Quand je le découvrais pour la première fois, il n’avait pas encore vingt ans. C’était au Stade Iba Mar Diop, au cour d’une séance de lutte ; la foule des grands jours était au rendez-vous, rivalisant d’enthousiasme avec des ports de grande classe, où le Bazin Riche, bien brodé ne le cédait en rien aux Caftans Gabardine de la plus précieuse des étoffes. Les femmes de leur côté n’étaient pas en reste, toutes belles, toutes épanouies comme les fleurs du printemps. La grande affiche annonçait Nguey Loum contre Eumeu Sène qui pour moi était un illustre inconnu. Dès leur apparition dans l’enceinte, nul n’osait parier le moindre ouguiya sur celui qui, plus tard, deviendra le Roi des arènes. Nguey Loum, à l’époque, avait l’habitude de bien corriger les jeunes lutteurs qui voulaient faire de lui un passage pour s’émanciper. J’eus pitié pour ce jeune loup à peine sevré, paraissant nonchalant dans ses déambulations, surtout avec une stature physique frêle. Mais dès les premiers balancements de bras, j’ai constaté que ce novice était loin d’être une nature morte. Esquivant un crochet de son adversaire, il répliqua par une terrible droite qui fit tourner comme une toupie le teigneux Nguey Loum. Blessé dans son amour propre, il voulut se venger comme dans un combat de rue et ce fut l’erreur fatale. Plus souple et plus lucide, Eumeu le ceintura avant de le basculer à terre. Avec cette victoire nette et sans bavure, il signait son entrée dans la cour des grands. Se sentant majeur et capable de prendre son destin en mains, il monta sa propre écurie non pas pour concurrencer son maître Mouhammad Ndaw « Tyson », mais pour voler de ses propres ailes.
Malgré sa fougue dans l’arène, il paraît timide et parfois même naïf. Mais cela, c’est le côté cours. Dès qu’il est dans l’arène, il se métamorphose, ses nerfs se gonflent, son teint devient plus noir et son courage se décuple comme le lion qui guette sa proie. Balla gaye 2, Bombardier de Mbour, Gris Bordeaux de Fass et tant d’autres lutteurs chevronnés avec des palmarès élogieux, ont mordu la poussière devant ce héros des arènes. Même s’il n’a pas encore la chance devant Modou Lo, il ne compte pas décrocher sans prendre sa revanche. Son « diom » légendaire, sa fureur de vaincre et sa vaste science de la lutte, l’aideront à réaliser ses rêves de champion c’est à dire, laisser dans l’arène l’une des plus pages jamais écrites par un lutteur.
Il en a le talent, la capacité, le sérieux et surtout la science dont sont dépositaires ceux qui sont couronnés par les dieux des arènes. Il a la particularité d’être humble dans la victoire et grand dans la défaite. C’est une leçon qui est bien apprise par tous les grands champions sportifs qui, à travers les jours de gloire et les jours contraires, ont construit de belles images d’honneur qui font que nous ne cesserons jamais assez de les aimer.
L’histoire retiendra dans ses annales, son combat contre Gris Bordeaux. Celui-ci restera le plus beau, grâce à son intensité, à la violence des coups distribués ça et là, à l’endurance des deux protagonistes et au courage dont ils ont fait montre. Si ce combat s’était soldé par un match nul, personne n’aurait crié au scandale. Mais ce jour là, les dieux des arènes avaient choisi le camp de Eumeu Sène pour y déposer la couronne. La lutte venait de montrer ses plus belles facettes serties de courage, de technique, d’endurance et surtout, du désir de vaincre à tout prix. Depuis ce soir là, Eumeu Sène est entré dans la fabuleuse histoire des plus célèbres champions de lutte sénégalaise.
Majib Sène