Le « remède traditionnel amélioré » contre le Covid-19 annoncé par le président Andry Rajoelina fait encore le tour du monde. A la base de ce traitement qui sera massivement produit et distribué à bas prix à la population malgache : l’artemisia, une plante cultivée en Asie et en Afrique, révélée efficace contre le paludisme par de nombreux chercheurs africains et d’ailleurs il y a plusieurs années, mais jamais validée par l’OMS. Après la chloroquine, vers un débat autour de l’artemisia contre la maladie à coronavirus ?
Après plusieurs semaines de suspens, le président Andry Rajoelina a annoncé lundi un « remède traditionnel amélioré » pour le traitement et la prévention de la maladie à coronavirus, baptisé « CVO » ou « Covid-Organics ». Promis à une production à grande échelle et une distribution gratuite pour les couches sociales les plus défavorisées et à bas prix pour le reste, ce traitement à base d’artemisia associée à d’autres plantes médicinales a été élaboré par l’Institut malgache de recherche appliquée (IMRA). Dès ce mercredi 22 avril, le traitement embouteillé sera commercialisé dans les pharmacies et supermarchés malgaches. Les bénéfices seront reversés à l’IMRA pour financer la recherche scientifique, a précisé le locataire du palais d’Iavoloha.
Madagascar compte 121 cas de contamination, 39 guérisons et aucun décès au moment où nous publions cet article. Selon le président Rajoelina, deux cas de guérisons résultent de l’administration du Covid Organics. Et le pays envisage l’export. « On a déjà eu beaucoup de demandes de partout dans le monde, au Canada, aux États-Unis, en Europe, afin qu’on puisse leur procurer nos produits. », a-t-il déclaré.
A l’île Maurice voisine où le Covid-19 a déjà fait 326 contaminés, 224 guéris et 9 morts, les autorités seraient plutôt attentistes. « En tant qu’Africain et scientifique, je voudrais y croire. Le fait que ce traitement soit personnellement porté par le président malgache n’est pas rien. Mais ici, il y a un peu de scepticisme, surtout à cause des débats autour de l’artemisia. Même les autorités mauriciennes de la santé attendent la validation de l’OMS », explique à La Tribune Afrique une source à Port-Louis.
Une plante au cœur de la polémique
L’artemisia est une plante cultivée en Afrique et en Asie où elle est historiquement utilisée dans la médecine chinoise traditionnelle. Evoquée il y a plusieurs années par des scientifiques africains comme efficace contre le paludisme qui fait chaque année des millions de morts à travers le Continent, l’artemisia n’a jamais reçu l’approbation de l’OMS. « L’OMS ne recommande pas l’utilisation de la matière végétale Artemisia annua, sous une quelque forme que ce soit, y compris le thé, pour le traitement ou la prévention du paludisme », indique l’instance onusienne dans un document datant de juin 2012. Elle réitère sa position dans un document publié en octobre 2019 : « L’OMS ne justifie pas la promotion des matières végétales d’Artemisia ou leur utilisation sous une quelconque forme pour la prévention ou le traitement du paludisme », estimant entre autres que « l’utilisation généralisée de remèdes à base d’Artemisia annua pourrait accélérer le développement et la propagation de la résistance à l’artémisinine ».
Un reportage de France 24 datant de janvier 2019 montre qu’en dépit de l’invalidation de l’OMS, de nombreux scientifiques en Afrique, utilisent l’artemisia à titre personnel et préventif contre le paludisme.
Après la « dispute » autour de la chloroquine
Andry Rajoelina introduit-il un débat sur l’efficacité de l’artemisia contre le Covid-19, après la houleuse polémique autour de la chloroquine recommandée par l’infectiologue et professeur de microbiologie français Didier Raoult ? Lors d’une conférence de presse en ligne fin mars, Dr Mashidiso Moeti, directrice générale du Bureau régional de l’OMS affirmait encore : « Une équipe au siège travaille sur l’efficacité de la chloroquine. Il y a une suggestion qu’elle peut être efficace. Mais en ce moment, l’OMS n’est pas à mesure de recommander l’utilisation de la chloroquine », déclarait-elle, espérant « avoir bientôt des recommandations ». Mais près d’un mois plus tard, toujours rien.
Pour l’instant, la sortie malgache suscite beaucoup de réserves. Si la communauté scientifique malgache défend un « remède [qui], quoi qu’il en soit, ne peut pas faire de mal » selon RFI, la communauté scientifique africaine ne s’est pas encore prononcée.
La science va-t-elle approfondir la recherche ?
La Grande Ile s’est-elle mise sur la piste de l’artemisia en raison de l’efficacité avérée de la chloroquine, un antipaludéen, contre le Covid-19 ? Contacté par La Tribune Afrique, Charles Andrianjara, directeur général de l’IMRA à Antananarivo s’est refusé à toute prise de parole. « Je ne ferai pas d’autres commentaires que ce qui a déjà été dit officiellement », a-t-il déclaré.
Alors que l’OMS ne s’est toujours pas prononcée en faveur de la chloroquine, plusieurs pays à travers le monde y compris en Afrique l’ont adoptée pour le traitement contre la maladie à coronavirus. L’expérimentation malgache de l’artemisia poussera-t-elle, ailleurs sur le Continent et dans le monde, à la recherche scientifique autour de cette plante qui pousse aisément au sud du Sahara ?