La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) désavoue la Côte d’Ivoire, lui ordonnant, vendredi 25 septembre, de permettre à l’ex-président de participer à la présidentielle du 31 octobre.
Dans son jugement, la CADHP ordonne à l’Etat ivoirien de « prendre toutes mesures nécessaires en vue de lever immédiatement tous les obstacles empêchant le requérant [M. Gbagbo] de s’enregistrer sur la liste électorale » afin de participer au scrutin. L’ex-chef d’Etat (2000-2010) ne figure pas sur les listes électorales révisées cette année ; il ne peut donc ni voter ni être candidat. Le Conseil constitutionnel ivoirien a rejeté sa candidature à la présidentielle déposée par ses partisans. Lui-même ne s’est pas exprimé sur le sujet.
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L’affaire du « braquage de la BCEAO »
Selon les autorités ivoiriennes, cette décision fait suite à la condamnation de M. Gbagbo par la justice ivoirienne à vingt ans de prison, dans l’affaire dite du « braquage de la BCEAO », la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest, lors de la crise post-électorale de 2010-2011.
Saisie par M. Gbagbo début septembre, la CADHP, qui siège à Arusha en Tanzanie, ordonne également à l’Etat ivoirien de « suspendre la mention de la condamnation pénale du casier judiciaire ». L’avocat de Laurent Gbagbo, Claude Maintenon, s’est dit auprès de l’Agence France-Presse (AFP) « satisfait » de ce jugement, tout en notant que « l’application dépend du bon vouloir de l’Etat ».
Acquitté en première instance de crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale de La Haye, M. Gbagbo, 75 ans, attend en Belgique un éventuel procès en appel. Il ne peut pas rentrer en Côte d’Ivoire, les autorités ivoiriennes refusant, selon ses avocats, de lui délivrer un passeport. Le porte-parole du gouvernement ivoirien n’était pas joignable dans l’immédiat.
Mi-septembre, le Conseil constitutionnel ivoirien a refusé 40 des 44 candidatures à la présidentielle d’octobre, dont celle de Laurent Gbagbo et celle de l’ex-chef rebelle et ex-premier ministre Guillaume Soro. Elle a en revanche validé la candidature à un troisième mandat controversé du président sortant, Alassane Ouattara.
Il y a dix jours, la CADHP a demandé à la Côte d’Ivoire de permettre la candidature de M. Soro, refusée par la Cour constitutionnelle ivoirienne après sa condamnation à vingt ans de prison pour « recel de détournement de deniers publics ». Il est aussi accusé de « tentative d’insurrection ». « Soro, comme Gbagbo, a été écarté car son casier judiciaire n’est pas vierge. Tous deux le savaient parfaitement : leurs candidatures relèvent de la provocation », a déclaré M. Ouattara dans un entretien publié jeudi par l’hebdomadaire français Paris Match.
Tensions politiques
La tension politique est forte en Côte d’Ivoire à un peu plus d’un mois du scrutin présidentiel. Dix ans plus tôt, la crise née de l’élection de 2010, après le refus de Laurent Gbagbo de reconnaître sa défaite face à Alassane Ouattara, avait fait 3 000 morts. En août, une quinzaine de personnes ont été tuées dans des violences après l’annonce de la candidature à un troisième mandat de M. Ouattara, qualifiée de « forfaiture » par l’opposition.
La Constitution limite à deux le nombre de mandats présidentiels, mais le Conseil constitutionnel a estimé que l’entrée en vigueur d’une nouvelle Constitution en 2016 a remis le compteur à zéro pour l’actuel chef de l’Etat. Une interprétation contestée par l’opposition.
Accusant la CADHP de porter « atteinte à la souveraineté de la Côte d’Ivoire », Abidjan a « retiré sa déclaration de compétence » en avril et de fait se désintéresse depuis des décisions de la cour. Ce retrait était intervenu après que la cour a ordonné de suspendre les procédures judiciaires à l’encontre de M. Soro, qui l’avait saisie.
Abidjan reste cependant juridiquement lié à ses décisions. La CADHP note en effet dans son jugement que le retrait de compétence ne devient effectif qu’à « l’expiration du délai d’un an », soit à partir d’avril 2021. Ce retrait de compétence signifie seulement que l’Etat ivoirien ne permet plus à la cour de « recevoir des requêtes d’individus et d’organisations non gouvernementales ». Le gouvernement ivoirien avait d’ailleurs concédé dans un communiqué, le 20 septembre, qu’il était « respectueux des instruments juridiques internationaux auxquels il a souscrit ».