Les français poursuivaient leur mission de pénétration dans le Cayor en proie à des troubles et batailles entre les différents suzerains qui voulaient exercer leur hégémonie partout dans ce territoire.
Dans plusieurs coins du Cayor réputé pour sa culture de l’arachide, les français avaient établi des comptoirs tels que Chavanel, Soucail, Peyrissac, Maurel et Prom, Vezia Salliere et tant d’autres noms très connus dans le pays. Ces comptoirs étaient confiés à des sénégalais dont la droiture, l’intégrité et le sérieux étaient leurs seules garanties pour être à la tête de ces commerces. Thierno Amadou pouvait créer sa propre confrérie mais il s’était gardé de le faire, se contentant de vivre dans l’anonymat absolu. Pourtant, nombreux étaient ceux qui venaient solliciter ses prières et chaque fois il leur répondait de tendre les mains vers Dieu, le Seul capable de satisfaire les demandes. Mais cette injonction n’empêchait pas les gens de revenir, car les prières avec le saint étaient toujours agréés. On vivait comme de véritables dépourvus de biens matériels contrairement aux commerçants et fonctionnaires du village qui étaient dans une relative opulence. À ma question pourquoi y avait-il cette criarde différence de niveau de vie entre lui et ceux qui venaient solliciter ses prières, il me répondit que s’il le voulait, il serait l’homme le plus riche du pays parce que mystiquement, il détenait ce pouvoir. Seulement, il avait demandé à Allah SWT de vivre dans le dénuement sur terre préférant recevoir ses récompenses dans l’au-delà. Il n’avait jamais dérogé à cette règle et à cette norme de vie qui ne l’avait jamais dérangé. Un jour, dans son champ, alors qu’il faisait son zikr sous un manguier, il assista à un combat entre un rat et un serpent. Le rat très fatigué, vint se réfugier auprès de Thierno Amadou. Le serpent qui poursuivait ce qui allait être sa proie, s’arrêta à seulement un mètre du saint homme qui lui enjoignit de rebrousser chemin parce que le rat était sous bonne garde. Sans hésiter, le serpent retourna sur ses traces sûrement la mort dans l’âme.
Thierno amadou Ba était un exemple de vertu, d’humilité et de courtoisie rarement égalées. Sa constance dans la pratique religieuse était le sujet de conversation le plus prisé dans tous les foyers.
Sa générosité était au dessus de tout ce que l’on pouvait imaginer car, s’il n’avait qu’un seul repas, il était capable de priver la famille au profit du premier mendiant qui se présentait. Ce cas de privation, nous l’avons vécu plusieurs fois avec lui et nous nous en étions tellement habitués que finalement on avait cessé de nous plaindre. Tous ses vêtements, il les cousait à la main avec une habileté dans la broderie. Il gagnait de temps en temps un peu d’argent en faisant de la broderie manuelle sur les grands boubous de quelques notables du village. Il n’avait jamais tendu la main à qui que ce soit pour garder sans écorchure, son honneur et sa dignité.
En 1966, au treizième jour du mois de ramadan, au crépuscule, ses yeux se refermaient en même temps que l’ardent soleil se couchait dans son foyer habituel. Le lendemain jour de ses funérailles, un énorme brouillard enveloppa l’espace alors que nous étions en plein été. Il avait 121 ans.
Majib Sène