Dakarmidi- Une préface qui vous plonge déjà dans l’univers délicieux de ce beau bijou produit par le journaliste Moustapha Cissé, grand passioné des Tic et des Arts…………….
Voici cette préface redigée par Ibou Dramé Sylla (Philosophe-poète) :
La poésie se vit à sensibilités différentes. Autrement dit, chacun -poète ou lecteur- y va avec ses joies, ses peines, bref avec son monde. Sans une compénétration par la magie du Verbe, les hommes vivraient en juxtaposition. Heureusement pour le genre humain, la poésie est là, non pour nous souder les uns des autres, mais pour se faire passerelle entre les intimités. C’est de là qu’est partie ma rencontre avec Moustapha Cissé, en 2017, lors d’une réunion du Cénacle (Cercle des Jeunes Auteurs du Sénégal). Devenant amis, il me conforte dans ma conviction qui veut que l’amitié soit au-dessus de la parenté. Cette dernière répond à des nécessités biologiques alors que la première est fondée sur du consenti, du voulu et du révéré. Au nom de cette distinction, chacun de nous pourra faire sien ce mot de Montaigne : « parce que c’était lui, parce que c’était moi ». Il faut y croire profondément pour le dire.
Une âme qui se dévoile ne se donne pas toute seule. Elle aide les autres en disant ce qu’elles ne peuvent pas dire. En parcourant ce magnifique recueil, de mon ami, j’ai à plusieurs reprises, murmuré au fond de moi : c’est
exactement ce que je sens. La vie a ses exigences et les hommes sont souvent appelés à les subir sans broncher. Acte rebelle que de prendre sa plume pour vider son cœur. Moustapha Cissé, sans être foncièrement camusien, a décidé de faire un choix entre la résignation et la révolte. En explorant les thèmes aussi divers que variés, notre auteur s’installe dans une posture qui tourne le dos à la quiétude. Mort, amour, sincérité, bonté, courtoisie, sympathie, révolte, dénonciation, douceur, contemplation, analyse, proposition, … sont, entre autres, les pistes qu’il a explorées avec une plume alerte et tranchant. Apparait ainsi la conviction que le poète doit être engagé sur plusieurs fronts sans céder à la fatigue ou vivre dans le compromis avec le diable qui ne ment que pour avoir bonne conscience. Tel est peut-être le plus bel indice que nous offre l’auteur pour pouvoir le suivre dans son cheminement.
Pour Stefan Zweig, la forme la plus pure, la plus élevée, voire la plus sublime de la joie de vivre est incontestablement « la joie du travail créateur ». Le poète ouvre son cœur à la quête du monde. Jamais, il n’oriente son esprit vers quelque chose qui n’eût au préalable l’assentiment de son cœur. D’ailleurs, à l’instar de l’auteur de Le Monde d’hier, Moustapha Cissé a chopé le virus de la littérature ou, pour être plus exact, les choses de l’esprit depuis sa tendre enfance. Voilà qu’il me confesse : Durant mon enfance, je me nourrissais de la littérature auprès d’un homme qui me considère comme son propre fils. Il me racontait des histoires et avait le don d’aiguiser ma curiosité pour la lecture. C’est sous son regard que j’ai commencé à écrire, déjà à l’école élémentaire. Son nom : Amadou Goudiaby. C’est ici le lieu de faire un clin d’œil à ce maître attitré, ce mentor qui sut orienter cette noble âme, bien que jeune, vers le monde des lettres. Sous la modalité d’une dialectique dont la nature a seule le secret, nous voyons se rejouer ici le rapport existant entre Victor Hugo et Chateaubriand.
Pourquoi Ironie du soir ? Le vieux, au soir de sa vie, pourrait ironiser sur le jour qui est à comprendre comme la jeunesse. En effet, chaque soir rappelle l’imminence de la fin. En toute vérité, c’est sûrement se moquer du temps qui passe que d’ironiser sur le soir dès lors qu’on est encore jeune. Cela est une clé de lecture que j’assume. Retenons, en passant, que notre auteur est très bien imprégné des questions métaphysiques pour ne pas échanger avec moi sur la notion du temps avec des éclats de rires autour de tasses de café bien chaud. Il est aussi le pète des odeurs. Dans les poèmes qui suivent, nous avons une véritable invitation à prêter beaucoup d’attention à la senteur des choses et des êtres pour imaginer leurs couleurs fastes ou lugubres.
Dans le double registre de la révolte et de la douceur, Ironie du soir est riche de l’humaine condition qui s’y décline sans paravent honteux et hypocrite d’une fade bienséance. Pour lui, « Le concept est plus louable que la révolution ». Penser d’abord, agir ensuite pourrait être la devise de cet adepte de l’outil informatique qui est devenu, par la force des choses, un informaticien-poète ou poèteinfomaticien. C’est selon.
L’union avec le cosmos est assurée sans fracture aucune. L’abandon dans les mots devient ici une cure qui dépoussière l’esprit qui est en quête du beau et du juste. Avec talent, notre auteur assure une telle prouesse qui le distingue dans cette jeune génération de poètes sénégalais. La plume bien trempée dans l’encrier est celle qui sert notre auteur pour des excursions dans les mots qui conduisent, elles aussi, aux choses. Elle opère une alchimie efficiente et captivante qui rend fidèle le lecteur. Le poète est plus que poète. Il se fait sociologue, historien, guide-touriste, philosophe. En un mot comme en mille, il est le compagnon avisé de tous. Avec Ironie du soir, tout prend vie et aucun mot n’est dans l’arbitraire.
Avec modestie et réalisme, Moustapha Cissé dit : « Je n’ai jamais eu de réponse ». Est-il en réalité à la recherche de réponses ? Je ne le pense pas ! Il soulève des questions et invite son lecteur, ce sacré compagnon, dans le mouvement. À la suite de Karl Jaspers pour qui, en philosophie, les questions sont plus importantes que les réponses, l’auteur d’Ironie du soir peut dire : je préfère les questions et elles me vont bien. Il confesse : « Les gens croient que je suis cynique ». La méditation est un renoncement aux réponses. Sans aboutir sur l’absurde, la vue sur l’infini laisse advenir l’Absolu. Nous sommes dans une société qui « épouse le matériel à la place de l’amour ». Épouser ce par quoi on épouse, c’est revenir à soi, être son propre interlocuteur. Sacré poète !
Si le caractère fondamental de l’honneur est le sentiment de la personnalité et de son indépendance absolue, dans l’amour, au contraire, le degré le plus élevé est l’ouverture, l’acception de l’autre dans ce qu’il est. C’est un don de soi-même à un autre. On renonce à soi sans se renier pour aider autrui à s’accomplir. Le poème ‘‘Viens avec moi’’ l’illustre à la perfection. Selon le philosophe français, Luc Ferry : « le spectacle le plus sublime peut devenir une souffrance si l’on n’a pas la chance d’avoir à ses côtés quelqu’un pour le partager ». Une telle idée l’amène à dévoiler le charme de sa Casamance pour un voyage à venir.
Le poème ‘‘Maman’’ m’a personnellement bouleversé. Cette figure tutélaire assure protection et bénédiction à l’enfant qui fait face à l’hostilité d’un monde de plus en plus féroce et sans âme. L’auteur déclame avec justesse : « Vous pleurez en riant / Vous souffrez quand les enfants souffrent / Vous échangez votre vie pour une vie / Vous êtes lumière et rayons du ciel ». Plus loin, dans un poème intitulé ‘‘Femme’’, Moustapha Cissé décline la mission qu’il assigne à sa plume : « Ma plume est un clairon / Chantant la femme en fleuron / Pour effleurer sa pierre tombale / Dans sa lutte quotidienne et vitale ». Célébrer la femme dans ce qu’elle a de belle et magnifique est une noble tâche qui efface les taches sur la face du monde.
Dans ‘‘Jambars’’, nous voyons défiler des visages connus, rencontrés ou côtoyés dans la misère. Le paysan, le marchand ambulant, le prisonnier, l’enfant de la rue, … sont ces voix qu’une société orgueilleuse de son image carrée vue de l’extérieur étouffe en chantant faux. Le comble de la bêtise, au moment où votre serviteur signe ces lignes, le ministre de la justice est en train de s’enorgueillir du bon cadre de vie dans la prison de Rebeuss. Ce que les faits démentent : deux jeunes prisonniers venaient d’y perdre la vie dans des conditions atroces. Ces indigne et révoltant. Hélas que certains de nos politiciens ont scellé un pacte avec le diable.
La délicatesse de la mission de l’artiste se mesure à l’aune du sacrifice consenti par ce dernier dans l’affinement de son style et l’éclosion de son talent. Être artiste, c’est porter le lourd fardeau d’un monde qui exige plus qu’il ne concède. La création artistique est de l’ordre du dévouement sacré. Sous cet angle, il serait judicieux de risquer ceci : l’enthousiasme qui enflamme est plus pur que la passion qui brûle.
Penseur de l’humaine condition, Moustapha Cissé ouvre son cœur pour recevoir tous les cris du monde pour nous les faire parvenir, ensuite, avec des mots et des sonorités qui touchent l’âme. Au demeurant, Ironie du soir est à compter, sans nul doute, dans la catégorie de ces œuvres qui transcendent les barrières spatio-temporelles pour devenir le bien de tous, car parlant à chacun dans ce qu’il a d’universel.
Ibou Dramé SYLLA
Philosophe-poète Dakar, le 31 août 2019