Au Sénégal, s’il y a à la fois un acteur politique et sportif qui impressionne par son activisme débordant et déroutant, c’est bien le saint-louisien Mawade Wade, affectueusement appelé « Ma ». Homme de fortes convictions révolutionnaires, il n’a jamais reculé devant l’adversité, qu’importent les conséquences qui en découlent. Formé à la prestigieuse école normale William Ponty, d’où sont sortis les premiers dirigeants de l’Afrique Occidentale Française dès l’indépendance, Mawade avait le don des tribuns de l’époque plébéienne et n’hésitait pas à en user dans les cercles politiques et sportifs. Son langage savoureux, tonitruant et même liberticide selon ses humeurs, faisait qu’il était aimé de beaucoup mais également haï par d’autres qui ne pouvaient supporter ses frasques.
Membre fondateur du « Réveil Club » de Saint-Louis, il devint pendant plusieurs années, l’entraîneur de cette prestigieuse équipe de football, dont la plupart des dirigeants furent des intellectuels très remarqués dans les cercles où se discutaient les questions relatives à l’indépendance du Sénégal. Mais en définitive, toute la vie de Ma fut confisquée par le football dont il maîtrisait tous les aspects. C’est ainsi qu’il devint l’un des plus grands théoriciens de la défense en ligne, seule capable de mettre en relief l’intelligence du pratiquant dans ce jeu merveilleux qui révèle l’homme à l’homme. Directeur technique, puis entraîneur de l’équipe nationale du Sénégal, il s’illustra par ses prises de position sur toutes les questions relatives au devenir du football africain, parce que disait il : « le football c’est ma vie ».
L’histoire retiendra qu’il fut sélectionneur de l’équipe africaine qui avait battu l’équipe formée par le reste du monde à Londres. Membre du comité exécutif de la Confédération Africaine de Football, il fut à la base de l’élection à la tête de l’organisme continental du camerounais Issa Hayatou en 1988 au Maroc. Il fut également l’artisan majeur, à cette occasion, de la désignation du Sénégal pour abriter la Coupe d’Afrique des Nations en 1992. Je puis en témoigner pour avoir été de la délégation conduite par le ministre de la jeunesse et des sports, Landing Sané. On n’oubliera pas non plus son bras de fer avec le ministre des sports François Bob, qui avait refusé de nommer Mawade à la tête de l’équipe nationale pour, disait il, des questions d’éthique et de moralité. Au cours d’une rencontre avec ce dernier, Mawade menaçait de prendre la nationalité guinéenne, mais la menace laissa de marbre l’enfant de Fadhiout qui lui promit de payer son titre de voyage avec beaucoup d’humour. Les anecdotes sur la vie de cet homme sont nombreuses, diverses et variées, tant il est vrai qu’il a marqué son époque avec des hauts et des bas. Toutefois, personne ne peut douter de son patriotisme pur et dynamique qu’il portait en bandoulière. Il était d’une générosité qui s’exerçait dans tous les domaines et avait un cœur suffisamment large pour couver tous ses semblables.
En politique, Mawade s’illustrait toujours comme un homme de gauche qui n’avait aucune sympathie pour l’impérialisme et le colonialisme. Il avait une manière particulière de caricaturer ces systèmes politiques en les vouant sans ménagement aucun, aux gémonies. Quand il se trouvait au milieu des siens, c’est un autre Mawade que l’on découvrait, jovial, farceur et friand d’anecdotes. Il était tellement généreux qu’il partageait le peu qu’il avait avec tous ceux que le hasard mettait sur sa route. Le stade omnisports qui porte son nom à Saint-Louis, sa ville natale, va l’immortaliser à jamais, car cet homme fut un exemple d’engagement patriotique ayant légué sa vie à son pays et à son continent préféré, l’Afrique. Les générations d’aujourd’hui ont beaucoup à apprendre de lui en tant qu’incarnation vivante d’un patriotisme sans partage. Il nous a quitté en 2004 après une longue maladie qui eut finalement raison d’un combattant de toutes les causes qui honorent l’humanité.
Dix-huit ans après sa mort, le Sénégal étrenne sa première coupe d’Afrique, après un parcours digne des paladins. Il aurait bien aimé être là aujourd’hui pour fêter avec le peuple sénégalais ce trophée pour la conquête duquel il avait tant contribué. En de pareilles circonstances, il est inadmissible de passer sous silence l’apport de cet homme au grand cœur pour qui rien au monde ne comptent plus que le Sénégal et le football.
Repose en paix cher Ma.
Majib Sène