Pour ce nouveau numéro, nous avons demandé au Docteur Hugo H. Bohongwe interne en psychiatrie au Centre hospitalier national universitaire de Fann, de nous parler de “La stigmatisation des femmes en couple face aux difficultés de conception au Sénégal : perceptions, impacts et enjeux socio-culturels”, après lui avoir montré une vidéo de sensibilisation largement diffusée sur les réseaux sociaux.
Si dans toutes les cultures du monde, donner la vie est l’acte le plus important pour la perpétuité de la race humaine, en Afrique, la fécondité est un signe de bénédiction, un merveilleux évènement souvent entouré de rituels. La naissance d’un enfant dans une famille africaine est toujours saluée avec joie et reconnaissance envers Dieu et/ou envers les divinités tutélaires de la famille.
Dans l’Afrique profonde, l’on ne se marie pas uniquement pour partager les joies et les peines de son conjoint mais surtout pour avoir des enfants. De ce fait, la procréation est considérée comme l’objectif premier du mariage, son socle. Vous demandez à un africain pourquoi veux-tu te marier, il vous répondra tout de suite : « Parce que je veux fonder une famille, avoir des enfants. » La réussite d’un homme est donc d’avoir une femme qui lui donne beaucoup d’enfants et les femmes, elles évoquent une foule de raisons dont le plaisir d’être enceinte, le désir de maternage, l’envie de fonder une famille
Alors que se passe-t-il lorsqu’après deux à trois années de mariage, un couple n’arrive toujours pas à avoir des enfants ? On se trouve dans une situation d’infertilité du couple,
Qu’est-ce que l’infertilité ?
On parle d’infertilité lorsqu’un couple essaie d’avoir un bébé mais ne parvient pas à concevoir dans un délai d’un an malgré des relations sexuelles régulières non protégées. La probabilité de survenue d’une grossesse au cours d’un mois ou d’un cycle menstruel, chez un couple n’utilisant pas de contraception, est de l’ordre de 20 à 25%. Environ 30 % de tous les cas d’infertilité sont liés à la femme, 30 % supplémentaires sont liés aux hommes et de 30 à 40 % peuvent être liés aux deux partenaires ou demeurent inexpliqués.
Qu’est-ce qui peut causer une infertilité chez une femme ?
1. Problèmes hormonaux : Anovulation, ovaires polykystiques, Phase lutéale courte, Ménopause précoce
2. Problèmes au niveau des trompes de Fallope et de l’utérus Les trompes de Fallope acheminent l’ovule de l’ovaire à l’utérus. Une obstruction dans les trompes de Fallope peut entraver la progression des spermatozoïdes vers l’ovule ; une grosseur dans l’utérus peut empêcher l’implantation de l’ovule fécondé : une infection à chlamydia, Les fibromes, l’endométriose
Qu’est-ce qui peut affecter la fertilité chez un homme ? Faible numération de spermatozoïdes ou mauvaise qualité du sperme, Dysfonction érectile, Autres causes : Les autres causes d’infertilité masculine (moins courantes toutefois) regroupent une occlusion du canal acheminant les spermatozoïdes depuis les testicules, des maladies génétiques, un trouble hormonal ou d’autres pathologies encore plus rares.
La présence ou pas de ces troubles peut engendrer de nombreuses difficultés sur le plan psychologique et social qui à leur tour peuvent aggraver le problème d’infertilité, une situation qui est souvent le début d’un calvaire pour la femme
Quel est l’impact psychologique ?
Quand l’enfant vient à manquer dans un couple, la femme est celle-là qui est tenue pour responsable de la stérilité de ce couple par son mari, sa belle-famille et son entourage.
Ainsi les questions et remarques qui parraissent anodines deviennent le quotidien des femmes mariées et sont sources de souffrance profonde : « Loy xaar ? (qu’attends-tu ?), xaana meuno am dom ? (Es-tu stérile ?), doom moy seuy (le mariage c’est la procréation), so beuguei mom sa dieukeur dangakay dioureul (si tu veux garder ton homme tu dois enfanter) so amoul dom niou outal la woudiou (sans enfant tu auras une coépouse) etc. »
Lorsque ces situations se présentent, la belle-famille qui parfois au début de l’union était clémente envers sa bru devient son ennemie jurée, sa principale antagoniste. En plus de la malmener, cette belle-famille fait main et pied pour séparer le couple et trouver une autre femme à leur fils qui pourra lui faire des enfants. Ce conflit va jusqu’à créer une tension entre le fils et sa famille si ce dernier venait à s’opposer à divorcer de sa femme. Mais l’africain étant naturellement très attaché à sa famille génitrice finit par plier à la demande de ses parents et se prendre une autre femme. Quelques rares fois, acculée par sa belle-famille, la femme préfère se retirer du ménage pour ne pas être la cause de la désunion entre son mari et sa belle-famille.
Voilà comment la belle-famille qui est censée être « belle », finit par devenir le pire cauchemar de l’épouse.
En somme, la perception de la femme dans la société ne se résume par conséquent qu’à deux rôles : mère et épouse. L’on considère le mariage comme une union dans laquelle la femme doit offrir une progéniture, un héritier à son mari. Le mariage en Afrique rime donc toujours avec enfants sans quoi, l’union n’a pas de sens. Si bien qu’une femme sans enfant vit très mal sa vie de couple dans la mesure où tout le monde s’interroge sur la durée de son mariage. Elle vit ce que nous qualifierons de « drame sociétale ». Le regard de l’autre, les pressions internes venant du mari, de la belle-famille et de son entourage finissent par la faire sombrer.
La conception du mariage selon laquelle l’on se marie en premier pour fonder une famille, avoir des enfants est à la base de toutes ces dérives que subissent les femmes en cas d’infertilité. Certes, avoir une progéniture est important pour l’épanouissement d’un couple mais le facteur le plus important, est qu’on se marie d’abord et avant tout parce qu’on aime une personne, qu’on apprécie sa compagnie et qu’on désire partager sa vie avec elle. L’unité de vie, la soif de la présence de l’autre, le partage des joies et des peines : Telles sont les motivations premières du mariage qui vont au-delà de la recherche de progéniture. On ne se marie pas pour avoir des enfants, on se marie parce qu’on veut former une unité de vie avec l’autre.
Ces répercussions émotionnelles et psychologiques peuvent toucher à la fois l’estime de soi les relations interpersonnelles, et la perception de sa place dans le monde en général et dans la société africaine (sénégalaise) en particulier. les 9 principaux impacts liés à l’infertilité et la stérilité sont : Sentiment de perte, Isolement et pression sociale, Tensions dans le couple, Altération de l’image de soi, Anxiété et dépression, Obsession de la fertilité, La remise en question de la sexualité, Sentiment d’injustice et le Questionnement sur le sens de la vie
Infertilité : l’importance du soutien psychologique
Une étude menée sur 400 femmes de moins de 40 ans, durant 8 mois par le chercheur Akhter S. et son équipe de l’université de Louisville aux États-Unis, met en évidence une réduction de 40 % des chances de conception due à l’impact négatif du stress sur la fertilité.
Les couples confrontés à l’infertilité peuvent envisager la procréation médicalement assistée (PMA) par insémination artificielle, fécondation in vitro (FIV) ou le don de gamètes. Ce parcours médical représente souvent un chemin semé d’embûches tant physiquement que mentalement.
Se faire accompagner par un psychologue ou un psychiatre et particulièrement spécialisé en infertilité et périnatalité peut offrir un soutien essentiel pour gérer les émotions, réduire le stress, fortifier la relation de couple et sauvegarder le désir d’avoir un enfant. Ce spécialiste en infertilité offre un espace d’écoute et d’accompagnement adapté à vos besoins spécifiques.
Il peut vous aider à :
-Exprimez vos émotions et vos ressentis et comprendre ceux du conjoint
-Gérer le stress, l’anxiété ou d’éventuels sentiments de culpabilité et d’isolement.
-Renforcez votre estime de soi et la confiance dans votre projet parental.
-Maintenir la dynamique de votre relation de couple pendant cette période éprouvante.
-Aider dans les choix et les décisions liées à votre parcours de PMA.
-Préparer psychologiquement les différentes étapes du processus de PMA.
-Accompagner la période de grossesse, de post-partum (après l’accouchement) et les premiers moments avec l’enfant.
En conclusion nous citerons Sylvia Apata, juriste et militante des droits humains qui a dit :
« Oui, être Femme, c’est avoir la capacité de procréer. Tout comme être Femme, c’est également vivre librement sa vie sans avoir à être confinée à des rôles bien précis en raison de son sexe. »
« Un enfant ne te confère pas la qualité de Femme parce que Femme, tu l’es déjà sans nécessairement avoir procréé »
« Parce que Femme, ton existence ne peut en aucun cas se réduire à l’enfantement ; »
« Parce que Femme, tu l’es et le restera en dehors de toutes autres considérations culturelles, ethniques ou religieuses. »
Note de sensibilisation :
A travers son message poignant largement diffusé sur les réseaux sociaux, Mme Fatel SOW nous rappelle une vérité essentielle « non à la stigmatisation des femmes ! l’enfant, c’est Dieu qui le donne ».
Il est primordial de soutenir ces femmes plutôt que de les accabler, ayez une attitude bienveillante, arrêtez les questions et remarques blessantes et le plus important : « cessez de réduire la valeur de la femme à la fertilité ».
Docteur Hugo H. Bohongwe
Docteur Babacar FALL