Dakarmidi – Réputé être une vitrine de la démocratie en Afrique, le Sénégal perd de plus en plus son lustre, à cause des bavures répétitives des forces de défense et de sécurité. Ces derniers jours, l’image du pays a sérieusement été écornée, avec la mort de l’étudiant Mouhamadou Fallou Sène tombé au front, alors qu’il ne demandait, avec ses pairs, que le paiement de leurs bourses. Le natif de Pattar vient ainsi s’ajouter à la longue liste des victimes de la répression étatique. Pendant que l’opinion s’en émeut, le président de l’Association des policiers à la retraite tente de défendre ses hommes.
Le hiatus prend de plus en plus de l’ampleur entre forces de l’ordre et populations. Le fossé se creuse, jour après jour. La mort de Mouhamadou Fallou Sène, le 15 mai à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, n’a fait qu’exacerber les divergences déjà profondes. Elle vient s’ajouter à une liste déjà très longue de victimes de bavures policières. Kilifeu, icône dans le mouvement Y en a marre, n’en revient toujours pas. Il reste convaincu que le régime en place verse de plus en plus dans le tout répressif. ‘’Nous même en avons fait les frais, lâche-t-il, lors des manifestations du 19 avril dernier. Nous avons été cueillis manu militari. Tout le monde a vu les images. Alors que nous ne faisions qu’exercer un droit garanti par la Constitution’’. Après 24 heures de garde à vue, l’activiste et ses camarades ont été libérés sans aucun procès. Mais saint et sauf !
Kékouta Sidibé, sourd-muet, n’avait pas eu cette chance, en août 2012. Il est mort, alors qu’il était sous la responsabilité des forces de défense et de sécurité, tout comme le jeune apprenti chauffeur Ibrahima Samb, mort à Mbacké, en octobre 2013. Le même sort a également été réservé à Mamadou Doudou Diallo, décédé alors qu’il était en détention à la Mac de Kédougou. La liste n’est pas exhaustive, même si les plus médiatisés ont toujours été les cas concernant des étudiants. Ils concernent presque tous les corps : Police, Gendarmerie, Douane, Garde pénitentiaire et Armée. Cette dernière avait d’ailleurs été accusée dans la mort d’Antoine Robert Bambou en Casamance. Il avait alors été roué de coups par des militaire.
La liste inépuisable des « martyrs »
Ainsi, les bavures sous nos cieux semblent s’ériger en règle. Et il serait de mauvais aloi de vouloir l’imputer au seul régime du président Sall. Le mal est beaucoup plus profond. Il a su transcender les temps. A chaque régime son lot de ‘’massacres’’. Et toujours, c’est la population qui en paie le lourd tribut. Sous Wade, plusieurs cas de bavures policières ont été décelés. Les plus célèbres resteront sans doute la mort de Mamadou Diop, les morts survenus à Fanaye (Podor), Sina Sidibé à Kédougou, Malick Ba à Sangalkam, Balla Gaye à l’Ucad, pour ne citer que celles-là. Sous le régime socialiste, également, les exemples ne manquent pas, même si la documentation est moins accessible.
C’est à se demander si nos forces de l’ordre sont bien préparées pour certains types d’interventions. Bien que leur professionnalisme soit salué partout à travers le monde, il n’en demeure pas moins que, parfois, elles font preuve d’un zèle inqualifiable. En atteste la fameuse vidéo sur le policier gifleur de Ziguinchor. Dans les manifestations publiques, ils n’hésitent pas, à quelques exceptions près, de maltraiter, violenter et humilier d’honnêtes citoyens en situation de détresse. ‘’Nous condamnons vivement ces actes qui sont indignes dans un pays démocratique. Je pense que nous avons droit à un minimum de respect. Les Sénégalais ne sont pas des animaux. Les policiers doivent être là pour nous protéger et non pour nous tuer’’, fulmine l’activiste du groupe de rap Keur Gui.
Les mutations dans la gestion des foules
Dans les pays avancés, indique Pape Sané, journaliste spécialiste des questions de sécurité, le terme ‘’maintien de l’ordre’’ a tendance à disparaitre. La tendance, c’est le concept ‘’gestion des foules’’, car maintien de l’ordre est un terme fourre-tout. Le spécialiste estime qu’en matière de gestion des foules, la prévention doit primer sur la répression. Il précise : « L’intervention des forces de l’ordre est très normée. Il est recommandé de recourir d’abord à la médiation. Ensuite, il faut utiliser un mégaphone pour avertir les gens. Dans le cas où il est incontournable d’user de la force, il faut mettre en place un barrage. A défaut de barrage, on doit utiliser des moyens adaptés pour disperser les foules. Une arme assourdissante comme la bombe lacrymogène, par exemple… ».
Depuis quelques années, l’Etat ne cesse de renforcer les moyens logistiques et humains des forces de défense et de sécurité. Ce qui est salutaire, selon le spécialiste Pape Sané. C’est dans ce sens que le journaliste inscrit l’achat de moyens de protection, de matériels anti-émeute, de véhicules blindés, du matériel destiné à la protection individuelle des éléments : casques, protège-tibias, genoux… Le journaliste trouve anormal, cependant, que, dans le même temps, les bavures se multiplient. ‘’Soit les éléments sont dépassés sur le théâtre des opérations, soit ils s’en fichent des règles. A cause de l’impunité, ils peuvent se croire tout permis. Mais, pour moi, le problème c’est au niveau de l’encadrement’’.
Dans ce type d’intervention, selon M. Sané, il y a l’ordre de la loi et le commandement de l’autorité légitime. ‘’L’officier de police judiciaire qui dirige l’opération doit être le premier à se conformer à la législation en vigueur. En cas de violation, il faut sanctionner’’, ajoute-t-il.
Par rapport à l’affaire Fallou Sène, Pape Sané souligne que la gendarmerie n’a pas les mêmes contraintes que la police, en matière de gestion des foules. En effet, si les policiers sont tenus de faire des tirs de sommation, les gendarmes ne sont pas astreints à la même obligation. ‘’Ce sont des militaires. Quand ils sortent leurs armes, c’est pour tirer’’.
Cheikhna Keïta: « C’est très facile de rejeter la faute sur les forces de l’ordre »
Voués aux gémonies par une bonne partie de l’opinion, des policiers interpellent la conscience de toutes les composantes de la population. Le président de l’Association nationale des policiers à la retraite, Cheikhna Keïta, regrette les critiques acerbes portées contre les forces de défense et de sécurité. ‘’Il faut se mettre du côté de ces agents. Dans ce genre de guérilla urbaine, tout peut arriver. C’est trop facile de rejeter la faute sur les forces de l’ordre. Quand un gendarme, esseulé, se retrouve entouré de manifestants qui menacent sa vie, qu’est-ce qu’il fait ? Vous voulez qu’il y laisse sa vie ? Je pense que personne ne souhaite la mort d’un individu. Moi, je pense qu’il faut que chacun revienne à la raison’’, plaide le retraité.
Quid des policiers victimes de la barbarie des manifestants ?
Au-delà de cette remarque, l’ancien flic revient sur la procédure à emprunter, quand un élément est en difficulté sur le théâtre des opérations. Il explique : ‘’Il doit faire ce qu’on appelle un repli stratégique. Moi, je dis qu’il faut fuir, si c’est possible. Mais là également, il y a problème. Nous sommes tous témoins de ce qui est arrivé à Fodé Ndiaye, lors des manifestations en 2012. Il avait une arme, mais ne l’a pas utilisée. Il a voulu se sauver. Quand il est entré dans une maison pour demander de l’aide, on l’a chassé et livré à la foule. Et personne n’en parle’’. Le policier à la retraite regrette que ceux qui lui ont refusé secours n’aient pas été sanctionnés, conformément aux prescriptions de l’article 49 du Code de procédure pénal.
Revenant sur la mort de Fallou Sène, il argue que les gendarmes n’ont pas fait preuve de négligence. A son avis, ils n’ont pas bien été informés de la situation. ‘’Ils ne se sont pas levés ce jour-là pour une mission de maintien ou de rétablissement de l’ordre. C’est pourquoi toutes les dispositions n’ont pas été prises, puisqu’ils sont venus avec moins de 50 éléments. Ils ont dû être surpris par cette meute d’étudiants qui les ont pris à partie’’, défend-il.
Kilifeu, lui, semble outré par une telle version. Pour lui, cela est inopérant, du moment que les étudiants n’étaient même pas armés. Pis, fulmine le rappeur, ‘’ce n’est pas la première fois. C’est devenu une habitude, dans ce pays. Il faut arrêter de raconter des histoires. Ils ont tué, ils n’ont qu’à l’assumer et ne pas offenser la mémoire du défunt’’.
Qu’à cela ne tienne, le président des policiers à la retraites regrette qu’à chaque fois qu’il y a des policiers comme Fodé Ndiaye qui perdent la vie, personne ne s’en émeut. Quand il s’agit de civils, même si la police n’a rien à voir avec, tout le monde rue dans les brancards. ‘’On parle souvent de Mamadou Diop. On dit que c’est le char qui l’a écrasé. Ce véhicule dont on parle fait 30 tonnes. S’il était vraiment passé sur son corps, pensez-vous qu’il allait être enterré ? Malheureusement, les policiers n’ont personne pour les défendre. D’ailleurs, le Sénégal est le seul pays où l’on refuse à la police d’avoir un syndicat. Il est temps d’y remédier’’.
La jeunesse des commandants indexée
Malgré cette plaidoirie, l’ancien brigadier reconnait qu’il peut y avoir quelques failles au niveau des hommes de loi. ‘’Je pense que cela peut être dû au fait que ce sont généralement de jeunes officiers qui sont à la commande de certaines opérations délicates. Ils sont de la même génération que les manifestants. Il y a donc la fougue, le tempérament, et tout ça peut exacerber la tension entre manifestants et forces de l’ordre. Mais le plus important est de savoir que nous ne sommes pas des ennemis, mais des partenaires. Pendant que tout le monde dort, nous laissons femmes et enfants pour veiller sur leur sécurité. Aussi, demeurons-nous les fonctionnaires les plus pauvres. Moi qui vous parle, j’ai servi mon pays partout. Aujourd’hui, je suis à la retraite et à la fin du mois, je perçois moins de 100 000 F. Et pourtant, on ne grogne pas’’, dixit le sexagénaire.
Par Mor amar
La rédaction