L’invocation (du ‘â), différente de la prière (Salât) est au coeur de l’adoration dans l’islam. D’une part, nombreux sont les versets qui magnifient l’invocation comme le 186 de la sourate 2 où, après la réglementation du jeûne, le Créateur et Maître des mondes dit combien Il est proche de nous et prêt à exaucer nos invocations. Il met des conditions simples de réciprocité : répondre à Son appel lequel ne peut être autre que l’écoute et l’obéissance dans une totale confiance en Lui. D’autre part, le hadith va jusqu’à nous dire que l’invocation est l’adoration même (ad-du ‘â huwal ‘ibâdah). De cette éminente place de l’invocation dans le culte musulman vient que le Coran regorge d’expressions de «rabbanâ» et «rabbi» qui renvoient au «tawhîdur rubûbiya» – Dieu est l’unique Créateur et Maître des mondes).
Dans ce cadre, on peut mentionner ces invocations qui donnent le frisson à savoir, celles d’Adam et son épouse après avoir mangé quelque chose de l’arbre interdit, de Noé pour les croyants et croyantes qui sont montés avec lui dans l’arche, d’Ibrahim avec à ses côtés son fils Ismaël après l’édification de la Kaaba, de Moïse, dans le désert, après avoir aidé deux jeunes bergères, de l’épouse de Pharaon qui demande la protection de Dieu contre ce dernier et une maison au paradis, de Jacob profondément soucieux du sort de son fils Joseph, de Zacharie très inquiet pour l’avenir de la mosquée de Jérusalem. Quant au sceau des prophètes et dernier message de Dieu, Muhammad (SAWS), il n’a vécu que de glorifier Dieu, de L’adorer et de L’invoquer.
L’invocation est une façon, pour l’invocateur (homme ou femme) de «susciter» le souci de Dieu envers lui, car, il Lui reconnaît être Le seul et unique Créateur et Maître des mondes, Qui pourvoit aux besoins de Ses créatures. Cette attitude de l’invocateur qui consiste à assumer humblement son besoin de Dieu fait que le mécréant qui est dans la suffisance et l’insouciance ainsi que l’hypocrite qui a choisi la duplicité ne veulent pas invoquer Dieu. Même Satan n’a pu se passer d’une insincère et opportuniste invocation d’être en vie jusqu’au jour de la résurrection !
C’est connu, les versets et hadiths nous apprennent qu’il y a des moments, des lieux, des positions et des situations ou états qui sont particulièrement propices à ce que nos invocations soient exaucées. Mais ici, pour partager la compréhension que nous avons de ce qui lie l’invocation au jeûne, nous nous limiterons à examiner quelques cas mentionnés dans les hadiths où il est dit que l’invocation ne sera pas rejetée. Dans ces cas, il est question de ce que nous appelons un invocateur « qui est en train de…» : l’invocateur qui est en train de gouverner dans la justice ; l’invocateur qui est en train de subir les préjudices de son oppresseur ; l’invocateur qui est en train de voyager et l’invocateur qui est en train de jeûner.
Le gouvernant qui gouverne dans la justice alors qu’il a le pouvoir de faire le contraire déploie certainement un effort fort louable sur lui-même pour y arriver et c’est cela qui est récompensé à ce qu’il paraît par une invocation non rejetée (le puissant roi David jeûnait un jour sur deux nous dit le hadith). L’invocateur qui est en train de subir les tords de toutes sortes que lui porte son oppresseur est dans un état tel que sa souffrance est compensée par une invocation qui ne sera pas rejetée. L’invocateur qui est en train de voyager devient ce que le Coran appelle «ibnus sabîl», à la merci des dangers et aléas du chemin. C’est cette vulnérabilité (il pouvait être riche et respecté dans son lieu d’origine), qui est semble-t-il compensée par une invocation non rejetée (il lui est d’ailleurs permis de réduire et/ou de regrouper les prières).
Venons-en maintenant au cas de l’invocateur qui est en train de jeûner. Les hadiths indiquent que durant la journée de jeûne et au moment de la rupture, son invocation n’est pas rejetée. Grosso modo, l’analogie avec les cas précédents conduit à se dire qu’il est en train de déployer un effort inouï contre ses passions et envies afin de se rapprocher de Dieu par le truchement de la Taqwa. Cette lutte contre l’appel du nafs fait que le jeûneur est dans un état spirituel tel qu’il est récompensé par une invocation non rejetée. En effet, Dieu exauce les muttaqîn (craignants-Dieu) et voici que le jeûneur est en train d’apprendre à se mouler dans la vertu cardinale de Taqwa.
S’y ajoute que l’expression prophétique «leur invocation ne sera pas rejetée – da ‘watun lâ turadd» doit nous interpeller. En effet, c’est une autre façon de dire que leur invitation sera exaucée. Mais alors que pourrait-on comprendre de cette expression «ne sera pas» ? Nous y voyons une façon de dire que dans cet état-là, Dieu S’oblige à exaucer l’invocation de l’invocateur. Allahou a ‘lam (Dieu sait mieux). Cette compréhension nous semble être en phase avec le hadith où le jeûne, en intercesseur, dit : «O Rabbî, c’est moi qui l’ai empêché de manger, de boire et de suivre ses passions.»
O Allah, que pouvons-nous espérer si Tu rejettes nos invocations ! Accepte-les de nous qui Te reconnaissons comme le seul digne d’être invoqué, le seul que nous invoquons et le seul de Qui nous espérons qu’Il exauce nos invocations. Aamiin.
Imam Makhtar Kanté