Dakarmidi – L’union des magistrats du Sénégal vient de clôturer une rencontre fort suivie et commis des recommandations au Président de la République pour dénouer les goulots qui étranglent notre justice.
Juste cette posture traduit l’emmaillotement des magistrats par le pouvoir exécutif.
Laisser décider son sort en quémandant des améliorations de conditions de travail ou plus de mou dans la bride, c’est se mettre dans un rapport de dominant/dominé, or nous avons un pouvoir séparé consacré. Le pouvoir exécutif fait parti du problème et ne sera guère enthousiaste à éroder son contrôle sur la marche de la machine judiciaire.
C’est au peuple et au Parlement que l’UMS devait soumettre ses recommandations, c’est au nom de ce peuple qu’ils travaillent et seul ce dernier qui fait les frais de l’instrumentalisation judiciaire peut donner la légitimité populaire qui sied aux réformes voulues.
Ce sera aussi l’occasion de renouer le fil du dialogue et de la confiance rompue avec l’institution judiciaire.
Poser la question du « que gagne le peuple, le simple justiciable dans ces propositions? » me semble l’angle le plus susceptible de générer une réflexion féconde avec des solutions endogènes, au lieu de s’arrimer à une « tradition juridique » totalement éloignée de notre vécu.
La présence du Président de la République et du ministre de la justice au sein du conseil supérieur de la magistrature montre que nous ne nous sommes pas débarrassé du concept d’Ancien Régime français du « Roi attributaire de la justice et qui la délègue à des officiers qu’il nomme et à des juridictions qu’il est chargé d’organiser ».
En 2018 rien ne justifie dans un État de droit, que des juges soient chaperonnés par le pouvoir politique pour organiser l’administration de la justice ou même la discipline des pairs.
S’agissant de la nomination des magistrats, l’UMS aimerait que le conseil supérieur de la magistrature soit la seule instance qui soumet la nomination d’un juge.
Je pense que ce n’est pas le rôle du CSM de faire nommer un juge, la magistrature n’est pas un club de cooptation, cependant faire un appel à candidature sur une ouverture de poste décidée par l’exécutif peut être une solution plus démocratique. Un comité pourra travailler sur les critères objectifs requis pour les postes et soumettra trois profils à la fin de la sélection. C’est un moyen de dépolitiser les nominations tout en laissant la main au gouvernement pour choisir celui qui correspond le plus aux exigences requises.
L’avancement de la carrière, l’âge de la retraite ne doivent plus être l’affaire du gouvernement, le statut du magistrat doit s’affranchir de l’approche du « juge-fonctionnaire », et doit, pour plus de protection être régi par une loi référendaire ou organique qui organisera sont indépendance institutionnelle.
L’indépendance du juge par ailleurs ne doit pas être présentée au citoyen comme un principe d’irresponsabilité, à ce titre, nous gagnerions à vulgariser auprès du public les mécanismes de mise en œuvre de la responsabilité des juges (en conseil de discipline).
Dans la quête de notre magistrature pour plus d’indépendance et donc d’immunité, nous ne devrions pas oublier que cette liberté ne s’exerce que dans le cadre de la primauté du droit.
Devant les défis sociaux et la complexité du monde, la magistrature (et le monde judiciaire) doivent apprendre à penser hors cadre et prendre part dans le débat sociétal, sortir de la contemplation lorsque des lois anti démocratiques sont votées par des majorités aveuglément partisans, casser des décrets ou arrêtés d’une administration à tendance autocratique, bref être le défenseur de premier plan des libertés individuelles, de la constitution, de la justice fondamentale et la préservation du processus démocratique.
C’est le lieu de dénoncer la tendance du Conseil Constitutionnel depuis quelques temps à légiférer de façon détournée, en violant délibérément la loi, transformant de simples avis en « injonctions constitutionnelles » sous la dictée des politiciens, s’autorisant indûment un pouvoir d’interprétation là où la loi est explicite comme nous l’avons vu avant les dernières élections législatives.
En somme, il faut mettre le peuple au centre de cette réforme, il est assez intelligent pour comprendre dans un langage clair (bête noire des juristes) les lois prises en son nom qu’on veut lui appliquer.
Bonne année.
Par Me Pape Kanté