L’épidémie du Coronavirus devrait sévèrement impacter les entreprises françaises sur le continent. Dans un contexte sanitaire incertain et face au risque d’alternances politiques appréhendées en catimini par l’Elysée, les entrepreneurs tricolores assurent les partenaires africains de leur soutien, mais revoient leurs objectifs à la baisse.
Vendredi 3 avril, l’Elysée organisait une conversation téléphonique autour des réponses sanitaire et économique à apporter face au Covid-19, avec les présidents du Mali, d’Ethiopie, d’Afrique du Sud, du Rwanda, du Sénégal, de la République démocratique du Congo, d’Egypte, du Kenya, du Zimbabwe et de la Commission de l’Union africaine (UA).
Au-delà de la dimension sanitaire, la France s’inquiète de l’évolution de ses relations politiques, mais aussi commerciales avec le continent. Aussi, dès la fin du mois de mars, un plan d’urgence avait été élaboré pour soutenir les entreprises françaises exportatrices. En substance, il comprend le renforcement des garanties de l’Etat à travers Bpifrance, pour les cautions et les préfinancements de projets export, afin de sécuriser la trésorerie des entreprises. Les quotités garanties seront relevées à 90 % pour les PME et ETI et la durée de validité des accords de garanties des préfinancements, sera prorogée de 6 mois. Les assurances-prospection seront prolongées d’un an et 2 milliards d’euros seront apportés à l’assurance-crédit de court terme. Enfin, l’accompagnement des opérateurs de la Team France Export (Bpifrance, Business France et les CCI) sera également renforcé.
Ces initiatives devraient être suivies d’un plan de soutien élargi aux économies africaines les plus fragiles. « On appelle à une très grande solidarité au niveau européen », a d’ailleurs précisé Marie Lebec, députée LREM des Yvelines, à l’occasion du webinar du 3 avril, organisé par Business France qui a réuni 1 800 participants, pour mesurer l’impact du COVID-19 sur les relations commerciales entre la France et le continent. Cette rencontre virtuelle est revenue sur le risque alimentaire qui pèse sur une Afrique largement dépendante de ses importations.
D’après le Programme alimentaire mondial (PAM), l’Afrique subsaharienne a importé plus de 40 millions de tonnes de céréales en 2018. Le département de l’Agriculture et développement rural de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ne cache pas ses inquiétudes, déclarant dans un communiqué du 1er avril que «les stocks alimentaires dans tous les pays membres ne tiendront pas plus d’une semaine en cas de crise sanitaire sévère». « Pour l’instant, les flux continuent normalement », assure Yann Lebeau, chef de mission Maghreb-Afrique de France-Export Céréales, précisant néanmoins que « les pouvoirs publics redoutent de voir les pays exportateurs fermer leurs ports et affamer l’Afrique ».
L’impact de la crise européenne sur les économies du Maghreb
« Le Maghreb est la région africaine la plus touchée par l’épidémie, après l’Afrique du Sud (au 7 avril à 13h, 10 086 cas de Covid-19 confirmés, dont 487 décès, ont été enregistrés dans 52 pays du continent). « Les économies régionales sont très dépendantes de leur relation avec l’Europe qui traverse actuellement cette crise de plein fouet. Les conséquences ont été immédiates », estime Dominique Boutter, directeur de la zone Maghreb pour Business France. Les répercussions du Covid-19 s’appliquent d’ailleurs à tous les secteurs d’activité et selon l’Institute of International Finance, la pandémie ferait chuter la croissance marocaine de 3,2 % à 1 1 %.
En Algérie, la croissance devrait même passer de 1,6 % à -1,5 %. « Certains secteurs ont plombé les prospectives de croissance comme le tourisme qui représente 8% du PIB marocain et jusqu’à 14% du PIB tunisien », ajoute Dominique Boutter. De plus, si le tourisme est à l’arrêt et les aéroports fermés, les transports maritimes et terrestres sont également perturbés. « Les délais de transport s’allongent, le prix d’un container a augmenté de 400 dollars et nous rencontrons des problèmes de paiement liés à la fermeture de banques […] Aujourd’hui, apposer sa signature sur un bon de commande n’est plus une démarche anodine », a constaté Paul du Sartel, responsable des ventes Afrique de Gerflor, une ETI française, spécialisés dans le revêtement de sols et qui réalise 10 millions d’euros de son chiffre d’affaires sur le continent.
Néanmoins, les entrepreneurs français saluent la flexibilité des autorités méditerranéennes. Il est désormais possible de scanner tous types de documents administratifs et les formalités douanières ont été singulièrement allégées. « Le Maroc a développé une politique très volontariste pour soutenir ses entreprises, avec des engagements représentant près de 3,5 % de son PIB », souligne Dominique Bouttier, qui invite par ailleurs les entrepreneurs tricolores à maintenir des liens ténus avec leurs partenaires, optimisant les difficultés d’accès aux fournisseurs traditionnels.
« Au Maghreb, beaucoup d’entreprises se fournissent en Asie. De plus, l’Espagne est le premier fournisseur du Maroc et l’Italie le premier fournisseur de la Tunisie. Or avec les problèmes qu’ils rencontrent, il y aura une modification des chaînes de valeur ». Un point de vue partagé par Axel Baroux, directeur de la zone Afrique subsaharienne pour Business France qui ajoute que « dans cette période de tentation d’un repli sur soi, les entreprises françaises doivent impérativement garder le contact avec leurs partenaires locaux ».
La double peine pour les pays pétroliers
« S’il est difficile de faire des moyennes agrégées, plusieurs pays pétroliers seront en récession comme le Nigéria, où la dette représente déjà près de 70% des recettes », explique François Faure, responsable risque pays pour la BNP-Paribas, basé en Afrique du Sud. L’économiste insiste sur la nécessité de geler, voire annuler le remboursement de la dette des pays pétroliers, qui doivent faire face au double défi de la chute des prix du baril et de la crise du Covid-19.
« Beaucoup de pays africains ont émis des obligations sur les marchés internationaux et les échéances de remboursement approchent », prévient-il par ailleurs, invitant les agences de rating à ne pas baisser les notes de ces économies en pleine tourmente. Un avertissement allant à l’encontre de la décision de l’agence Moody’s qui a dégradé la note financière de l’Afrique du Sud, le 27 mars dernier, la classant au rang d’investissement spéculatif.
Parallèlement, alors que certains pays du Moyen-Orient comme l’Arabie Saoudite, Oman ou Bahreïn ont annoncé des plans de soutien massif (jusqu’à 30% du PIB), François Faure déplore une situation « non coopérative entre les pays pétroliers » qui devrait maintenir les prix du pétrole au plus bas, alors que la demande continue de chuter.
« On est à l’arrêt dans pratiquement tous les pays africains, que ce soit au Maghreb ou en Afrique du Sud », annonce Jean-Claude Lasserre, CEO Afrique de Saint-Gobain et président du Comité CCEF en Afrique du Sud où les entreprises françaises représentent plus de 65 000 emplois.
A ce jour, Saint-Gobain ne réalise que 1 % de son chiffre d’affaires sur le continent et s’intéresse avant tout à la sécurité de ses équipes. « En Afrique du Sud où nous disposons d’une dizaine d’usines, la tension est palpable, avec la présence de l’armée dans les townships. Il en va de même à Kinshasa où le confinement a été annulé suite aux risques d’émeutes» explique Jean-Claude Lasserre, avertissant que « si certaines économies plongent, il existe des risques sur certains de nos projets ». La situation n’est guère plus favorable du côté de Ponticelli. « Nous avons démonté nos installations au Cap, en Afrique du Sud […] On continue à travailler, mais en mode dégradé […] Les nouveaux projets vont en prendre un coup », annonce Jean-Jacques Lestrade, VP du conseil de surveillance du groupe, qui prévient : « Nous sommes des parapétroliers donc tout dépendra de la demande, mais il y aura un ralentissement de nos projets d’investissement, c’est clair ».
L’impact du Covid-19 associé à la chute des cours du pétrole devrait être particulièrement redoutable dans les pays d’Afrique centrale (CEMAC). « Ce sont des pays déjà en retard par rapport à leurs voisins en termes de croissance. De plus, les prospectives réalisées avant la crise comptaient sur un prix moyen du baril de pétrole compris entre 50 et 60 dollars : on en est loin aujourd’hui! Ces pays auront besoin d’un plan de soutien fort et rapide, de la communauté financière internationale », alerte Axel Baroux de Business France.
Parallèlement, dans une note diplomatique datée du 24 mars, le ministère français des Affaires étrangères expose sa volonté d’identifier de nouveaux interlocuteurs « face au discrédit des élites politiques » dans ce contexte de pandémie, partant du principe que « la crise finale de la rente pétrolière au Cameroun, au Gabon et au Congo-Brazzaville […] pourrait constituer le facteur économique déclencheur des processus de transition politique ». Crise sanitaire, économique, mais aussi politique: pendant que les autorités françaises se cherchent de nouveaux intermédiaires, l’Afrique du «tout pétrole» se prépare au pire.