Dakarmidi – Il n’est pas superflu, à l’entame de mon propos, de rappeler qu’au courant des années 80, l’Unesco avait étudié, avec beaucoup de rigueur, la question ainsi remise au-devant de l’actualité par la déclaration du président Emmanuel Macron à Ouagadougou qui a préconisé la restitution des biens culturels africains conservés dans beaucoup de musées français. Son directeur général de l’époque, le sénégalais Amadou Matar Mbow, qui s’était distingué dans le combat pour la restitution, déclarait en 1978, dans un appel lancé à l’attention de la communauté internationale, que la restitution, au regard de la vaste spoliation coloniale de biens culturels, dont ont été victimes de nombreux peuples « en Afrique, en Amérique latine, en Asie, en Océanie, en Europe même » est juste et légitime.
A.M. Mbow ajoutait «ces peuples victimes de ce pillage parfois séculaire n’ont pas seulement été dépouillés de chefs-d’œuvre irremplaçables : ils ont été dépossédés d’une mémoire qui les aurait sans doute aidés à mieux se connaître eux-mêmes, certainement à se faire mieux comprendre des autres. […] Aussi ces hommes et ces femmes démunis demandent-ils que leur soient restitués au moins les trésors d’art les plus représentatifs, ceux auxquels ils accordent le plus d’importance, ceux dont l’absence est psychologiquement le plus intolérable. »
C’est dans ce contexte que l’UNESCO a organisé le vendredi 1er juin 2018, en son siège parisien, une conférence internationale pour débattre, à nouveau, sur la question, après une éclipse de plus da quarante année. Le thème retenu était en résonnance avec la problématique du retour des nombreuses œuvres culturelles africaines qui ont été spoliées et convoyées en Europe durant les longues et douloureuses nuits coloniales. A la différence de la déclaration initiée par l’UNESCO en 1978, celle qui se met présentement en place qui bénéficie, cette fois, à travers le Président Macron, d’un portage politique.
Evitant soigneusement d’utiliser le concept de restitution, et préférant lancer les débats à partir de l’idée de circulation des biens et de partage de patrimoines, l’Unesco a su proposer un angle d’attaque assez consensuel qui a ainsi permis d’engager des discussions ouvertes et franches. Cette approche augure, de mon point de vue, de nouvelles perspectives susceptibles de conduire à des avancées notables qui pourraient être décisives dans la recherche de solutions consensuelles, pour organiser cette restitution tant souhaitée en Afrique. Car à la réalité nous n’en sommes qu’au début de longues discussions qui devront, peut-être, mener la communauté internationale vers un processus effectif de restitution. Montrerons-nous par conséquent raisonnablement optimistes.
Nul n’est sorti de la rencontre en pensant que c’est gagné, en dépit des discours réconfortants des ministres allemand et français en charge de la Culture qui ont fait état des bonnes dispositions de leurs deux pays. Les ministres africains présents ont noté les absences remarquables de l’Angleterre et de la Belgique qui sont deux autres pays dépositaires de nombreuses œuvres arrachées à l’Afrique. Nous ne sommes que trop conscients des nombreuses difficultés qui nous attendent.
A commencer par le statut des objets qui doit être définitivement clarifié. En effet, qu’il s’agisse du fait colonial, du trafic illicite ou des missions ethnographiques, la plupart des biens culturels, notamment africains, qui sont conservés dans les institutions européennes, peuvent être concernés par la restitution. Faut-il le rappeler, la conquête coloniale a été accompagnée par de nombreux pillages et des désacralisations douloureuses qui ont laissé des traces profondes dans les sociétés africaines. Il y a eu aussi, et elles sont nombreuses, des collections acquises dans la fourberie, le mot n’est pas exagéré, par des personnes dont les apports à la connaissance des sociétés africaines sont pourtant reconnus.
Dans l’Afrique Fantôme, ouvrage paru pour la première fois en 1934, Michel Leiris rend compte, avec un réalisme saisissant, des stratagèmes mis au point par Marcel Griaule au cours de sa mémorable mission Dakar-Djibouti (1931-1934) pour spolier littéralement les Africains. Avec une remarquable lucidité Leiris dit ceci : « On pille les Nègres, sous prétexte d’apprendre aux gens à les connaitre et les aimer, en fin de compte, à former d’autres ethnographes, qui iront eux aussi les aimer et les piller.»
Sans entrer dans les détails de ce processus d’une typologie des procédés d’extorsion, il est évident que beaucoup de collections africaines sont issues de pillages à grande échelle. C’est une évidence historique qui ne peut être éludée. Nous sommes donc devant un fait accompli qui dérange et interpelle nos consciences.
Pendant longtemps on a parlé à demi-mots ou esquivé la question au prétexte que les musées africains ne disposaient pas d’infrastructures adaptées pour accueillir les collections restituées. Les rares cas où des objets ont pu être prêtés à leurs pays d’origine ce fut, très souvent, dans des conditions peu incitatives.
On note cependant des exceptions trop rares pour ne pas être citées. Entre autres exemples à présenter : le Musée d’histoire naturelle du Havre, dépositaire de la collection Archinard qui, dans le cadre d’un programme intitulé « mémoires en partage », met à la disposition du Sénégal des objets liés aux Mémoires omariennes, sans charges financières ni tracasseries administratives. Il reçoit en échange des collections de musées sénégalais ; le tout avec une implication forte de la diaspora sénégalaise du Havre. Depuis l’électrochoc de Ouagadougou et la nomination de l’équipe Felwin Sarr Bénédicte Savoy, on constate un véritable frémissement sur la question de la restitution du côté français, un des gros dépositaires du patrimoine africain. D’autres initiatives ne manqueront certainement pas de la part d’autres anciennes puissances coloniales pour revisiter ensemble, cette douloureuse page d’l’histoire.
Dans ce contexte, il est heureux que l’UNESCO, dont le rôle devra être central dans la période qui s’annonce, ait pris l’initiative d’organiser les Panels du 1er juin 2018 à Paris. Ces Panels ont permis aux acteurs politiques, institutionnels ainsi qu’aux professionnels d’échanger dans un format très libre. Nous Africains venus à Paris, avons largement profité de cette tribune internationale pour exprimer des préoccupations.
Peu avant cette rencontre, lors de la Biennale de l’Art Contemporain africain qui s’est déroulée à Dakar du 3 mai au 2 juin 2018, une dizaine de ministres en charge de la Culture dans leurs pays respectifs ont eu l’avantage, dans le cadre des activités organisées dans divers ateliers de réflexions, d’entendre une communication du professeur Felwin Sarr.
On rappelle que le professeur Felwin Sarr préside avec Mme le professeur Bénédicte Savoy, la Commission mise en place par le Chef de l’Etat français, pour étudier les conditions et les modalités de mise en application de l’engagement du président Emmanuel Macron, relatif à la restitution aux Etats africains des biens culturels qui leur ont été spoliés au cours de la colonisation. Les Ministres présents à la rencontre ont, à la suite de l’intervention du professeur Sarr, exprimé de sérieuses préoccupations qui pourraient être résumées en cinq points que j’ai eu à rappeler moi-même à Paris.
J’ai, en effet, au cours de ma prise de parole devant le panel1 de la conférence de l’Unesco organisée sur le thème : « Circulation des biens culturels et partage de patrimoine », transmis à la communauté internationale les préoccupations de collègues venus à Dakar et dont la plupart était également présent à Paris. A Dakar nous faisions observe qu’il fallait :
éviter que la restitution ne serve comme moyen de déstockage d’œuvres mineures qui encombrent les musées en Occident ;
éviter l’adoption de procédures complexes et non réalistes ;
éviter de considérer des difficultés juridiques ou techniques comme des obstacles insurmontables ;
éviter de se montrer trop frileux par rapport à la question des collections privées ;
Enfin, pour les Africains, la mise en application du concept de partage de patrimoines, devrait leur donner les moyens d’accéder, sans formalités administratives trop contraintes ni frais financiers indus, à des patrimoines historiques constitués sous la période coloniale. Nous pensons, ici, aux documents audiovisuels enregistrés par la France dans ses colonies et dont l’exploitation est aujourd’hui confiée à l’Institut National de l’Audiovisuel (INA).
Le premier mérite de la communication présentée par Mme Bénédicte Savoy devant la conférence de l’Unesco, ce vendredi 1er juin 2018, a été d’abord de rappeler les termes de l’appel de l’ancien Directeur général de l’Unesco. Son second mérite a été ensuite de poser de façon lucide avec des termes actuels, le problème de la restitution. Et, enfin, d’avoir conclu que cette restitution se présentait comme une exigence légitime que, du reste, la France avait déjà reconnue, au début des années 80. Ce fut fait à la faveur d’un rapport déposé par une commission détenant une lettre de mission quasi identique, à celle donnée à cette nouvelle commission installée par le Président Emanuel Macron.
Au regard de tout ce a été dit ou rappelé à Paris, nous pensons que quand le rapport rédigé par les soins de Felwin Sarr et de Bénédicte Savoy sera déposé en novembre prochain, nous devrions, de part et d’autre, faire l’économie de nouvelles et d’interminables discussions qui nous enliseraient davantage dans l’inaction. Le cas échéant, des peuples remplis d’espoirs dans tous les pays concernés par cette restitution et attendent avec impatience, ne comprendraient pas davantage d’inaction de notre part.
Par Abdou Latif Coulibaly
La rédaction