Il est né en 1845 à Kouniakary en république du Mali. Kouniakary est une ville sainte grâce à son privilège d’abriter le mémorable « tata » de Cheikhou Oumar Foutiyou Tall, Codou Adama Aïsse, Éliminé ciré Demba Ali Moctar. C’est de cette ville, baignée de lumière et des subtiles parfums des mimosas, que le « foutanké » s’est plus révélé au monde par son ésotérisme et la délicatesse de son personnage mystique. Nulle part en Afrique, on n’avait encore vu, à l’époque, un homme d’une envergure aussi éclatante, aussi rayonnante et aussi mystique que celui là.
En quittant Halwar, sa terre de naissance dans le département de Podor, au Sénégal, Cheikhou Oumar entreprit une longue pérégrination dans les territoires de l’AOF, poursuivant son œuvre d’islamisation qui connut plus de succès que d’échecs. Entré au Soudan, actuelle République du Mali, il choisit d’installer ses bases à Kouniakary, lieu également choisi par le général Faidherbe pour y ériger sa forteresse. Thierno Amadou Ba, jeune adolescent à l’époque et tant d’autres de sa génération, participa à l’édification du gigantesque Tata du Lamde Dioulbe. Il compta parmi les fidèles du prédicateur, en participant à la guerre sainte dirigée par Cheikhou Oumar. De déplacement en déplacement, la troupe finit par s’installer à Bandiagara, avec ses immenses falaises chargées d’histoire. Ce fut un jour de vendredi, précisément le 12 février 1864, après la prière de vendredi, qu’il disparut mystérieusement dans les falaises de Bandiagara, non sans avoir donné la Salatoul Fatihi à tous ses fidèles présents dans les lieux.
Cette disparition mystérieuse jeta l’émoi chez les fidèles et petit à petit, le groupe s’effilocha, et bon nombre d’entre eux regagnèrent leur terroir d’appartenance. En 1866, Thierno Amadou Ba, mon grand-père maternel, se rendit au Sénégal où se trouvait sa tante Aïssatou Amadou y établie pour les besoins de son commerce. Arrivé à saint Louis, on l’informa que sa tante avait établi son commerce à Ndande, en plein cœur du Cayor.
Les retrouvailles furent pathétiques entre le fils et la tante d’autant que cette dernière n’avait pas eu la chance de procréer. Elle prît donc la décision de garder le jeune Thierno à ses côtés surtout qu’elle avait pris bien avant, la décision de vivre définitivement à Ndande. À la mort de sa tante, Thierno amadou devenu adulte, se maria et eut une fratrie composée de neuf bouts de bois de Dieu, dont l’aînée ma mère Aïssatou Amadou, mes oncles et tantes, Alassane, Mamadou, Babacar, Ibrahima, Serigne Ndioba, Thierno, Khady, Ndèye Adji et Awa. Grand serviteur de Dieu, il menait une vie religieuse bien remplie à l’image des soufis. Il jeunait quatre mois dans l’année et pour toute nourriture, il se contentait de bouillie avec du jus de tamarin non sucré. Il s’habillait toujours en blanc de la tête aux pieds. Un jour, ma curiosité d’enfant m’amena à lui demander pourquoi il n’effectuait pas le pèlerinage à la Mecque. Il se redressa et me dit ceci, grâce à Dieu et la bénédiction du Prophète Mouhammad PSL, tous les grands matins, quelque chose me transporte jusqu’à la Mecque où j’effectue la prière du matin pendant que tout le monde dort. Étonné, je lui rétorquais que je ne le croyais pas, car tous les jours je le voyais dans sa case. Il me répondit que j’étais trop jeune pour comprendre. C’est bien plus tard que j’ai compris qu’il me parlait de « Baatine », c’est-à-dire ce que les yeux ne voient pas.
Comme ressources, il n’avait que son Coran, son chapelet et son champ. Les biens de ce monde ne l’avaient jamais préoccupé, alors qu’il pouvait en disposer à satiété. La nuit, il ne dormait jamais plus de deux heures et tout le reste du temps, il alternait prières, lecture du saint Coran et Zikr, assis sur son tapis de prières en peau de mouton. Il était de teint clair avec une petite taille et une corpulence plutôt maigrichonne. Le vendredi, après sa toilette rituelle, tout de blanc vêtu, son visage scintillait sous le soleil d’été. Il était d’une générosité débordante tant il est vrai qu’il pouvait entièrement se dépouiller pour venir en aide à son semblable sans complainte, ni lamentation. Il nous a laissé le souvenir d’un homme d’une exceptionnelle religiosité, dont l’unique préoccupation était de se rapprocher de Dieu et du Prophète Mouhammad PSL.
Malgré son grand âge, il était fréquent à la mosquée faisant usage de ses pieds. C’est l’une des faveurs qu’Allah SWT lui avait prodiguée. Il ne cessait jamais de chanter la Gloire de son Créateur, Maitre Absolu du visible et de l’invisible. Je me souviendrai toujours de cette nuit d’hivernage, avec un vent insoutenable qui avait provoqué un incendie dans le village. Nos cases en paille, à tout instant, pouvaient être la proie des flammes. Avec son chapelet, il priait intensément en faisant le tour de la maison. Pris de peur, je lui criais que le feu allait dévorer nos casés. Il se retourna en me disant avec assurance que le feu aurait « honte » de brûler sa maison. Il disait vrai car les maisons voisines avaient toutes été brûlées exceptée la nôtre.
Après une vie entièrement consacrée à l’islam, il rendit l’âme en 1966 à l’âge de 121 ans et fût enterré à Ndande, le treizième jour d’un mois de Ramadan. Plaise à Dieu qu’il vive dans les splendides jardins du paradis.
Majib Sène