Ousmane Sonko a ignoré que Serigne Mountakha a une formation politique au long cours pour avoir été un responsable du Parti africain de l’indépendance durant des années chaudes de la contestation politique contre le régime de Léopold Sédar Senghor. Il ne manque donc pas de culture ou de formation politique et peut distinguer une aussi grossière manœuvre qui, du reste, est cousue de fil blanc.
Mais le plus révoltant pour de nombreux fidèles mourides est que la démarche de Ousmane Sonko a pu apparaître comme une subtilité (sournoiserie) pour faire percevoir, au Khalife général, les limites de la consigne qu’il avait donnée, interdisant des manifestations dans la ville de Touba. C’est en quelque sorte comme si Ousmane Sonko lui faisait remarquer que les disciples mourides avaient quand même, en grand nombre, bravé l’interdiction de manifester, ce qui expliquerait que sur 13 victimes, les 10 seraient des disciples de Serigne Touba. Ousmane Sonko a poussé l’irrévérence jusqu’à chercher à corriger le Khalife dans ses propos, notamment quand il tenta d’argumenter pour rappeler le sort réservé à Khalifa Sall et Karim Wade ou encore quand il a cherché à justifier le sermon que le Khalife était en train de lui administrer. Ousmane Sonko a voulu expliquer que si Serigne Mountakha avait parlé de la sorte, c’était justement parce que lui, Ousmane Sonko, l’avait souhaité. «J’avais l’habitude de venir ici et solliciter des prières et repartir, mais cette fois j’ai souhaité discuter et échanger avec vous.» Autrement dit, si Ousmane Sonko ne l’avait pas souhaité, Serigne Mountakha n’aurait pas parlé comme il a eu à le faire. D’ailleurs, on a pu voir sur les vidéos que Ousmane Sonko n’a acquiescé aux propos de Serigne Mountakha que parce que son accompagnateur Serigne Cheikh Thioro lui a soufflé de dire : «Nous y veillerons.»
Serigne Mountakha recadre vertement son hôte
Au sortir de l’audience avec le khalife, Ousmane Sonko s’est montré moins prolixe que d’habitude. Il s’est juste fendu d’un «post» sur les réseaux sociaux pour dire : «J’ai eu l’insigne honneur d’être reçu, en cette fin du mois béni de Ramadan, par Serigne Mountakha Mbacké, khalife général des Mourides, dans sa résidence à Touba. Nous avons eu un long entretien au cours duquel, au-delà des échanges sur la situation nationale, le sage de Gouye Mbind m’a gratifié de ses sages conseils et recommandations, que j’ai accueillis avec humilité et joie. J’ai ensuite rendu une visite de courtoisie à Serigne Moussa Nawel qui, depuis notre première rencontre, il y a cinq ans, m’a toujours témoigné son affection, sa compassion et son estime. (…).» Très vite, on lui fera remarquer que Serigne Mountakha n’appartient pas à la famille de Gouy Mbind et Ousmane Sonko changera son «post» pour parler du «sage de Darou Minam». Il a encore besoin de faire ses gammes.
Ousmane Sonko a donc passé un quart d’heure de vérité chez Serigne Mountakha. Ce dernier s’est départi de son sourire habituel et, avec le geste et le verbe haut, s’est dit profondément attristé par les morts provoqués par les manifestations. En effet, le marabout n’a pas hésité à lui préciser qu’il a tenu à lui parler ainsi, pour lui dire qu’il regrette ce qui s’était passé et qu’il désapprouve totalement cette forme de conquête du pouvoir par la violence, les invectives et autres insanités. Serigne Mountakha n’aurait pas non plus apprécié que malgré tout cela, Ousmane Sonko ait pu continuer à prêcher la violence dans son action politique. On se rappelle que Ousmane Sonko avait continué, le 16 mars 2021, de proférer la menace qu’une «deuxième vague de violence plus dévastatrice», allait s’abattre sur le Sénégal. Aussi, devant la première édition de l’Université des cadres de son parti Pastef, le samedi 8 mai 2021, moins d’une semaine avant sa visite chez Serigne Mountakha, Ousmane Sonko avait de nouveau exhorté ses camarades à plus de courage, «pas seulement derrière les claviers, mais aussi sur le terrain. Il faut être prêt pour le combat, même physique s’il le faut. Il faut que chacun d’entre nous soit prêt pour le sacrifice que nous devons à ce pays et à notre continent. Le combat ne devra plus qu’être cérébral, il devra aussi être physique». Ce propos n’a pas manqué d’être relevé par Serigne Mountakha qui lui a indiqué : «Vous les hommes politiques êtes peut-être prêts au sacrifice suprême pour gagner le pouvoir, mais un tel sacrifice serait vain et inopportun.» Serigne Mountakha a insisté sur la manière par laquelle il faudrait conquérir le pouvoir qui, de son point de vue, ne saurait être que par des méthodes pacifiques.
Je vous avais dit qu’ils ne respectent rien
On sait que Ousmane Sonko avait entrepris une démarche pour «récupérer» l’enregistrement vidéo de l’audience, mais les proches de Serigne Mountakha qui avaient tenu à immortaliser cette séance n’ont pas accepté la transaction. Alors, les partisans de Ousmane Sonko ont cherché à relativiser les propos de Serigne Mountakha, voulant faire croire qu’ils n’étaient pas destinés exclusivement à leur leader politique, mais que le guide religieux s’adressait à toute la classe politique. Soit ! Mais on ne peut pas manquer de relever que ces derniers mois ou semaines, Serigne Mountakha a eu, en plusieurs occasions, à rencontrer des hommes politiques et à parler à la population, sans le faire de manière aussi directe et ciblée sur les questions de violences politiques. En outre, après le départ de Ousmane Sonko, Serigne Mountakha avait reçu Khalifa Ababacar Sall en audience publique, sans pour autant avoir senti la nécessité de tenir le même discours. On peut en effet considérer que l’occasion a fait le sermon, d’autant que Ousmane Sonko aura été le seul responsable politique à prôner ouvertement la violence et à appeler ses partisans «à donner leur vie pour le défendre». Mais le plus douloureux dans tout cela est que quand la vidéo de l’audience a circulé dans les médias et les réseaux sociaux, de nombreuses personnes se sont déchaînées pour tenir des propos peu amènes à l’endroit de Serigne Mountakha. C’est ainsi que de nombreux sites web ont fini par bloquer des commentaires on ne peut plus désobligeants. Cette furie et ce déferlement de violences verbales et d’injures, d’indiscipline et d’irrévérence pourrait être le fait de «Monsieur ou Madame tout le monde», mais elle ne constitue pas moins la marque de fabrique et la signature usuelle des partisans de Ousmane Sonko. Les guerriers des claviers excellent dans cet art. Nous rappelions dans ces colonnes «qu’ils ne respectent rien». Dans une chronique en date du 12 avril 2021, intitulée «La racaille ne peut l’emporter», nous nous interrogions sur ce phénomène nocif à la démocratie, à la citoyenneté et à la paix civile. Nous nous demandions : «Faudrait-il se résigner à faire avec des gueux qui investissent la vie publique sénégalaise et qui finissent par ne plus rien respecter ?»
D’autres chefs religieux attendraient Ousmane Sonko de pied ferme
* Par Madiambal DIAGNE
mdiagne@lequotidien.sn