Et de trois, serions-nous tentés de dire. En effet, le mercredi 27 novembre 2024, le Président de la République, Son Excellence Bassirou Diomaye Diakhar FAYE a encore évoqué la question du handicap pour la troisième fois en réunion du Conseil des ministres, en l’espace de huit mois. Le chef de l’Etat a rappelé, en perspective de la célébration, le 03 décembre, de la Journée internationale des personnes handicapées, sa directive lors du conseil des ministres du 09 octobre 2024, relative à l’évaluation de l’application de la Loi d’Orientation sociale n° 2010-15 du 06 juillet 2010 relative la promotion et la protection des droits des personnes handicapées. Il avait demandé au gouvernement de procéder à l’évaluation notamment du système des cartes d’égalité des chances en vue de l’élaboration d’une nouvelle stratégie nationale d’accompagnement des personnes vivant avec un handicap. Dans un communiqué précédent du conseil des ministres, le gouvernement avait également fortement insisté sur la place primordiale accordée à l’inclusion des personnes handicapées dans le PROJET de transformation systémique du Sénégal.
Certes, cet intérêt renouvelé des nouvelles autorités à la question du handicap qui transparait régulièrement dans le communiqué du conseil des ministres, est à saluer. De même, nous adressons nos vives félicitations aux honorables députés Awa SACK et Amadou Lamine DIOUF et au PASTEF qui les a investis dans ses listes. Une première au Sénégal. Nous ne doutons point qu’ils porteront nos revendications au sein de l’hémicycle. Toutefois, les personnes handicapées attendent avec impatience un premier acte posé par l’exécutif dans ce sens. Un acte concrétisera cette ambition manifeste du gouvernement de faire du handicap, un critère qualité pour le développement. En effet, comme je le disais dans mon dernier article, « la mise en œuvre des politiques sociales notamment celles relatives à l’inclusion des personnes handicapées relève plus de la volonté politique que de problèmes de conception ou encore d’expertise qui aujourd’hui sont tous résolus (…) tous les instruments juridiques (…) et toutes les informations nécessaires pour la prise en charge du handicap dans toutes les politiques sont aujourd’hui disponibles ».
S’agissant de l’évaluation de l’application de la Loi d’Orientation sociale (LOS), nous pensons qu’elle n’est pas difficile à faire et ne nécessite aucune étude qui ferait encore perdre beaucoup de temps. Car, à ce jour, sur les quinze (15) textes réglementaires prévus par la LOS, deux (02) seulement ont été pris. Il s’agit notamment du décret 2012-1038 du 2 octobre 2012 relatif aux commissions techniques chargées d’instruire les demandes de carte d’égalité des chances et de la promotion de l’éducation spéciale, et du décret relatif à la mise en œuvre du Programme national de Réadaptation à Base communautaire (PNRBC). Pour ce qui concerne particulièrement la carte d’égalité des chances, tous les chiffres sont disponibles. Nous savons qu’il existe environ 98 000 détenteurs dont près de 62 000 bénéficiaires de la bourse de sécurité familiale, parmi lesquels à peu près 25 000 ont adhéré à la couverture maladie universelle. Cette proportion rapportée à l’effectif total des personnes handicapées, évalué à environ 1 200 000 personnes soit 7,3 % de la population générale (RGPH-5, 2023), donne un pourcentage très faible de personnes impactées par les avantages de la carte d’égalité des chances.
En outre, le Chef de l’Etat a demandé au gouvernement de faciliter les recrutements et les nominations des personnes vivant avec un handicap dans les secteurs publics et parapublics. A ce niveau, nous voudrions juste rappeler à Son Excellence qu’il existe dans l’organigramme de la Présidence de la République, un poste de Conseiller spécial chargé des questions du handicap qui, à sa création sous Abdoulaye WADE, était réservé au Président de la Fédération sénégalaise des Associations de Personnes handicapées (FSAPH). A notre connaissance, ce poste est encore vacant depuis le départ de Madame Aïssatou CISSE.
Pour ce qui est de la promotion des personnes handicapées à des postes de responsabilité, nous avons l’impression que notre pays est très en retard par rapport à beaucoup d’autres dans le monde. Restons seulement en Afrique, en prenant l’exemple de pays comme la Côte d’Ivoire où une personne handicapée siégeait déjà dans le gouvernement du Président Laurent GBAGBO ; ou encore la République démocratique du Congo où il existe actuellement un Ministère en charge des Personnes Vivant avec Handicap et Autres Personnes Vulnérables. Au Sénégal, sur les six-cent et quelques directions nationales et agences de l’administration répertoriées en 2019, dans le cadre de l’élaboration du Programme d’Appui à la Modernisation de l’Administration (PAMA), presque aucune n’est dirigée par une personne handicapées ; si non très peu.
Pour corriger cette discrimination, il suffit juste de signer les projets de décret existants, notamment celui devant mettre en place la Haute Autorité chargée de la promotion et de la protection des droits des personnes handicapées. Cette structure sera mieux habilitée pour coordonner l’élaboration de la nouvelle stratégie nationale d’accompagnement des personnes vivant avec un handicap, demandée par le Chef de l’Etat. Elle pourra également mettre en place un mécanisme de détection et de promotion de personnes handicapées aux compétences et profils pointus, qui existent aujourd’hui dans presque tous les secteurs d’activité, notamment dans l’administration.
Par ailleurs, dans ce contexte d’adoption d’un nouveau référentiel des politiques publiques (la Vision Sénégal 20250), il urge de prendre les mesures idoines en vue d’assurer la prise en compte du handicap dans la déclinaison sectorielle de l’Agenda national de Transformation systémique à travers les Lettres de Politique sectorielles de Développement (LPSD). Pour ce faire, il faudra procéder rapidement à la désignation des points focaux chargés du handicap dans tous les ministères à l’image des cellules genre, comme cela a été proposé par la FSAPH depuis fort longtemps. Ces derniers seront les bras techniques de la Haute Autorité au sein des ministères pour veiller à la prise en charge du handicap dans les nouvelles LPSD et assurer le suivi des actions préconisées dans le cadre des budgets programmes. Dans cette perspective, le gouvernement devra inscrire rapidement dans le projet de Loi de Finances initiale (LFI) 2025, qui sera soumise à l’appréciation des députés de la XVe Législature, un budget dédié à l’inclusion comme c’est le cas actuellement pour le genre.
Ce sont là, quelques mesures d’urgence qui pourraient faire bouger les lignes, et permettre aux personnes handicapées de garder espoir.
Kabir AÏDARA
Coordonnateur technique du Service national de
l’Education et de l’Information sanitaire et sociale