Dakarmidi – Retenu arbitrairement à son domicile, cerné par des forces de police et de gendarmerie, l’opposant continue de revendiquer sa victoire à la présidentielle.
Le Point Afrique : Comment vivez-vous cette assignation à résidence arbitraire ?
Cellou Dalein Diallo : Je le vis comme une injustice, un abus de pouvoir. Je suis illégalement privé de ma liberté de mouvement. Il n’y a absolument rien qui justifie une telle épreuve. M. Alpha Condé fait ce qu’il veut, il utilise les pouvoirs liés à sa fonction de président de la République pour entraver ses adversaires, pour essayer de les neutraliser et de casser leur moral. Mais mon moral n’est pas cassé, je suis déterminé. Ce qui me fait mal, c’est de voir des enfants, des jeunes de moins de 30 ans, être tués. Ils sont innocents, et à supposer même qu’ils aient commis une infraction, comment peut-on faire usage d’une arme à feu pour les abattre ? Et ils n’auront jamais droit à la justice. Deux cent trente personnes ont été tuées à l’occasion des manifestations de l’opposition depuis 2010. Aucun policier ou gendarme n’a fait l’objet de sanction. Quand je dis cela, je crains qu’on ne me prenne pour un opposant de mauvaise foi, mais c’est, hélas, la réalité guinéenne.
C’est la troisième fois que vous affrontez Alpha Condé dans les urnes, vous vous attendiez à une telle répression ?
Je savais que, si Alpha Condé perdait l’élection, il risquerait de faire mal. Qu’il chercherait à s’accrocher à son troisième mandat, par la violence, par la fraude électorale, et c’est ce qui arrive effectivement. Donc, j’avais envisagé cette hypothèse. Mais je ne m’attendais pas à cette répression aveugle et sanglante, à tant de tueries, à la réquisition de l’armée. Et puis je ne pensais pas qu’on me séquestrerait, qu’on barricaderait mes bureaux et les locaux du parti.
Lors de la proclamation des résultats globaux provisoires de la présidentielle, ce samedi, vous avez évoqué un « hold-up électoral ». Vous continuez de revendiquer votre victoire ?
J’ai beaucoup investi dans la sécurisation des votes. J’ai recruté, formé et équipé près de 30 000 jeunes, pour la plupart des diplômés sans emploi. Je les ai déployés dans les 15 000 bureaux de vote, de façon à avoir un délégué et un suppléant dans chaque bureau, équipé de téléphone pour capturer l’image du procès-verbal établi à l’issue du dépouillement, et de nous le transférer par voie électronique. Dès lundi matin, au lendemain du scrutin, on disposait ainsi des résultats.
Mais nous avons vu les manœuvres d’Alpha Condé pour faire établir d’autres procès-verbaux avant la centralisation des résultats et la totalisation par la Commission électorale nationale indépendante. C’est pour cette raison que nous avons décidé de mettre à la disposition de la presse nos résultats, et nous sommes convaincus d’avoir remporté cette élection. Nous pouvons le prouver, car nous avons recueilli 85 % des copies des procès-verbaux des bureaux de vote.
Nous savons qu’Alpha Condé a falsifié les résultats en éliminant les procès-verbaux des circonscriptions où nous étions majoritaires, et en regonflant la participation dans d’autres circonscriptions. Regardez Siguiri ou Faranah, en Haute-Guinée, qui enregistrent respectivement des taux de participation de 99 % et de 101 %, alors que nous savons que la participation était plutôt de l’ordre de 43 % à Siguiri, selon les procès-verbaux issus des urnes… Il s’agit d’une zone, la Haute-Guinée, qui est aujourd’hui très déçue par la gouvernance Alpha Condé, et où de nombreux mouvements de soutien à ma candidature se sont constitués. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il m’a empêché d’aller faire campagne dans cette région qu’il considère comme son fief.
Quels sont les recours que vous envisagez désormais ?
Il y a la rue, bien sûr, puisque nous sommes convaincus que la Cour constitutionnelle comme la Ceni sont des institutions inféodées. Nous allons tout de même envoyer nos pièces à conviction à la Cour constitutionnelle. Nous sommes convaincus que, si des experts indépendants analysent ces éléments, ils arriveront à la même conclusion que nous.
Une délégation diplomatique d’émissaires de l’ONU, de l’Union africaine et de la Cedeao vient d’arriver à Conakry. Allez-vous les rencontrer ?
Ils ont demandé à me rencontrer, et je souhaiterais pouvoir le faire aussi. Mais comment ? Je suis séquestré à mon domicile. Personne n’a le droit d’entrer ni de sortir.