Parler de la lutte sénégalaise, c’est évoquer des noms. C’est faire référence à un passé à la fois proche et lointain. C’est réveiller des souvenirs attachants qui sont le fait de champions dont les exploits peuplent nos mémoires.
Pour la circonstance, nous parlons de Yakhiya Diop Yékini, cet athlète racé, élégant, solide comme un roc et souple comme les lianes épanouies de sa contrée natale. Quand il lutte, il ressemble à un fleuve en furie, plus dévastateur qu’un ouragan, plus venimeux que les cobras d’Inde et plus réfléchi que les sages de nos villages. Que c’est beau de voir ce colosse d’Olympe pénétrer dans une arène le jour d’un combat. Dès les premières notes du tam-tam, il se métamorphose, excité par les battements provocateurs de l’orchestre rythmique qui l’invite à la danse. Par ses gesticulations parfois proches de l’extravagance, il se met au diapason des rythmes que seuls entendent ceux qui savent comprendre. Tout à coup, il commence à exécuter des pas de danse inimitables, tourne au tour de lui-même, avant de lever les mains au ciel en signe de salutations à ses supporters frappés d’émotion.
Il sait tellement bien lutter que tous les adversaires en face de lui ont frissonné d’angoisse avant de mordre la poussière. Personnage à la fois mythique et mystique, il a réussi à régner pendant plus d’une décennie sans connaître de défaite. L’une de ses plus grandes particularités, réside dans sa science de préparer ses combats. Il ne néglige aucun détail au point de ressembler à un maniaque. Durant son règne dans l’arène, il a terrassé de la plus belle des manières, tous les ténors qui osaient l’affronter.
Son retrait des arènes a causé l’émoi chez les amateurs, surtout dans l’écurie sérère qui ne lui a pas encore trouvé de successeur. Yékini est un sportif de très haut niveau par son sérieux, par sa conscience professionnelle, par sa force herculéenne et par son amour effréné de ce sport traditionnel qu’il maîtrise parfaitement. Il était tellement conscient de ses immenses possibilités dans ce domaine, qu’à chaque fois qu’il venait dans l’arène, son leitmotiv était de remporter, quoi qu’il arrive, la victoire. Toutes ses prédications se passaient ainsi jusqu’au soir du 24 juillet 2016, il baissa l’échine devant Lac de Guier, le teigneux lutteur de l’écurie Walo, après un premier revers face à Balla gaye 2. Ces deux mémorables défaites signèrent le déclin du grand champion, obligé de signer pour de bon, sa retraite. Mais tout compte fait, il a à son actif un bilan élogieux qui fait de lui le Dieu des arènes.
Depuis sa retraite, aucun lutteur sérère n’a encore émergé du lot pour oser prendre la place de l’immortel Yakhiya Diop Yékini. Son nom restera gravé dans toutes les mémoires pour avoir marqué de sa très forte personnalité, les arènes sénégalaises. Quand il sera très vieux en marchant avec un bâton, les enfants des écoles qui le croiseront sur leur chemin, seront honorés de le montrer du doigt, avec sur les lèvres, ces mots d’adoration : « quel merveilleux champion fut ce lutteur sérère ».
Majib Sène