’il n’est pas parvenu à faire au cours de la décennie précédente – en l’occurrence, les « discipliner » et remettre la notion de service de l’État au centre du village –, assume sans états d’âme son rôle de « Big Brother ».
L’ENGUEULADE TOMBE COMME LA FOUDRE, ET LA SANCTION EST IMMÉDIATE
Ses ministres et collaborateurs se savent sous surveillance : gare à celui qui, sans raison valable, n’était pas à son poste le jour d’une descente coup de poing du président dans son administration. Gare aussi à celui qui fabule sur l’état d’avancement des travaux d’une route ou d’un pont, le logiciel américain dont s’est doté Alpha Condé lui permettant de vérifier, grâce à des images prises par satellite, l’étendue de son bluff. À chaque fois, l’engueulade tombe comme la foudre, et la sanction – qui peut aller jusqu’à la révocation – est immédiate.
Ainsi va Alpha, lui qui pense, rêve, déjeune, dîne, respire Guinée à chaque minute de sa vie et se comporte comme s’il était éternel. « Ce que tu penses de moi m’est égal ; le seul avis qui compte, c’est celui des Guinéens », a-t-il dit un jour à Emmanuel Macron qui lui faisait reproche de sa nouvelle candidature, avant d’ajouter : « Je ne suis pas un tirailleur. »
Ce francophile très marqué par ses années d’exil et d’études sur les rives de la Seine se veut à la fois panafricain et nationaliste – une contradiction dont il s’accommode. Ses amis français s’appellent François Hollande, Ségolène Royal, Rachida Dati ou Nicolas Sarkozy. Ses frères africains ont pour nom Denis Sassou Nguesso, Cyril Ramaphosa, Julius Malema, Issayas Afeworki, Roch Kaboré, Alassane Ouattara.
Quand Hamed Bakayoko, qu’il considérait comme son fils, est au plus mal, c’est à lui que le chef de l’État ivoirien téléphone pour tenter de le faire évacuer en Turquie. Alpha Condé appelle aussitôt Recep Tayyip Erdogan, dont il est proche, lequel dépêche à Paris un avion médicalisé avec, à son bord, son médecin personnel (qui est aussi son ministre de la Santé). En vain, comme on le sait.
Tel est l’ex-président de l’illustre FEANF [Fédération des étudiants d’Afrique noire en France], toujours prêt à rendre service à ses pairs, mais, dans le fond, jamais aussi serein que lorsqu’il est en tête à tête avec lui-même. La nuit venue, reclus dans son palais désert au point que son entourage s’inquiète parfois de le savoir si seul, Alpha Condé a une obsession : le temps qui passe et après lequel il court pour que prenne enfin corps sa vision de la Guinée. Si le sommeil était une option, nul doute qu’il s’en passerait…
Alpha Condé, en 2016 au palais présidentiel.
Jeune Afrique : Cinq mois après votre réélection pour un troisième mandat, dans des conditions contestées par vos adversaires, comment se porte la démocratie en Guinée ?
Alpha Condé : Je vous corrige : il ne s’agit pas de mon troisième mandat, mais de mon premier mandat sous la IVe République, adoptée par référendum. Un référendum qui n’était d’ailleurs pas inédit dans l’histoire de la Guinée : souvenez-vous de celui de novembre 2001 instaurant un septennat renouvelable à vie pour le président Lansana Conté, disposition liberticide dont l’un des plus chauds partisans, à l’époque, était un certain Cellou Dalein Diallo.
Aujourd’hui, en vertu de la nouvelle Constitution, le mandat est de six ans, renouvelable une seule fois. J’ai déjà expliqué pourquoi cette IVe République était nécessaire et pourquoi j’ai décidé de me présenter à la présidentielle d’octobre dernier. Les deux principaux leaders de l’opposition étant ceux-là mêmes qui avaient laissé la Guinée dans l’état désastreux où je l’avais trouvée en 2010, il n’était pas envisageable pour moi qu’elle puisse à nouveau tomber entre leurs mains. Quant à la démocratie, c’est un très long combat, ici comme ailleurs. Mais elle progresse et, comme vous pouvez le constater, le pays est calme.
DES FAUTEURS DE TROUBLES ONT ENVOYÉ CONTRE LA POLICE DES JEUNES MUNIS D’ARMES BLANCHES, ET PARFOIS DE FUSILS
Si l’on en croit vos adversaires politiques, les ONG de défense des droits de l’homme et même le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, ce calme a un prix : les détenus d’opinion…
C’est inexact. Les quelques responsables de l’UFDG [Union des forces démocratiques de Guinée] arrêtés l’ont été en tant que commanditaires directs d’actes de violence commis tant à Conakry qu’à l’intérieur du pays : maisons incendiées, destructions de biens publics, poteaux électriques sciés, assassinat de membres des forces de l’ordre etc.
Il ne s’agit en aucun cas de prisonniers politiques, mais de fauteurs de troubles, coupables d’avoir envoyé contre la police des jeunes munis d’armes blanches, parfois de fusils et d’explosifs. Nous avons toutes les preuves, et elles seront exposées lors des procès, y compris les appels au meurtre contre ma personne.
Les Guinéens savent quelle est l’étendue de la responsabilité de ces gens dans les violences, et pas un chat n’a bougé lors de leur arrestation. Les jeunes manipulés et téléguidés ont, eux, pour l’essentiel, été libérés à l’issue de leur peine.
Quant aux leçons venues d’ailleurs, une simple comparaison : 3 200 gilets jaunes ont été condamnés en France entre novembre 2018 et novembre 2019, dont un millier à de la prison ferme. C’est beaucoup plus qu’en Guinée, pour des délits pourtant beaucoup moins graves.
Cellou Dallein Diallo, lors d’une marche à Conakry, le 15 octobre 2020.
CE N’EST PAS LE FOUTA QU’IL FAUT ISOLER, MAIS CELLOU
Les résultats de l’élection présidentielle de 2020, tout comme ceux de 2010 et de 2015, montrent un pays fracturé en deux blocs antagonistes : l’un vous est acquis, l’autre vote Cellou Dalein Diallo. Pourquoi cette polarisation, qui repose largement sur des bases communautaires, persiste-t-elle ?
Cette polarisation, qui en réalité concerne une seule région, le Fouta – d’ailleurs loin d’être monolithique puisque plusieurs communautés y vivent –, n’est pas de mon fait. Elle est de la responsabilité de Cellou Dalein Diallo, qui fait tout pour qu’elle perdure afin de conserver son fief. Elle lui a aussi servi de dérivatif pour masquer la vacuité de son programme.
Le Fouta a une grande culture d’accueil et de respect des chefs et des aînés. L’État y a beaucoup investi car, comme je l’ai dit à Mamou pendant la campagne, ce n’est pas le Fouta qu’il faut isoler, mais Cellou.
Quoi qu’il en soit, ne serait-il pas temps de tourner la page et de dialoguer avec Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré ?
Il existe un cadre permanent de dialogue dirigé par le Premier ministre et au sein duquel tous les sujets, politiques ou autres, peuvent être débattus. Ce ne sont pas les individus qui m’intéressent, ce sont les problèmes et la façon dont ils peuvent être résolus. La Guinée de 2021 n’est plus celle de 2020. Une recomposition politique est en cours, à l’issue de laquelle les deux personnalités que vous venez de citer ne seront peut-être plus les leaders qu’ils furent.
D’ores et déjà, je considère que Sidya Touré et son parti sont devenus politiquement inexistants. En réalité, il existe dans les deux camps – celui du pouvoir et celui de l’opposition –, des extrémistes qui ne veulent pas du dialogue et du progrès en Guinée. Je fais le pari que la majorité raisonnable l’emportera.
Onze candidats se sont présentés face à vous à la présidentielle d’octobre 2020. Comptez-vous leur tendre la main ?
Je ne la refuse à personne, mais je ne suis pas né de la dernière pluie. Tous, à l’exception de Cellou, qui avait son propre agenda de prise du pouvoir, se sont présentés en espérant par la suite négocier avec moi un poste de ministre. Aucun ne l’obtiendra. Ce n’est pas comme cela que je fonctionne.
Alpha Condé, à la sortie du bureau de vote de Conakry où il vient de voter pour la présidentielle, le 18 octobre 2020.
Vous avez lancé le slogan « gouverner autrement ». Quel contenu concret allez-vous lui donner ?
Lorsque mon parti, le RPG [Rassemblement du peuple de Guinée], et ses alliés ont décidé de présenter ma candidature, je leur ai dit très clairement qu’ils devaient changer leur logiciel mental et se préoccuper enfin de ces centaines de milliers de démunis qu’ils ont une fâcheuse tendance à oublier en dehors des périodes électorales.
De mon côté, je les ai prévenus : je ne ferai pas de chasse aux sorcières, mais je ne tolérerai aucune corruption, aucune malversation, aucun clientélisme, aucun népotisme, aucun trafic d’influence. J’ai demandé à la BAD de m’aider à certifier les cadres de l’administration, les plus brillants d’entre eux étant trop souvent écrasés par les plus médiocres.
JE FAIS DES DESCENTES SURPRISES DANS LES ADMINISTRATIONS, POUR VÉRIFIER QUI EST PRÉSENT, À COMMENCER PAR LES MINISTRES
J’ai établi des contrats de performance pour chacun des ministres. S’ils les remplissent, ils auront une prime ; dans le cas contraire, ce sera la porte. J’ai décidé que, dorénavant, aucun conjoint de haut fonctionnaire détenteur d’une charge d’État ne pourra exercer une activité privée dans le même domaine. Toutes les sociétés soumissionnaires de marchés d’État dont une enquête a établi qu’elles tombent sous le coup du conflit d’intérêt seront dissoutes.
Nous allons traquer les fraudeurs grâce au Guichet unique du commerce extérieur, et lutter contre l’évasion fiscale. L’objectif est de doubler nos recettes sans taxes supplémentaires, mais en faisant en sorte que tout citoyen paie l’impôt en fonction de ses revenus, ne serait-ce que 1 000 francs pour les plus modestes.
Nous devons être plus rigoureux et plus transparents encore que ce qu’exigent le FMI et la Banque mondiale. Moi-même, je fais en ce moment des descentes surprises dans les administrations à 8 heures et à 16 heures pour vérifier qui est présent, à commencer par les ministres. Toute absence sans justificatif vaut avertissement. C’est cela, gouverner autrement : une véritable révolution culturelle.
« Nous allons renouer avec la discipline », dites-vous. Cette discipline collective et l’esprit civique ont-ils déjà existé en Guinée ?
Oui, sous la Ière République, pendant les années Sékou Touré. Il y régnait une discipline de fer avant que le pays ne sombre dans l’anarchie sous la IIe République. Je veux renouer avec un État discipliné qui, tout en respectant les droits de l’homme, fasse en sorte que chacun respecte la loi.
Je n’ignore pas que ces mesures de rigueur seront, dans un premier temps, impopulaires auprès de certains. Mais je considère qu’un homme politique digne de ce nom doit agir pour le bien du peuple et non en fonction de son baromètre de popularité.
Cela s’applique-t-il aussi à votre propre famille ?
En premier lieu. Aucun de mes parents ne peut se prévaloir de son lien familial pour emporter un marché ou réclamer un passe-droit. Quant à moi, les choses sont claires. Lorsque je reçois des investisseurs ou des hommes d’affaires, j’ai l’habitude de commencer par cette phrase : « J’espère qu’on vous a prévenus : je ne prends pas d’argent. »
Depuis près de six mois, et sur votre décision, les frontières de votre pays demeurent fermées avec deux de ses six voisins : le Sénégal et la Guinée-Bissau. Pourquoi cette mesure, pénalisante pour la libre circulation, perdure-t-elle ?
Cela fait un moment que, comme à l’époque où Senghor et Sékou Touré s’affrontaient, toutes les tentatives de déstabilisation de la Guinée viennent du Sénégal. Le président Macky Sall m’ayant assuré qu’un tel projet n’entrait aucunement dans ses intentions, je lui ai proposé d’organiser des patrouilles mixtes à la frontière pour empêcher les infiltrations d’éléments hostiles. Cela ne s’est pas fait.
EN 2020, LE PRÉSIDENT EN EXERCICE DE LA CEDEAO A VOULU TÉLÉGUIDER UNE MISSION DE CHEFS D’ÉTAT, ENVOYÉS COMME DES TOUTOUS EN GUINÉE
J’ai donc demandé à mon ministre de la Défense de formuler de nouvelles propositions. Nous avons déjà rouvert notre frontière avec la Sierra Leone, il n’y a pas de raison que celle avec le Sénégal reste indéfiniment fermée. Je n’ai, à titre personnel, aucun problème avec ce peuple frère, dont l’élite m’a soutenu quand j’étais en prison. Je suis totalement ouvert à la coopération, mais la sécurité de la Guinée passe avant tout.
Et avec le président bissau-guinéen Sissoco Embaló ?
C’est un autre problème, dont je préfère ne pas parler.
Pourquoi ?
Je viens de vous le dire. Je n’en parlerai pas.
Autre personnalité avec qui vos relations sont glaciales : Mahamadou Issoufou, le président sortant du Niger. Vous ne lui pardonnez pas de s’être prononcé contre le changement de Constitution en Guinée. Pensez-vous que les choses peuvent s’arranger avec le nouveau président élu, Mohamed Bazoum ?
Moi, je ne me mêle pas des affaires intérieures des autres pays. On sait très bien ce qu’il s’est passé il y a un an, quand le président en exercice de la Cedeao a voulu téléguider une mission de chefs d’État, envoyés comme des toutous pour empêcher la Guinée de progresser. La manœuvre a échoué. Et la page est tournée. Je n’en veux à personne.
Le décès du Premier ministre ivoirien, Hamed Bakayoko, vous a-t-il affecté ?
Profondément. Je le considérais comme mon fils, depuis l’époque où j’étais un opposant en exil. Je me souviens que, lors de la première visite officielle d’Alassane Ouattara en Guinée après mon élection, il y a dix ans, j’avais embrassé Hamed en l’appelant « mon fils ». Alassane s’était alors récrié : « Non, c’est le mien ! ». Je lui avais répondu : « Mon frère, mettons-nous d’accord : Hamed est notre fils. » C’est un drame, assurément.
Alpha Condé et Emmanuel Macron, à Noukchott, le 2 juillet 2018.
Vos rapports avec l’ancien président français, François Hollande, étaient excellents. Ils paraissent beaucoup plus complexes avec son successeur, Emmanuel Macron, qui, dans une interview à JA, n’a pas hésité à dire que vous aviez fait modifier la Constitution dans l’unique but de rester au pouvoir et qu’il vous avait mis en garde contre cela. Est-ce exact ?
J’ai été élu par le peuple de Guinée et je n’ai de comptes à rendre qu’à lui. Il est mon seul juge. Depuis 1958, mon pays a toujours été jaloux de sa souveraineté, cela n’a pas changé. Pour le reste, oui, François Hollande était et demeure mon ami et mon camarade. Mais chaque président français est libre de ses opinions. Je les commenterai d’autant moins que ce qui se dit sur la Guinée en dehors de la Guinée n’est pas ma priorité et que je préfère toujours retenir ce qu’il y a de positif dans les relations d’État à État.
Dans le cas d’espèce, je me réjouis que l’Agence française de développement [AFD] ait multiplié par dix le montant de ses interventions en Guinée et que la France ait été le premier pays à nous apporter son soutien pour combattre la résurgence de l’épidémie d’Ebola. J’ai tenu à féliciter le président Macron pour ce geste.
TOUTES LES SOCIÉTÉS QUI VEULENT INVESTIR EN GUINÉE SONT LES BIENVENUES, MÊME SI ELLES VIENNENT DE LA PLANÈTE MARS
Vos bonnes relations avec les régimes chinois, russe et turc sont de notoriété publique. N’avez-vous pas l’impression que Paris vous en fait reproche ?
Lorsque la Guinée a voté non au référendum du 28 septembre 1958, tous les cadres et coopérants français sans exception ont été rapatriés, dès le lendemain, sur ordre du général de Gaulle. Il ne restait ici qu’un seul médecin, le docteur Kaba Bah, décédé récemment. Un seul. Et qui est venu à notre secours ? Les Soviétiques, les Chinois et des militants panafricanistes de l’époque. Nos liens n’ont donc rien de nouveau.
J’ai certes de très bon rapports avec Xi Jinping, avec Recep Tayyip Erdogan, que je considère comme un frère, et avec Vladimir Poutine. Mais ce qui compte pour moi, c’est de coopérer avec toutes les bonnes volontés dans l’intérêt de la Guinée. Peu importe les régimes : je ne les juge pas.
On dit parfois que j’ai tout donné aux Chinois, rien n’est plus faux. La société américaine Alcoa détient 5 milliards de tonnes de réserve de bauxite, alors que les trois sociétés chinoises présentes dans ce secteur n’en possèdent pas les deux tiers.
Il y a ici des sociétés minières venues d’Allemagne, d’Inde, du Canada, de Russie, des Émirats. Toutes celles qui veulent investir en Guinée, même si elles viennent de la planète Mars, sont les bienvenues. À une condition : qu’elles s’installent en Guinée pour y investir, pas pour y rechercher des marchés.
Vincent Bolloré, dont le groupe gère le terminal à conteneurs du port de Conakry, sera jugé pour des faits de corruption, qui auraient été commis au Togo. Lors de l’audience au tribunal judiciaire de Paris, à la fin de février, les conditions dans lesquelles l’homme d’affaires français s’est vu attribuer sa concession en Guinée ont une nouvelle fois été évoquées. Cela vous inquiète-t-il ?
Absolument pas. Tout d’abord, parce que le volet guinéen de cette affaire a été déclaré prescrit par la justice française il y a près de deux ans. Ensuite, parce qu’il n’y a jamais eu d’affaire en ce qui nous concerne. Getma, la filiale de Necotrans qui gérait le terminal avant mon arrivée au pouvoir, avait obtenu ce contrat par des moyens douteux et sans investir un seul dollar. Au point que les présidents Lansana Conté puis Dadis Camara avaient rompu avec elle.
J’AI DIT À BOLLORÉ : « VINCENT, JE TE DONNE VINGT-QUATRE HEURES POUR VENIR ET MODIFIER LE CONTRAT »
Lorsque le président Blaise Compaoré a voulu intervenir pour rétablir Getma dans ses droits mal acquis, je suis allé le voir avec un message clair : « Si je suis élu, Necotrans devra quitter définitivement la Guinée ».
Devenu président, j’ai fait rouvrir l’appel d’offres, lequel a bénéficié à Bolloré. Mais, quand je me suis aperçu qu’aux termes du contrat le groupe s’arrogeait la gestion de l’ensemble du port autonome de Conakry – et non du seul terminal à conteneurs comme je le voulais –, j’ai immédiatement appelé Vincent Bolloré. « Vincent, lui ai-je dit, je te donne 24 heures pour venir ici et modifier le contrat, sinon j’annule tout ». Il est venu. Depuis, Bolloré a investi 200 millions d’euros, et le terminal fonctionne parfaitement.
Il a pourtant été dit qu’en échange de la promesse de lui attribuer cette concession, Bolloré a mis Havas, la filiale de communication de son groupe, à votre service pour la campagne présidentielle de 2010…
C’est faux. Vincent Bolloré est certes un ami depuis quarante ans et j’en suis fier. Mais Havas n’a jamais travaillé pour moi. D’ailleurs, je ne crois pas du tout à l’utilité de ces cabinets de conseil qui, en règle générale, ne connaissent strictement rien aux réalités africaines.
Une personne dont je tairai le nom est venue me voir pour me proposer de faire ma communication en échange de 1 million d’euros. Je l’ai éconduite. Lorsqu’il l’a appris, l’ambassadeur de France de l’époque m’a confié que certains de mes pairs dépensaient cinq ou six fois ce montant pour leur image. C’est leur droit. Moi, je ne vois pas quels conseils des gens étrangers à l’Afrique pourraient me donner.
SI QUELQU’UN PENSE QU’IL EST MON DAUPHIN, C’EST SON PROBLÈME. NOUS NE SOMMES PAS EN MONARCHIE
Vous avez tendance à tout contrôler, au point que l’on vous a parfois reproché de faire du micro-management. Quelle est, dans ces conditions, la marge de manœuvre dont dispose votre Premier ministre, Kassory Fofana ?
Je connais ce reproche, et je n’en ai cure. Quand les choses ne vont pas, ce n’est pas au Premier ministre que le peuple demande des comptes, c’est à moi. C’est moi qui suis le premier comptable des engagements que j’ai pris et c’est à moi qu’il revient de m’assurer qu’ils sont respectés.
Un président se doit d’être un leader avec une vision, mais aussi un manager. Pour le reste, les choses sont claires : le Premier ministre coordonne l’action du gouvernement, il jouit de ma confiance, mais celui qui a été élu, c’est moi.
La prochaine échéance présidentielle est pour 2026. Comptez-vous préparer un dauphin ?
« Omnis potestas a Deo », disait Saint Paul : « Tout pouvoir vient de Dieu ». Ce à quoi Thomas d’Aquin a ajouté : « Sed per populum » (« à travers le peuple »). Quant au saint Coran, il précise : « Dieu donne le pouvoir à qui il veut et l’enlève à qui il veut. » Tout cela pour vous dire que, demain, Dieu seul conduira le peuple de Guinée à choisir. Je n’ai été le dauphin de personne. Si quelqu’un pense qu’il est mon dauphin, c’est son problème. Nous ne sommes pas en monarchie.