Mamadou Lamine Dianté ne semble pas convaincu de la nécessité de rouvrir les écoles le 2 juin, même pour les classes d’examen. L’ancien syndicaliste se pose beaucoup de questions quant aux préalables permettant une reprise des cours, sans risques.
En plus de l’évolution pas encore maîtrisée de la maladie et de l’état psychologique des acteurs de l’école, face à la psychose née de cette pandémie de Covid-19, l’ancien SG du Saemss se demande comment l’école pourra respecter les mesures barrières, notamment le port du masque et la distanciation sociale. Pour le lavage des mains, il voudrait bien savoir si chaque établissement aura un dispositif. Qu’en sera-t-il du matériel scolaire ? Sera-t-il désinfecter à l’entrée et à la sortie ?
Au-delà de toutes ces questions, Dianté reste sceptique sur la possibilité d’abord de réunir les acteurs, ensuite d’assurer leur déplacement au quotidien. D’abord, fait-il remarquer, élèves, enseignants et personnel administratif ont rejoint leurs familles respectives. Il se pose alors le problème de leur retour à la fois en termes de moyens de transport, mais surtout de risque de propagation du virus. Ensuite, avec toutes les restrictions dans le transport urbain, assorti de couvre-feu et des changements d’horaires dans le public, les acteurs pourront difficilement être à l’heure, pense-t-il.
Autant d’objections de la part d’un enseignant qui espère que les parents n’auront pas à choisir entre les études et la santé (ou la vie) de leurs enfants. L’ancien syndicaliste rappelle que le système éducatif sénégalais a une tradition de sauvetage de l’année. Sauver celle-ci, une fois le danger évacué, ne devrait donc pas poser problème.
Et pour terminer, il demande surtout à ce que les plus démunis ne soient pas lésés au nom des intérêts des nantis. « (…) attendre que la situation du COVID-19 le permette est la décision la plus sage. Nul ne doit être sacrifié sous l’autel des pré-inscriptions ou des voyages d’études de quelques privilégiés ».
Voici le texte dans son intégralité
RÉOUVERTURE DES CLASSES LE 02 JUIN, UNE ÉQUATION À n INCONNUES
La pandémie du COVID-19, apparue officiellement dans notre pays le 02 mars 2020, poursuit sa progression fulgurante. Le Sénégal a franchi la barre symbolique des mille (1.000) cas de contamination au nouveau coronavirus en moins de deux mois. Dans le cadre du plan de riposte contre le COVID-19, plusieurs mesures ont été prises par Monsieur le Président de la République, afin de rompre la chaine de transmission du virus hautement transmissible.
L’apparition du premier cas importé enregistré le 05 mars à Touba a créé une psychose dans la population, jusque dans des établissements scolaires de Mbacké qui accueillent des membres de la famille du patient. Ce qui n’a pas manqué de provoquer des remous dans ces écoles. Et pour éviter que les établissements scolaires et universitaires ne deviennent des foyers de propagation du nouveau coronavirus, Monsieur le Président de la République a décidé, le 14 mars, de les fermer jusqu’au 06 avril 2020.
L’évolution de la pandémie dans notre pays a obligé les autorités à prolonger cette fermeture jusqu’au 04 mai. Il revenait dès lors aux ministres en charge de l’Education et de la formation de mener des « concertations urgentes avec les partenaires sociaux en vue d’évaluer l’impact global du COVID-19 sur le secteur éducatif » ; d’élaborer une feuille de route pour la poursuite des enseignements, de même qu’un agenda des évaluations (examens et concours), tout en tenant compte aussi de l’impact sur les établissements d’enseignement privé.
Entretemps, l’état d’urgence assorti d’un couvre-feu de 20h à 06h du matin a été décrété. Dans le même ordre d’idée, la nécessité du respect de la distanciation sociale dans les transports publics a fait l’objet d’une nouvelle réglementation, limitant le nombre de passagers dans les véhicules de transports en commun. En outre, de nouveaux horaires ont vu le jour dans l’administration, où la journée de travail s’étend désormais entre 09h et 15h. Le port de masque est devenu obligatoire dans les lieux publics, etc.
Au moment où l’on constate avec M. le Ministre de la Santé que « la maladie ne faiblit pas, le nombre de cas a plus que quadruplé », le gouvernement a arrêté, au cours du Conseil des ministres du 29 avril, la date de reprise des cours, « à compter du 02 juin 2020 pour les élèves en classe d’examen ». Les modalités de reprise globale des enseignements dans la période du 02 au 14 juin seront étudiées au niveau des académies. Toutefois, un certain nombre d’inconnues subsistent :
1° L’état d’évolution de la maladie à coronavirus : A moins que le gouvernement soit dans le secret de la propagation du COVID-19 au Sénégal, on ne saurait présager de l’état d’évolution de la pandémie à la date du 02 juin 2020. Et si la tendance actuelle venait à se maintenir ou se renforcer ?
2° L’état psychologique des acteurs : Avec la propagation fulgurante de la pandémie, comment les élèves, les parents et les enseignants vont – ils aborder cette échéance ? Seront-ils dans les dispositions psychologiques et mentales pour une reprise normale des cours, du fait de la psychose engendrée par le COVID-19 et sa folie meurtrière à travers le monde ?
3° La reconfiguration des classes pédagogiques : Les établissements scolaires et universitaires se caractérisent par un déficit criant en infrastructures, caractérisé par un nombre de salles de classe ou d’amphithéâtres très limité. Dans ces conditions, comment réduire la taille des groupes pédagogiques en vue de respecter la distanciation sociale dans les salles de classe ?
4° Les zones à forte densité d’abris provisoires : Ce type d’infrastructure faisant office de salles de classe ou de bloc administratif font encore légion dans les régions du sud et sud-est, où l’hivernage s’installe précocement, souvent au mois dès le mois de mai. Comment ces abris provisoires, qui sont même souvent en nombre insuffisant, pourront-ils permettre une reprise de cours en contexte de COVID-19 ?
5° Le retour des acteurs dans leurs établissements : La première décision de fermer les établissements scolaires et universitaires a coïncidé, à une semaine près, avec les vacances du deuxième trimestre, communément appelées ?vacances de pâques” ou encore ?quinzaine de la jeunesse”. Ce qui a fait que la quasi-totalité des étudiants ont été convoyés chez eux ; de nombreux élèves et enseignants ont aussi rejoint leurs familles.
Dans un contexte d’interdiction des transports interurbains, comment organiser le retour de tout ce beau monde ? Comment s’y prendre si certains se trouvent dans des localités mises en quarantaine ? Comment prévenir les risques de propagation du nouveau coronavirus et la prolifération des cas communautaires, dans ces conditions ? Quelle est la date de reprise des activités pour l’administration scolaire et universitaire, et les enseignants ?
6° Les conditions de transports des acteurs : Avec la nouvelle réglementation dans les transports publics, comment assurer le déplacement régulier des acteurs scolaires et universitaires dans le respect de la distanciation sociale ?
7° Les contraintes en cas prolongation du couvre-feu : Les acteurs n’auront pas le droit d’être dehors ni avant 06h, ni après 20h. Les aléas de la circulation dans des agglomérations comme Dakar, combinés à la limitation du nombre de places dans les véhicules de transports en commun, permettront-ils aux acteurs scolaires et universitaires de respecter le couvre-feu en vigueur ?
8° La confection des nouveaux emplois du temps : Elle doit obéir à divers facteurs tels que les nouveaux horaires dans l’administration et les services publics, la réduction de la taille des groupes pédagogiques, la disponibilité des salles physiques, l’exigence de respect de la distanciation sociale dans les salles de classe et la cour de récréation. Par quelle alchimie va-t-on essayer de permettre à la mayonnaise de faire semblant de prendre ?
9° La conduite des cours d’EPS : L’éducation physique et sportive est pratiquée dans nos établissements. En fonction des risques encourus par les élèves, va-t-on les obliger à courir avec les masques, en faire des séances individuelles ou simplement suspendre ces cours ?
10° Les cours de philosophie : La philosophie fait partie, avec les mathématiques, l’espagnol, etc. ; des disciplines dites ?en péril”, du fait d’un déficit d’enseignants dans ces matières. Il est très fréquent de trouver un seul professeur de philosophie dans un lycée à trois ou quatre classes de terminale, ou qui est à cheval entre plusieurs lycées. Avec une taille moyenne des groupes pédagogiques de 60 élèves, comment organiser les cours de philosophie ?
11° Le respect des mesures barrières dans les établissements : Au-delà de la distanciation sociale dans les salles de classe et dans la cour, les acteurs doivent être équipés en masques et les établissements en dispositifs de lavage des mains. Selon les instructions des autorités sanitaires, le lavage des mains doit se faire au minimum toutes les heures ; et les masques doivent être changés toutes les trois heures.
Ainsi, pour une durée de séjour quotidien de six heures dans les établissements, chaque acteur doit au moins se laver les mains 6 fois et changer de masque 2 fois par jour au sein de l’institution. En outre, il serait d’un bon ton de désinfecter les cartables et matériels scolaires à l’arrivée et à la sortie des élèves et étudiants. Quelle garantie a-t-on que ces dispositions idoines seront prises ?
12° Le dispositif « apprendre à la maison » : Pour assurer la « continuité pédagogique », les ministères en charge de l’éducation et de la formation avaient annoncé un dispositif d’enseignement-apprentissage qui devait palier les cours habituels. S’est-on ravisé face à l’impréparation des acteurs par rapport à ce dispositif, et par rapport à ses propres limites ? Toujours est-il que le processus doit poursuivre sa maturation, pour le bien des acteurs.
Par ailleurs, quelles qu’en soient ses performances, ce dispositif continuera de trainer une grosse lacune que constitue l’apprentissage de la sociabilité, essentiel dans les processus d’enseignement-apprentissage.
13° Le choix des acteurs : Selon le Pr Moussa Seydi, « laisser le COVID-19 circuler pourrait mener à une catastrophe » au Sénégal. Dans un contexte de prolifération des cas issus de la transmission communautaire, qui sera exacerbée par le retour des acteurs qui étaient dans d’autres contrées, les élèves, étudiants et enseignants vont – ils vont devoir choisir entre la poursuite des enseignements-apprentissages et le COVID-19 ? Les parents seront-ils contraints à choisir entre les études et la santé (ou la vie) de leurs enfants ? En tous cas, le sérieux des effets néfastes du COVID-19 et la faiblesse de nos moyens médico-sanitaires ne laissent aucune place au tâtonnement, encore moins au faire-semblant dangereusement hasardeux.
Et pourtant, notre pays a une longue tradition en matière de ?sauver l’année” et regorge de techniciens de l’éducation capables de proposer des schémas adéquats de réaménagement du calendrier scolaire et universitaire. Nous avons aussi les exemples de 2007 et 2012 qui peuvent servir de jurisprudence. Là où le Sénégal a réussi à sauver des années pendant qu’il était seul en situation, en faire autant ou mieux dans ce contexte inédit où il se trouve pratiquement au même niveau que tous les pays du monde, ne sera pas impossible.
Par conséquent, attendre que la situation du COVID-19 le permette est la décision la plus sage. Nul ne doit être sacrifié sous l’autel des pré-inscriptions ou des voyages d’études de quelques privilégiés.
Mamadou Lamine Dianté