L’homme s’est souvent moqué de ses nombreuses nécrologies dans des vidéos où il sautille comme un joyeux drille. Cependant, le site Humanangle.ng affirme, citant plusieurs sources, que c’est la fin du jihadiste nigérian.
Shekau vaincu par son ancien protégé ?
Dans un nouvel article publié ce vendredi 21 mai, le média nigérian revient en détails sur les circonstances de la mort de Shekau et nous apprend qu’elle est intervenue lors d’une tentative de conciliation avec des membres de la Province de l’État Islamique en Afrique de l’Ouest (PEIAO).
En réalité, Shekau devait se rendre. Un scénario impensable pour le chef du groupe sunnite pour la prédication et le jihad. Dès lors, il a demandé à l’un de ses meilleurs hommes d’activer son gilet bourré d’explosifs. Mais avant que ce dernier ne mette à exécution l’ordre du patron, il a été éliminé par l’un des hommes de Bako Gorgore, commandant du gouvernorat de Tomboctou qui a dirigé l’assaut de Sambisa, forêt d’une superficie de 60 000 km² située dans le sud-est de Maiduguri (capitale de l’Etat de Borno). Abubakar Shekau a lui-même déclenché sa veste, en tuant sur le coup Bako Gorgore. Le même article annonce que la Province de l’État Islamique en Afrique de l’Ouest devrait incessamment se prononcer.
La prudence doit être de rigueur, en attendant les prochains développements. Il n’est tout de même pas interdit de rappeler que ces événements coïncident avec le retour d’Abou Musab al Barnawi à la tête de la Province de l’État Islamique en Afrique Occidentale (PEIAO) ou ISWAP en anglais.
Ba Idrissa défenestré, retour de Habib Yusuf
Ce retour aux affaires serait effectif depuis le début de l’année après que l’État Islamique a envoyé des émissaires au Nigeria pour un audit de la gestion de Abu Abdullah Islamique al Barnawi dit Ba Idrissa, un autre nigérian originaire de l’État de Borno. Dans un enregistrement audio décrypté par Vincent Foucher, chercheur et spécialiste de Boko Haram, Habib Yusuf dit Abou Musab al Barnawi expliquerait lui-même les raisons de la défenestration de l’ancien wali, sans le nommer. Non content d’être un partisan du moindre effort quand il s’agit d’aller au combat, l’ancien (?) gouverneur ne partageait pas équitablement les butins de guerre. Il se serait également montré injuste envers les plus jeunes. Autant de tares qui auraient eu raison de Ba Idrissa qui avait lui-même succédé à…son successeur en 2019.
Fils du fondateur de Boko Haram, Mohamed Yusuf, Habib Yusuf a entendu le titre de gouverneur de la PEIAO pour la première fois en août 2016.
À l’époque, l’État Islamique central n’était pas en phase avec les méthodes employées par Abubakar Shekau, jugé très extrémiste. Le remplaçant de Mohammed Yusuf conteste sa destitution tout en se gardant de retirer son allégeance à Abu Bakr al Baghdadi, défunt calife de l’État islamique. Cependant, il s’écarte de la PEIAO et reprend le contrôle de Jama’a ahlou sunna li dahwati wal jihad (JAS) ou groupe sunnite pour la prédication et le jihad. La séparation n’a pas été sans heurts. « Mais il n’y a pas eu de guerre totale entre les deux factions », atténue Tomasz Rolbiecki, analyste indépendant qui travaille sur la région du Lac Tchad.
Sous l’autorité de Habib Yusuf, lui-même ancien protégé de Shekau, la PEIAO qui s’est installée dans le bassin du Lac Tchad, un peu plus au nord du bastion de Shekau, s’est fortifiée en comptant sur l’envoi régulier d’argent de l’État Islamique. Dans un article écrit pour Francesoir, Matteo Puxton, spécialiste de la stratégie militaire de l’EI avance le montant de 500 000 dollars tous les quatre mois. Cet appui financier ne s’arrêtera qu’en 2017. Des membres de l’équipe sont envoyés en Libye pour apprendre de nouvelles techniques de combat. Une vraie économie de guerre est gérée dans le bassin du Lac Tchad où selon Matteo Puxton, les jihadistes imposent des taxes dans des activités comme la pêche et l’agriculture. Aux communautés locales, les jihadistes vendront une nouvelle image moins brutale, allant même jusqu’à offrir des services de base. Ce que l’État nigérian et le groupe adverse n’avaient pas réussi jusque-là. Mais les dissensions ne vont pas tarder à apparaître au sein même de la PEIAO.
Le camerounais Mamman Nur qui était le bras droit d’Al Barnawi quand ce dernier prenait le pouvoir, est tué par ses hommes. Il aurait été partisan du dialogue avec le gouvernement. C’est dans ce grabuge qu’Habib Yusuf sera rétrogradé au profit d’Abu Abdullah Ibn Umar al Barnawi.
Le nord-est du Nigeria sera-t-il plus sûr ?
Sous le règne de cet autre nigérian, la PEIAO a été désignée organisation terroriste par l’Onu le 26 février 2020. Pour les Nations unies, la branche nigériane de l’EI a mené plusieurs attaques terroristes dans le nord-est du Nigeria contre des cibles militaires et civiles depuis 2017. Les attaques de Gubio, de Baga, de Metele, de Kamuya ont été citées en exemple. Une année après son entrée dans le club restreint des organisations terroristes, la PEIAO doit retrouver son « wali » de 2016 même si c’est à titre intérimaire.
Mais force est de reconnaître que Abu Musab al Barnawi tente de marquer son empreinte. Filiale africaine la plus meurtrière pendant le mois de ramadan avec 20 attaques au total, la branche nigériane de la PEIAO s’est aussi fait remarquer dans la communication en mettant en avant ses prétendues « bonnes actions » envers les populations locales du Lac Tchad. La confirmation de la mort de Shekau ne ferait que renforcer cette image en sus de plaider en sa faveur pour son maintien au poste de gouverneur.
L’autre gain que la PEIAO pourrait tirer de cette opération, c’est qu’elle lui confère un « nouveau bastion massif, à partir duquel il pourrait lancer des attaques plus meurtrières », comme le pressent l’analyste Tomasz Rolbiecki. « Il pourrait également être en mesure de bloquer toutes les routes principales menant à Maiduguri, voire d’assiéger complètement la ville », prévient-il non sans ajouter qu’une « PEIAO très forte, sera un ennemi difficile pour l’armée nigériane que deux groupes plus petits ».
En outre, il attire notre attention sur le fait que la mort de Shekau, qui reste à confirmer, « ne signifierait pas nécessairement la fin du Groupe sunnite pour la prédication et le jihad.
« Le groupe a des cellules au Cameroun, au Tchad, au Niger et même dans le centre nord du Nigeria, bien qu’elles semblent travailler indépendamment ».
Quid du potentiel successeur de Shekau ? Il donne sa langue au chat préférant attendre ce que nous dira l’avenir…