Quand le Président Senghor, dans les années 70, nomma Joseph Mathiam à la tête du département de la jeunesse et des sports, tout le monde s’interrogea sur cet illustre inconnu du mouvement sportif sénégalais. C’est parce qu’au paravent, l’homme s’activait beaucoup plus dans les cercles intellectuels tels que club nation et développement, et centre culturel africain, dirigé par le docteur Doudou Guèye. Joseph Mathiam, en plus d’être un brillant économiste, est un littéraire de très grande envergure qui a failli être un abbé ; mais son esprit révolutionnaire s’éloigna des églises et cathédrales au point que le Président Senghor l’appelait souvent « le catholique de gauche ».
Très proche des idées du suédois Olaf Palme, social-démocrate et ancien Premier Ministre de Suède, il finit par l’adopter dans le prestigieux cercle de ses maîtres à penser. M’ayant nommé attaché de presse dans son département, j’ai appris à le connaître, mais surtout à l’aimer en raison de sa modestie, de sa vaste culture, de son intelligence et de son art d’écrire les grands discours, dont plusieurs pour le Président Senghor. En un temps record, il avait lu et assimilé tout ce que les techniciens avaient écrit sur le sport sénégalais.
Ce n’est donc point hasard s’il a été l’initiateur des États Généraux de Blaise Diagne sur le football, coorganisateur des États Généraux sur l’Éducation, et à la base de la relance du Conseil National de la Jeunesse. On a tendance à oublier que c’est sous son magistère, que furent créés au CNEPS de Thiès, les Collèges d’Études pour les élèves sélectionnés dans différentes équipes nationales avec internat. Il en est de même pour l’INSEPS, situé au Stade Iba Mar Diop, dont il avait jeté les bases fondatrices. La rénovation du Stade Iba Mar Diop, la construction du Stade Élimanel Fall de Diourbel et la mise sur pied de l’Organisation des Semaines Nationales de la Jeunesse et de la Culture, avec le thème central « Enracinement et ouverture », sont là, quelques-unes des réalisations de ce sacré monstre du savoir. L’histoire retiendra qu’il fut des plus grands défenseurs des Jeux Olympiques de Montréal en 1976, face au boycott de certains états. La demande de boycott soutenue par beaucoup de pays, avait pour but d’empêcher l’Afrique du Sud, sous le régime de l’apartheid, de participer à ces jeux parce que, en Rugby, elle avait joué un match amical avec la Nouvelle Zélande, elle-même pratiquant la discrimination raciale. Il faut signaler aussi que le Rugby n’est pas une discipline olympique. Pour mémoire, le Rugby à 15 a été admis comme discipline olympique jusqu’en 1924, année à laquelle il a été rayé de la liste des compétitions. Beaucoup de pays africains qui étaient déjà sur place, plièrent bagages alors que les jeux venaient à peine de commencer. Seuls à l’époque, le Sénégal et la Côte d’Ivoire avaient trouvé que les raisons du boycott n’étaient pas sportives, mais purement politiques. Devant la presse internationale, le Ministre Joseph Mathiam, avec un remarquable brio, avait défendu la position Sénégalaise qui convainquit bon nombre d’états, les amenant à reconsidérer leurs positions. Au niveau des compétitions africaines, le Sénégal décrocha plusieurs titres africains, en Basket masculin et féminin, en Judo et Karaté, sans compter l’Athlétisme. Au terme d’un Conseil National de la Jeunesse qui s’était tenu à Louga, il déclara urbi et orbi, en tirant les conclusions, que nous avions la responsabilité de tout faire pour éviter que la jeunesse Sénégalaise ressemble au fleuve Sénégal qui est le fleuve le plus étudié au monde mais sans doute, le moins rentable, faute d’actions concrètes. À l’époque, il fallait un ministre comme Joseph Mathiam, pour oser tenir un tel langage.
Pour tout dire, il fut un bon Ministre de la Jeunesse et des Sports, dont l’intelligence avait permis de mener la barque à bon port, même si au départ, on le considérait dans le milieu sportif, comme un néophyte. En 1978 , à la faveur d’un remaniement ministériel, il fut remplacé au poste par un autre géant nommé François Bob que d’aucuns considèrent, à tort ou à raison, comme le meilleur ministre des sports du Sénégal de tous les temps. Nommé ambassadeur en Suède, chez l’un de ses maîtres à penser Olaf Palme, il rentra quelques temps après au bercail pour occuper le poste de Ministre de la Culture. Nous commettrions un crime de lèse-majesté en oubliant que c’est grâce à lui, que le Sénégal a eu sa Charte Fondamentale du Sport. Du projet idée, au projet lui-même, il eut à y travailler d’arrache-pied, avant de laisser sa mise en forme à son successeur feu François Bob. Le nom de Joseph Mathiam restera gravé dans les annales, car rares sont les ministres de sport du Sénégal qui ont fait mieux et autant que lui. Bonne année monsieur le Ministre.
Majib Sène